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05 August 2005

The Beautiful Ones

English version

C'était mon Été 80, comme celui de Duras. À elle Trouville, les lumières vacillantes et les cataclysmes historiques. À moi les souterrains pisseux, le soleil fixe et le temps qui décélère subitement.

 

Topographie de la Terreur - Le souterrain

Nous sommes arrivés en plein été. C'était l'une des dernières communes de l'extrême banlieue, une banlieue-finistère, juste avant les plaines céréalières et le début d'un monde informe et inquiétant. Je me souviens d'une pléthore d'agencements dans le mobilier urbain, des bacs à fleurs en ciment, des charmantes jardinières. Mais ce qui me frappa très vite ce fut le sens diffus de menace sexuelle qui régnait dans la ville immobile sous le soleil. Les tunnels et les souterrains sous les voies rapides étaient badigeonnées de scènes de baise grossières ou d'organes isolés en gros plan. C'était partout. J'en étais ébranlé. J'avais peur. En plus des bites en ville il y avait dans notre cave une énorme croix gammée tracée à la bombe, sans doute par un occupant précédant qui s'était ennuyé pendant un autre de ces étés. Je me sentais écrasé par l'extrême violence de ces symboles. Voila ma première impression de cette ville

À l'étage au-dessous nous avions deux voisins de nos âges, deux adolescents dont les chambres coïncidaient avec les nôtres. L'un, L., avaient les yeux très clairs et un sourire à fossettes. L'autre, B., un peu plus âgé, d'une apparence plus terrienne, brun aux cheveux courts. Tous deux étaient très beaux. J'aimais beaucoup B. Il avait une voix très sensuelle et contrairement à son frère que je trouvais trop éthéré dans sa blondeur, il était poilu et avait un physique plus ramassé, quelque chose de beaucoup plus charnel. Les deux frères avaient un sens de l'élégance qui nous faisait baver d'envie, surtout L., le bourreau des cœurs toujours à la dernière mode, avec ses santiags et ses petites écharpes de couleurs. Il était le plus dandy des deux, alors que B. faisait plus voyou. Il est évident que tous deux représentaient pour nous une sorte d'idéal de fraternité, de style et surtout de masculinité. J'étais flatté d'être pris sous leur aile dans cette ville étrangère et être vu en leur compagnie me gonflait à bloc. Ça ne pouvait pas nuire à ma réputation, qui était encore à faire - mais plus pour très longtemps car très rapidement les choses se sont délitées. S'ils se souciaient en effet de leur image publique, être vu en ma compagnie n'était peut-être pas une si bonne idée et nous avons fini par ne plus nous parler. L'incarnation de la masculinité, si aisée et en apparence si brillamment vécue chez eux, ne laissait pas de poser problème chez nous, conflit larvé qui devait connaître une échéance amère. Entre mon frère au physique de crevette et moi aux airs de plus en plus évaporés quelque chose semblait s'obstiner à ne pas arriver.

C'est surtout cette année-là que sortit La Boum, outrage supplémentaire dans ma vie, qui allait faire des ravages au collège que nous venions d'intégrer, ses bâtiments sans distinction se trouvant au centre d'un complexe sportif immense dont je ne puis rendre compte que sous le nom de 'Topographie de la Terreur' et dont le but était d'humilier, de broyer et de rejeter tout ce qui y passait. Aux côtés de Sophie Marceau, toute en frange et encore ignorante des cataclysmes nerveux à venir chez Zulawski, on trouve une infinité de petits mignonnets, tous aussi gueules d'amour et mouille-culottes les uns que les autres. Le film avait eu un tel retentissement que Dream is my Reality, sa chanson fétiche, était enseignée en cours d'Anglais au grand ravissement de tous, à mes yeux une dégénération culturelle face à laquelle j'affichais ouvertement mon mépris et affirmais mon amour inconditionnel de Beethoven. C'était l'âge crucial où filles et garçons se toisent en silence comme sur la pochette de The World won't listen, ces derniers commençant à vouloir plaire dans leurs efforts vestimentaires alors que les autres ricanent entre elles en les voyant à l'œuvre, moment de grâce où le désir émerge de l'inconnu dans la désorientation du corps en pleine métamorphose. J'imagine que cette année-là des milliers de relations ont dû se nouer dans les garages de milliers de pavillons sur l'air de clavecin synthétique de Reality.

C'est que la question du style commençait alors à se poser avec une acuité particulière. Il faut dire que depuis très longtemps et jusqu'à une date avancée ma mère, qui semblait avoir le don de systématiquement court-circuiter le peu de séduction dont j'étais capable, avait trouvé d'une inventivité fracassante de nous habiller de façon identique, mon frère et moi, un concept unique mais avec de savantes variations chromatiques pour donner l'illusion de la différence. Cela avait un côté Chapi-Chapo, Recho et Frigo, qui n'échappait à personne dans les rues de la ville, d'autant plus que la dialectique original-copie était, comme toujours, au centre de toutes les préoccupations. Ainsi au tournant des années quatre-vingt la mode était aux vestes dites de combat qui faisait à qui savait correctement la porter une petite taille bien dessinée et mettait le cul en valeur - ce qui faisait craquer les filles. La mienne en revanche (mon frère avait la même en bleu) était coupée de façon étrangement monolithique et me descendait jusqu'aux genoux, ce qui était très inconfortable. C'est comme si elle m'envahissait de partout, énorme camisole bourrée de mousse qui déterminait chacun de mes mouvements par sa structure interne, comme le soir où l'on m'a traîné dans la neige dans le terrain vague du quartier et que j'eus toutes les peines du monde à me relever. Outre ces contraintes fonctionnelles elle me condamnait à une ringardise terminale, ce qui était sans appel. Quant au sac à dos de l'armée américaine, qu'il était d'usage de couvrir au feutre des noms de groupes de hard en vogue (tout ce que je détestais), le mien sentait la contrefaçon à plein nez, surdimensionné et imprimé d'un logo grossièrement pompé sur l'original. Là encore, la vraie classe ne se contemplait toujours que de loin, assurance et facilité n'appartenant qu'à ceux qu'elle honorait.

En vertu d'une hiérarchisation des physiques où je me voyais inexorablement prendre une place moins qu'avantageuse, le monde semblait donc divisé en deux categories mutuellement exclusives: les Beautiful Ones et le rebut. L. et B. formaient bien sûr l'élite des Beautiful Ones, les autres se subdivisant en plusieurs sous-catégories peu enviables: les moches tout court, ceux qui n'inspiraient rien pour cause de fadeur extrême, de ringardise stylistique ou de mue foirée. C'etait cruel et injuste mais les beaux avaient le monde à leurs pieds. En plus de L. et B., trop cool pour être égalés de quelque manière, il y avait dans ma classe M., bien bâti et avec des yeux d'un vert très clair, presque des yeux de loup, ce qui en France est assez rare pour être remarqué. C'était l'un des premiers de la classe à avoir du poil sous les bras, et je me souviens de mon écœurement mêlé de terreur lorsque j'entrevis pour la première fois les aisselles triomphales. L'autre, E., était vraiment ce que l'on peut appeler 'une gueule'. Non seulement avait-il un petit nez en trompette et un joli cul rebondi moulé dans son jean, mais en plus il faisait montre d'un style impeccable, avec sa grosse doudoune bleue mettant sa taille bien en valeur, ses baskets blanches immaculées et ses scoubidous attachés au porte-clés de sa ceinture. J'imagine que la même dynamique de différenciation était également à l'œuvre chez les filles, si bien qu'il existait une impitoyable aristocratie du désir où les beaux se poursuivaient entre eux et où les autres restaient ébaudis dans leur gentille insignifiance. Il y avait ainsi toujours un ou deux couples mythiques qui se trouvaient dans une dimension autre et inaccessible du désir, du style, de l'amour.

Cette année fut la première que je me souviens avoir vécu dans une solitude très lourde. La 'Topographie de la Terreur' portait bien son nom, chacune de ses unités aveugles étant le théâtre de mille petites humiliations et sévices. N'osant plus me changer dans les vestiaires de peur de me faire chahuter je devais parcourir les rues dans les survêtements les plus grotesques et dans lesquels je me sentais hideux. L'année de La Boum  je vis tous les corps autour de moi changer à une vitesse effarante. Certains garçons étaient extrêmement velus et j'étais fasciné par leurs petites bites qui, maintenant cernées de poils sombres, m'excitaient autant qu'elles m'horrifiaient. Certains bandaient même sous leur serviette. Je rentrais chez moi en milieu d'après-midi dans la ville morte, abominant mon corps dans l'attente de ce qui allait lui arriver. Ce serait le moment venu un sujet d'amusement infini dans ma famille, un jeu de massacre ordinaire dans la ville sans qualités... La suite s'emballa dans une logique sinistrement machinale: mon frère, dans un processus d'initiation sans fin à la masculinité la plus radicale, s'affubla de survêtements informes, passait ses journées à se sculpter un corps de titan et se rasa la tête. Il a plus tard intégré l'armée. Moi, devenu mélomane distingué, j'aurais presque parlé en latin si j'avais pu, portais des cravates en plastique (l'ersatz du cuir) et avais une mèche dans l'œil. Tout comme L. et B. avaient cessé de me reconnaître quelques années plus tôt, mon frère décida un jour de faire de même.

 

The Beautiful Ones

A summer story, brief and cruel. It was in 1980, a summer of piss-drenched underpasses, blinding sunshine and ever-decelerating time. A Dog Days summer.

 

Topographie de la Terreur - Le complexe sportif

We moved in the middle of the summer holiday to a human settlement poised at the edge of the urban belt ringing Paris, just before the countryside really begins in its disquieting, dodgy amorphousness. I remember how calm the town was and the sheer variety of street furniture, huge flower beds and concrete plant pots at every corner. But what struck me straight away was the vague, pervasive sense of impending sexual violence in the deserted sunny streets. In the tunnels and underpasses below the highways scenes of orgies or big blown-up genitals were crudely daubed on the walls. They were everywhere, there and in the neighbouring towns, sprayed in red paint on blocks of flats, banks and even churches. I was unnerved and scared. In the basement of our building a huge swastika had been painted too, probably by one previous bored tenant during another lethal summer. That was one of my first feelings in that town: that of being crushed and oppressed by extremely violent visual symbols.

On the floor below we had two young neighbours our age, two teenagers whose bedrooms were right underneath ours. The younger, called L., had very clear, blue eyes and lots of dimples when he smiled. The other, B., had a darker complexion, short cropped hair and a heavier demeanour. They were both very beautiful. Whilst I found L. a bit too ethereal in his blond, abstract perfection, B. was the one I truly liked: from what I saw he had lots of body hair and his figure was much stockier and earthlier than his slenderer brother's. But both undeniably had a sense of style that drove us mad with envy. L. was the dandy of the two, a dedicated follower of fashion and a heartthrob to boot, with his pointy cowboy boots and bright chiffon scarves, while B. was more of a lad but nonetheless equally image-conscious. It's obvious that both represented for me and my brother an ideal of brotherhood, sartorial elegance and above all masculinity. I was flattered to be taken under their wing. To be seen with them in a strange town was certainly beneficial to my yet-to-be-built reputation, and ironically that seems to be the reason why a strange fallout quickly ensued. Indeed, if both also had a reputation to defend, then being spotted with me in tow wasn't going to do it much good. So that's how we just suddenly stopped talking to each other. As much as to them masculinity seemed so effortless and easy to attain and embody, for us the whole thing proved a tortuous, depressing process, seething with frustration and bitter resentment: on the one hand a skinny, wispy thing aspiring to greater muscular exploits, on the other an increasingly vaporous aesthete with a fixation on the eighteenth century. Something was clearly amiss.

The issue of style was at its most acute at our new school. It must be said that my mother had since the early years clothed us both in a quasi-identical way, with just every now and again the odd colour discordance to broaden her creative scope. That quirky little performance - we were a bit like Eva and Adele - was repeated day in day out to the delight of other kids who like us were becoming teenagers and couldn't quite fathom the weird logic behind it. As everywhere else the social mechanism of status was largely determined by fashion and the world seemed to be split between two mutually exclusive groups: The Beautiful Ones and the trash. L. and B. formed of course the praetorian guard of The Beautiful Ones and we were the kings of the ersatz in all its manifestations. Hence this horrible little incident, one amongst many: in the early eighties combat jackets - a kind of primitive parka tightened at the waist - and US Army rucksacks were all the rage amongst teenagers. Those with the best bodies and the right-sized garment could boast the tiniest of waists and a well-exposed, grab-me bum, which drove the girls crazy. In contrast the combat jacket which my mother - always one to forego the original for a good copy - got from some dodgy discount warehouse, felt in its cut strangely monolithic and was clearly oversized as it fell below the knee. My brother had the same in navy-blue and similarly disappeared body and soul into that huge piece of clothing. It was very uncomfortable, like a foam-filled camisole with a life of its own that determined the least of my movements. That's what caused me one night to lie in the snow for ages after I'd been pushed into it, as the jacket simply prevented me from getting back up. Aside from these practicalities it just spelt NAFF in massive, throbbing letters all over me, which is the worst thing ever. As for the US Army rucksack...

The long-awaited backlash was cataclysmic. My brother, in an endless initiation to undiluted masculinity, took to wearing baggy tracksuits, spent all his free time turning himself into a god and shaved his head. He was later to join the army. As for me, who'd become a distinguished music lover, I would've spoken Latin to everyone given half a chance, wore plastic ties (an ersatz of leather) and sported a floppy fringe like the singer of Franz Ferdinand. And just like L. and B. had stopped acknowledging me a few years earlier, my brother decided one day to do just that.

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