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backL'Enfer et son Double | Main | London Apprenticeforward

16 November 2005

We are the Pigs

Installation vidéo, MAC/VAL, Vitry-sur-Seine

Hier 15 novembre, au journal du soir de France 2, qui semble inlassablement collectionner les inepties - un véritable florilège des pesanteurs et défaillances de l'imagination et de la langue - un reportage sur le MAC/VAL de Vitry-sur-Seine, le premier musée d'art contemporain en banlieue parisienne. Et l'occasion étant trop belle dans le contexte actuel on n'y a parlé que de banlieue, un concept devenu en France si omniprésent et monstrueux que l'on en a la nausée à sa simple évocation. Pareille chose à Berlin ou à Londres (dont l'un des plus beaux musées, la Dulwich Picture Gallery, se trouve en banlieue lointaine) n'aurait jamais connu un tel traitement. À Paris on en est encore à se demander par quelle logistique miraculeuse on pourrait se rendre à Vitry, qui ne se situe qu'à dix minutes du Périphérique - si toutefois une telle chose est envisageable dans la paranoïa actuelle. Le fait qu'un musée puisse ouvrir en banlieue ouvrière s'autosuffit, indépendamment du contenu ou de l'intérêt culturel du lieu, la banlieue exerçant un tel pouvoir de fascination qu'elle en occulte tout autre angle d'attaque. Et c'est bien là-dessus que le reportage a misé à fond. Alors que Libération consacrait un bel article à l'architecture, la logique d'exposition des collections et la politique d'acquisition du musée, France 2 choisissait de n'aborder aucun de ces aspects et de se concentrer uniquement sur les 'jeunes des cités' qui allaient y travailler. Gros plans donc sur ces 'jeunes', transformés en vertu des lieux qu'ils habitent en de véritables objets de contemplation - pour ne pas dire de fixation (jamais on ne s'attarderait ainsi sur le recrutement du personnel d'un musée parisien ou de province). Ceux-ci - très beaux visages sensuels balayés par une caméra transfixée - se prêtent gracieusement au jeu de l'interview et avouent candidement leur ignorance en matière d'art et leur chance d'être acceptés au sein d'une institution qui a priori a tout pour les exclure. L'un d'eux va même jusqu'à dire que 'c'est un autre monde' et qu''étant donné qu'on est en banlieue, on n'est pas habitué à ça'. On se demande vraiment quels ravages le martèlement du même message sur ces quartiers a fini par causer dans la perception que ses habitant ont d'eux-même dans l'intériorisation de l'abandon et du mépris extérieurs.

Mais ce sont sans nul doute les commentaires de la journaliste, dont j'ignore malheureusement le nom, qui se distinguent par leur éclatante crétinerie. Le reportage s'ouvre sur une vue d'ensemble de la Place de la Libération, où se situe le musée, 'au milieu', selon le voice-over, d'un 'tissu de cités plutôt calmes, jamais à l'abri d'un embrasement'. Je doute fort que cette personne ait une quelconque connexion avec Vitry, mais elle s'est tout-de-même arrogé le droit se prédire avec autorité d'éventuels désordres, parce que quand on voit ces cités qui s'enchaînent sans discontinuer sur les hauteurs, on ne peut que s'attendre à ça. Autant que je sache Vitry - ou Choisy ou Créteil - sont restées calmes ces dernières semaines et c'est vraiment le caractère insidieux de ce genre de commentaire, disposant hélas d'une tribune de premier ordre, qui est à combattre par tous les moyens. Après quelques petits traits d'esprits foireux sur le caractère cocasse de certaines tâches incombant aux nouveaux employés - impudiquement infantilisés dans une situation et un environnement dont ils prennent lentement possession - et une interview coup de vent de la conservatrice évoluant avec une aisance toute aérienne dans son Pénétrable de Soto, c'est la catastrophe. Devant les œuvres exposés - très France d'après-guerre avec Soulages, Rancillac et de la Villéglé pour les grands noms -  cette experte de Vitry et de l'art d'avant-garde de conclure qu'il s'agit d''une collection très ancrée dans le quotidien, des œuvres qui ne devraient pas avoir de mal à trouver leur public'. Tout est dit dans ces quelques mots et leur facilité affligeante. À Paris donc tout ce que l'art contemporain peut comporter d'intellectuellement exigeant, de conceptuel et de fumeux, la banlieue, elle, aura à composer avec ce qu'elle connaît le mieux: les choses concrètes de tous les jours et donc faciles à aborder - les bagnoles qui brûlent au pied des tours par hasard? - alors que la caméra s'attarde sur une Empreinte de Pneu de Peter Stämpfli. Et l'on parle à l'issue de la crise tout juste passée de transformer en profondeur les mentalités...

 

Danielle Gilbert et les enfants

La semaine dernière, lors d'une nouvelle nuit d'émeutes ébranlant les périphéries françaises et pour la première fois le centre même de Paris, l'école maternelle de La Belle au Bois Dormant de Grigny fut en grande partie détruite par le feu alors qu'un autre établissement de la commune était lui aussi incendié. C'est un joli nom pour une école, un nom à séduire les tous petits et leurs parents qui construisent autour d'eux un monde protecteur de douceur et d'enchantement. C'est en ce monde qu'ils doivent croire le plus longtemps possible dans l'instabilité sociale ambiante et avant la dureté d'un monde du travail auquel ils seront progressivement introduits, en butte aux errements d'une société française devenue impitoyable et violente. C'est donc un monde de gentillesse infinie, de l'institutrice-héroïne des enfants à la belle présentatrice de la télévision, des couleurs chatoyantes des produits de supermarché à la voix carressante des chanteuses de comptines, dans lequel les incendiaires des dernières nuits ont dû eux aussi se sentir bien dans leur petite enfance - qui n'est pas si lointaine, et par lequel ils ont comme tout le monde dû se laisser émerveiller. Le réveil aux réalités économiques et sociales a dû être brutal et le mensonge de la bienveillance du monde d'autant plus cinglant. L'école devient alors un milieu hostile et le véhicule d'une culture aliénante, la langue se mue en instrument de pouvoir violent et répressif, la présentatrice blonde se révèle dans sa triste humanité quand elle se fait virer comme une malpropre de la télé et les produits de consommation omniprésents incarnent l'arrogance d'un monde plein de désirs qui ne leur appartient pas.

Inconsolable de cette perte on ne peut que vouloir humilier ce qui fait mal: écoles et supermarchés sont donc réduits à néant et l'envers du décor révélé, le caractère fondamentalement frauduleux d'un système qui repose sur le mensonge du bien-être et de l'intégration de tous par la consommation. Les restes obscènes du monde capitaliste sont alors exhibés dans leur vulnérabilité et leur destructibilité, réduits à ce qu'ils sont vraiment: de vulgaires commodités carbonisées dénuées de toute valeur et de mystique. Ce qui se passe est d'autant plus frappant que ces soulèvement se produisent à quelques semaines de Noël, période de tous les bons sentiments où tout se pare de ses plus belles lumières, des écoles et centres commerciaux aux présentatrices en paillettes. C'est de cette corruption fondamentale d'un système de relations fonctionnant à tous les niveaux de la société et dont la violence est à peine voilée sous les apparence de la bonté humaine - les cohortes de vigiles circulant dans les centres commerciaux au moment des fêtes et embarquant manu militari tout ce qui représente un danger potentiel au bon déroulement de l'orgie consumériste des familles - que l'on vient à bout par l'incendie, la seule destruction possible, finale et garante d'un pouvoir total, là où s'épuisent tous les systèmes, langage, morale, éducation, devenus inopérants. Annihiler écoles, supermarchés et autobus par le feu confère un pouvoir d''anti-démiurge', l'extase du spectacle cataclysmique devant causer une excitation physique foudroyante. L'anneau encerclant Paris est le site d'une jouissance faramineuse affranchie de toute règle.

Une nuit de 1979 les écoles maternelles Pégase et Rossinante de Grigny étaient incendiées. Tout commencait à aller très mal dans ces villes où une assez grande tension sociale était déjà palpable. Le lendemain il ne restait rien des deux bâtiments en préfabriqué à la structure si légère. De grandes trainées noires obscènes crevaient les fenêtres et une odeur âcre flottait des mètres à la ronde. Les restes calcinés de mobilier, de coussins en mousse et de jouets, tout ce qui constituait le rêve quotidien des petits enfants, avait été jeté à l'extérieur et s'entassait pathétiquement sur la surface goudronnée d'un coin de parking. La vision des deux carcasses à moitié effondrées fermant l'horizon fut pour moi, qui sortais de l'enfance dans la terreur, une expérience angoissante. Il n'y avait plus personne à l'intérieur, les gentilles institutrices s'étaient volatilisées, incendiées elles aussi avec l'école. C'est comme si leur existence avait été un mirage et qu'elles ne viendraient plus nous consoler de rien. Mon sentiment de la vulnérabilité et de la fragilité des choses et des êtres fut terrible.

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