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31 December 2005

Mains baladeuses

Burghausen, Oberbayern

La petite ville bavaroise était inerte sous la neige uniforme. Le soleil recommençait à briller et de l'autre côté du fleuve aux eaux vertes, l'Autriche se profilait parmi les nuées éffilochées dans son mystère d'empire révolu, un pays dont je persiste à ne vouloir reconnaître les penchants ultra-réactionnaires tant sa culture urbaine est (ou plutôt fut) eblouissante. Au milieu des maisons aux couleurs acidulées et presque factices dans leur perfection de grosses confiseries je faisais remarquer à M. que le Nosferatu de Herzog aurait pu être tourné là au lieu d'Amsterdam, qui me semblait être un choix un peu facile, ou bien à Passau, où le confluent des trois fleuves - dont le Danube - et la monumentalité de l'architecture et du cadre naturel qui les bordent auraient conféré à l'histoire une dimension bien plus fantastique. Adjani y paraît encore plus spectrale que dans Possession et les choeurs grandioses en accords couplés de la bande originale, qui font un peu songer à Konx-Om-Pax de Scelsi, renforcent l'irréalité oppressante du film.

Dans la rue déserte et étincelante de neige deux policiers en civil étaient garés et attendaient. Descendant en trombe à notre passage ils nous prièrent de nous arrêter en brandissant leurs cartes, la raison première semblant être un contrôle d'identité de routine avant de vite dégénérer en fouille intégrale à la recherche de stupéfiants. Les papiers furent confisqués dans un cérémonial désagréablement réminiscent des inspections incessantes dont j'étais l'objet à Paris et qui ne prirent fin qu'après mon expatriation à Londres. Mon passeport britannique, dont les ors royaux se sont avec le temps effacés de la couverture pour ne laisser place qu'à un vide d'appartenance nationale assez affolant, parut d'emblée suspect et son inspection obstinée n'ayant révélé aucun secret la fouille qui suivit à ras du corps redoubla de vigueur. L'un des deux, un gros aux avant-bras potelés et velus, glissa ses mains dans mes poches et agrippa tout ce qu'il put y trouver, l'exaltation du devoir bien fait expliquant la fougue qu'il y employa. Une attente aussi longue sur une rue déserte un jour de neige devait justifier que l'on se fît une joie pareille à la vue de deux pédés. Cette incursion inopinée dans mon espace physique fut à la fois humiliante et du plus mauvais goût. Tout autour le village engourdi se préparait aux réjouissances du soir, les petites maisons multicolores étagées sur les hauteurs au milieu de joyeux ruisseaux n'évoquant que paix et prospérité, l'idylle de vies qui s'écoulent dans la certitude de ne jamais se trouver du mauvais côté du zèle policier. La Bavière m'apparaissait comme repue dans sa décence fondamentale et heureuse de ne pas en savoir plus.

La vexation n'est pourtant jamais qu'au tournant d'une rue enneigée mais semble en vertu du sempiternel délit de facies toujours épargner une part importante de la population: à savoir blanche, hétérosexuelle et vieille. Le phénomène est d'ailleurs familier aux banlieues françaises où les opérations de contrôle se passent généralement avec encore moins de courtoisie. Il est frappant que le pays se trouve encore sous le coup d'un état d'urgence décrété il y a des semaines au plus fort des émeutes et que la population accepte de son plein gré une réduction systématique des ses droits au nom de sa propre sécurité, allant même jusqu'à plébisciter le gouvernement pour son inflexibilité face aux insurgés. On y célèbre le retour à l'ordre alors que le tour de vis signifiant le renoncement aveugle à toujours plus de liberté a déjà été donné. Ce soir, horrifié de devoir revivre cela hors de France, et alors que le sentiment d'outrage s'estompe peu à peu grâce au Schnapps, je rêve de la fin du mépris cynique des uns qui ne se nourrit que de la complaisance imbécile des autres.

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