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31 January 2006

Beau comme Iggy

English version

Tuntenhaus, Kastanienallee, Prenzlauer Berg

 

"Je suis venue à Berlin pour découvrir que je ne savais plus respirer. Ni respirer et ni tout le reste. Respirer est la chose la plus difficile. Et le réapprendre est ce qui dure le plus longtemps. Et sans respirer on ne peut pas faire la cuisine. Et encore moins parler. S'exprimer. Et si on ne peut pas s'exprimer, alors il ne sert à rien d'être d'être venu à Berlin. Même Paris ne peut être d'aucune aide."

(Carmen-Francesca Banciu, 'Berlin est mon Paris'
in Les Temps Modernes nº 625, août-novembre 2003)

 

Hier dans l’appartement la journée était lente et à l’instar des précédentes semblaient contribuer un peu plus à la longue déstructuration de ma vie. Une nouvelle semaine commençait dans un gris opaque que l’on n’avait pas vu depuis longtemps, tant l’anticyclone sibérien s’était éternisé au-dessus de nous. Au-delà de mon monde familier la ville s’étendait dans ses rangées infinies de toits, dégageant le même mystère impénétrable. J’avais au hasard emprunté Stadt als Beute, un film sorti l’été dernier, dont je savais vaguement qu’il avait Berlin pour cadre et qui avait d'emblée, dans son graphisme et l'aura sérieusement cool qui en émanait, quelque chose de résolument ’culte’, tant je l’imaginais plein des beaux jeunes gens que cette ville semble en permanence exposer à mon regard concupiscent. Du fait de ce pressentiment - et aussi probablement parce que je me sentais confusément hors-circuit face à tous ces gens que j’imaginais dans mes manques et défaillances pleinement intégrés à une ville qui leur appartenait en propre - pour cela donc, je ne l’avais pas vu. Mais loin de m’aliéner encore davantage et m'enfoncer dans une morosité délétère, le film provoqua en moi un élan d’amour aussi imprévu que salutaire.

Produit par Filmgalerie 451 - un petit label dont le vidéoclub sur Torstrasse doit bien être le meilleur de tout Berlin - et divisé en trois parties - chacune d’une réalisatrice différente - Stadt als Beute suit les trajectoires de trois jeunes acteurs de théâtre dans un Berlin aussi séduisant que périlleux. Un projet commun de pièce au titre éponyme, dont la première doit avoir lieu à la Volksbühne deux semaines plus tard, lie ces trois vies, alors que les répétitions sont plongées dans une confusion et une désorganisation croissantes. Leurs vies dans la ville prédatrice sont présentées comme contrepoints à leurs vies théâtrales, la perméabilité continue des deux se trouvant constamment questionnée et explorée lors des répétitions. Dès l’ouverture on se sent plongé dans ce qui rend Berlin familier et attirant et la certitude de vivre dans une ville unique et rare, sexy et regorgeant de multiples possibles, s'en trouve confortée. À l’évocation d’une Kastanienallee ensoleillée et encombrée de trams, je savais que comme eux j’étais chez moi, mû par le même désir fondamental d’appartenance. L’énorme charge affective dont les personnages - tous superbement interprétés - sont investis dans cette appartenance commune ne faiblira dès lors plus.

À travers ces destins entremêlées Stadt als Beute montre autant de façons personnelles et intimes de négocier l’espace urbain dans ce qu’il présente de risques, d'illusions et d’exploitations dans la multitude des relations de pouvoir microscopiques à l’œuvre dans toutes les situations de la vie - dans l’affirmation purement spatiale et économique du nouveau venu, les abus et tromperies auxquels exposent désir et séduction, la marginalité menaçant quiconque ne se conforme pas au modèle socio-économique dominant. C’est aussi la ville elle-même qui devient proie du fait de phénomènes extérieurs échappant à son contrôle et dont la pression se fait sentir sous différentes formes, dont la plus spectaculaire se trouve naturellement incarnéee dans l’architecture. Le sujet est d’une pertinence d’autant plus cinglante dans une ville comme Berlin, où une situation économique endémiquement stagnante ralentit un processus de 'dépossession citoyenne' observable dans la plupart des grandes métropoles mondiales. Berlin semble avoir son propre écosystème (lui-même unique en Allemagne) qui rend possible une diversité de modes de vie et de statuts sociaux dans un espace relativement inclusif où l’empiètement du grand capital n'a pas encore atteint les sommets paroxysmiques visibles à Paris ou Londres. On tremble à l’idée qu’il ne pourrait s’agir là que d’un délai de grâce et qu’à la faveur d’un revirement de fortune économique la ville subirait le sort commun - à moins qu’elle affirme encore une fois son irréductible particularité.

À ce titre la troisième partie du film est proprement révélatrice - une révélation aussi entendue dans son sens métaphysique. Il s’y opère une alchimie réellement magique entre les rues de Berlin et le personnage central, une gueule cassée iguanesque et gominée en marcel nommé Ohboy (interprété par David Scheller), dont les absences aux répétitions compromettent l’avenir de la pièce et sont amèrement déplorées par ses comparses. C’est en effet là que la Ville-Proie prend tout son sens, dans une collision frontale violente avec une architecture présentée sous son aspect le plus arrogant et rmanipulateur - le Sony Center sur Potsdamer Platz, sorte de panoptique asceptisé et hétérogène à la ville, matérialisation ultra-sécurisée d’un ordre aussi omniprésent qu’inlocalisable, qui doit tenir lieu de cœur à la capitale recréee et réinvestie par le pouvoir. Prenant conscience de l'imposture fondamentale d’une telle prétention Ohboy a un coup de sang et cause un esclandre dans les fontaines de la place centrale, avant d’être expulsé par le vigile de service. Juste avant c'était à la remontée chaotique de Potsdamer Strasse que l’on avait assisté avec toutes les rencontres  aléatoires, frictions et séductions infimes que la ville génère en permanence. C’est un jour radieux comme ils peuvent l’être à Berlin, une musique triste à pleurer flotte dans la lumière d’été (Sad Boy de Kissogram), et c’est là, dans ce crépitement de petites scènes se succédant à toute vitesse dans cette seule rue que la ville se laisse sentir dans sa sensualité foisonnante et les promesses entêtantes qu’elle renferme, quelque chose au loin qui ressemblerait à de l’amour, un amour très ancien qui transcendreait tous les amours vécues ici-bas, un désir de désir permanent dans la densité urbaine infinie.

Tout près de la station Bülowstrasse, là où certaines scènes de shoot collectif de Christiane F. ont été tournées, Ohboy se reçoit une main au cul par une grosse vendeuse de lunettes de soleil assoupie sur le trottoir. Celle-ci le trouve aussi bien roulé qu’Iggy Pop (elle a raison) et se remémore à l’occasion le temps où elle les servait, lui et Bowie, dans un café italien de Nollendorfplatz. Le détail me bouleversa car c’était mes propres mémoires et mythologies qui étaient soudain mises à contribution et me faisaient par association appartenir au récit de la ville, son épopée. C’est dans cette scène précise, aussi gracieuse que loufoque, que tout s’engouffre – l’humanité bouillonnante du film, le soleil du soir, ma mémoire et la multiplicité des passés auxquels elle donne forme, la vie indéfinie ouverte à la possibilité du théâtre, l’absence de Ohboy aux répétitions ayant en négatif une fonction presque structurante. Sa vulnérabilité aux agressions et prédations consubstantielles à la ville, le chaos amorphe de sa vie même, apportent, comme le souligne René Pollesch, le metteur en scène, quelque chose d’informe et d’inconnu au théâtre, un état d’être que les autres acteurs, aux existences économiquement stables et pleines de certitudes, seraient incapables d’appréhender. Voilà pourquoi je suis ressorti de Stadt als Beute heureux d’être là, heureux de ceux que je pourrais y connaître, de cette anticipation, du plaisir de la langue, de celui de l’histoire, de ce qui m’amène à en devenir ultimement un acteur à part entière.

 

Tender Prey

Potsdamer Platz

In Germany winter shows no sign of abating. Yesterday was the start of another week, a nondescript day blurred in the opacity of an indeterminate, infinitely stretchable time. Across the street smoke was drifting off over the rooftops from rows of chimney stacks. It looked like a cinematic rendition of what life could have been like in the GDR. The day before I’d borrowed a few films, amongst which Stadt als Beute, a homemade production released sometime last year. I knew next to nothing about it, bar the assumption that the Stadt in the title must be Berlin. I also sensed something vaguely cultish about it, as everything from its cover picture to the overall design exuded typical Berlin cool, with its stream of alarmingly beautiful people such as the ones I come across on a daily basis, the fantasised incarnations of the sort of symbiosis that can develop between a city and its inhabitants. So probably for this reason and the obscure, age-old notion that I could never possibly be part of that, I’d never seen the film. But something quite remarkable happened after an initial phase of resistance and denial: far from being alienated even further from everything I was by the end of it dripping with an irrepressible love for this city and its exuberant diversity.

Produced by a small, independent label - Filmgalerie 451, whose beautiful arthouse video shop on Torstrasse is without doubt the best in town - and consisting of three interlocked films by different directors, Stadt als Beute tracks the lives of three young, aspiring actors on the streets of a treacherous, seductive city. An eponymously named play, whose premiere is due to take place two weeks later at the Volksbühne, acts as a focal point to those disjointed trajectories, whilst the rehearsals are repeatedly disrupted and thrown into disarray by an ever changing cast. Their lives in the predatory city are shown as the counterpoints to their stage personas, endless digressions and discussions during rehearsals revolving around the complex interrelations operating between the two. As soon as the film started I felt the unmistakable atmosphere of Berlin seeping in and what makes it so attractive and unique, inclusive, sexy and full of unexpected possibilities was instantly there in the sight of yellow trams rattling in the sunshine down the Kastanienallee. I felt at home and moved by the same yearning to belong as every single one of the characters. From then on the emotional grip of the film and of the many lives blazing through it wouldn’t lessen.

Stadt als Beute deals with the different, personal ways we negotiate urban space and the countless risks, illusions and tiny deceptions underlying human relations, whether it comes to mere spatial affirmation for the newcomer, the abuse and exploitations inherent to desire and seduction or the prospect of marginalisation for whomever does not conform to dominant socio-economical rules. By the same token the city itself becomes a prey through its subjection to external and largely uncontrollable phenomena whose pressure makes itself felt at every level - the most spectacular aspect of which being encapsulated in the bombastic architectural forms of the contemporary city. The issue is of particular relevance in a place like Berlin where a endemically stagnant economy may still blunt the effects of an otherwise generalised process of ’civic dispossession’ that can be observed in all major world cities. Berlin seems to be fostering its own human ecosystem (itself quite unique in Germany) whereby a fairly wide range of communities of diverse social origin and status can still coexist in a relatively inclusive space where big capital’s impingement has not yet reached the excesses of more significant ’players’ like, say, London or Paris. It could all just be a reprieve: any upturn in the economy would probably sound the death knell to all this and condemn us to the common fate - unless the city withstands the pressure with its usual resilience and creativity.

In this respect the third part of the film is the most revealing - as in ’revelation’ taken in an almost metaphysical sense. Something truly magical happens, a sudden alchemy between the city’s streets and the main character, a hatchet-faced looker in tight-fitting vest and pointy boots called Ohboy (played by David Scheller), whose absence at rehearsals jeopardises the play’s future and fuels fellow actors’ resentment. The city is comatose on a hot summer’s day as a tear-jerker tune fills the air (Sad Boy by Kissogram). Past loves caught in eternal sunshine come back to mind whilst the camera pans across Schöneberg, and the desire of desire itself is fleetingly revived in memories of sexual forays into the city. It is in this final scene that the City as Prey is finally revealed in a violent collision with architecture. At the end of a chaotic performance on the Potsdamer Strasse full of random encounters - the many frictions and seductions that make up everyday urban life - Ohboy finds himself at the corporate epicentre of the new Bundeshauptstadt, a city reinvested by power, full of noise and glitzy splendour: the Sony Centre on Potsdamer Platz, an oversized, tightly secured panopticon, the final manifestation of an abstract, omnipresent albeit unlocalisable order, a CCTV-monitored simulacrum of public space floating in an elusive centre and masquerading as urban fabric. Such fraudulent pretensions finally dawn on Ohboy, who blows a fuse and kicks up a rumpus in the fountain, splashing around in the middle of the precinct before being chased off by a (private security firm) vigilante.

Near Bülowstrasse station, where some of the most graphic shoot up scenes of Christiane F. were filmed, Ohboy gets his arse grabbed by a fat sunglasses-seller dozing on the pavement. Casting her eyes on his bulging arms and crotch-hugging leathers, she claims he’s every bit as dishy as Iggy Pop (and quite rightly so). In the process she reminisces the good old time when she used to wait on him and Bowie in an Italian greasy spoon on Nollendorfplatz. This allusion to the heroes went straight to my heart as my own memory and mythologies suddenly found an echo through their incorporation in the grand narrative and epic of the city. And actually many things coalesce in this short scene, which for me is where the whole film opens up: its exuberant humanity, the glowing evening sun, my own history in Berlin combined with fantasised pasts, an undefined, shapeless life wide open to the possibility of theatre. As director René Pollesch observes during the final rehearsal, just as everyone else seems to be losing it, Ohboy’s constant failure to show up, although confusing and not immediately comprehensible, is something from which some knowledge might be gained - the reverse of received knowledge and practice as it were. His vulnerability to the aggression and duress of city life as well as his dread of public exposure bring something unknown to the theatre, a way of being that the others, with all their certainties and secure economic status, might not be in the best position to grasp. After the film I felt incredibly elated, full of anticipation for the ones I would come across and get to know one way or another, and for a shared language and history I could aspire to be a part of.

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