ELECTRONIC ESSAYS
 
FICTIONS
Section under Construction
Thematics
 
Library
Kontakt

backLa Fiancée du Vent | Main | Down and Out in Dortmundforward

10 April 2006

Clair de Terre

Maison de Radio France

Il y a quelques jours, à la faveur de recherches aléatoires sur le net, j’ai retrouvé dans les Archives de l’INA-GRM un morceau de musique électronique qui a hanté mon enfance. Il s’agissait de l’ancien indicatif de France Culture composé par Bernard Parmegiani, à qui l’on doit également le sublime glissando électro-acoustique des aéroports de Paris - que je pense avoir encore récemment entendu à Orly, auquel il va d’ailleurs comme un gant tant architecture et son y partagent le même élan futuriste, alors qu’à Roissy il semble avoir été remplacé par une petite mélodie simplette qui fiche le bourdon, et que j’associe à cet endroit angoissant et emblématique de l’État follement sécuritaire qu’est devenue la France. Ainsi donc l’indicatif de France Culture, petite pièce synthétique aérienne, pleine d’échos, de boucles et de réverbérations diffuses, contribua à donner à la station son caractère éthéré et mystérieux. Je l’écoutais seul dans ma chambre, moins attentif au contenu des programmes eux-mêmes qu’au travail de mise en onde et aux textures d’un univers sonore en tous points opposé au fatras commercial  prisé de mes parents, le son uniforme et abrutissant des radios dites 'périphériques'. Dans une manifestation précoce de dandysme je professais ouvertement mon attachement à un service public non affecté par la médiocrité générale et livré aux expérimentations sonores les plus obscures dans sa forteresse de verre et d’aluminium, l’ancienne incarnation du contrôle exercé par le pouvoir gaulliste sur les médias publics, où le ministre de l’Information devait même à l’origine avoir ses appartements, la Maison de la Radio, qui fut avec Créteil l’expérience architecturale la plus bouleversante de mon enfance - et tout aussi obsessionnelle.

Un esprit de modernité infinie venait de cette spirale de béton, l’épicentre de mon Paris imaginaire, et me parvenait jusque dans ma chambre où, l’oreille collée au transistor minuscule rapporté par le père de quelque station-service autoroutière, j’attendais. Longtemps je n’ai eu que des PO-GO pleines de parasites, la 'Modulation de Fréquence' et le confort d'écoute qu'un nom pareil ne pouvait que promettre étant arrivés bien plus tard dans le cadre d'un plan d'investissement technologique familial d'une rigidité effrayante. Ainsi donc, à heures fixes, j’attendais que la petite musique électronique vienne de Paris. Elle émergeait de longues plages de silence séparant deux émissions pendant lesquelles on laissait l’antenne livrée à elle même, c’est-à-dire à un vide sidéral traversé du fouillis de signaux lointains, ceux-ci ayant une valeur égale au 'contenu concret' qui n'en finissait pas d'arriver. Parfois tout restait dans un état d’indécision telle que la musique revenait une seconde fois dans un étirement temporel démesuré. C’est ce rapport très distendu au temps, ce continuum répondant à une logique étrangère aux impératifs de rendement et d’optimisation du temps d’antenne, qui faisait de France Culture un objet radiophonique unique et rétrospectivement d’une audace sidérante quand on pense à la cacophonie qui suivit. La station ne résista pas longtemps à la tentation du remplissage dans un paysage médiatique tourné sens dessus dessous. L’indicatif de Parmegiani disparut quelque part dans les années quatre-vingt, cette décennie de bruit et de fureur, pour être remplacé par des jingles un peu plus percussifs et enjoués. Même si la qualité de ses programmes reste à ce jour exceptionnelle, son format est en même temps devenu beaucoup plus lisse et conventionnel, le gros son FM et un débit égal et sans aspérités ayant à jamais mis å mal le trouble causé par un temps en décélération inexpliquée, des voix flottant entre les sexes, des étendues interstitielles et incertaines. La solitude et l’ennui de villes de banlieue délaissées par la grâce.

Comments

The comments to this entry are closed.