Hallo Spaceboy
J’ai des souvenirs très précis de Klaus Nomi. C’était mes années de collège au tournant des années quatre-vingt, dans la ville sédative choisie par mes parents pour poursuivre leur triomphale vie de famille. Le gros nœud papillon noir collé au milieu de son costume en plastique m’amusait beaucoup, à tel point que j’en avait conçu un semblable pour ma grand-mère. Elle se prêtait volontiers à toute sortes d’âneries de notre part et c’était toujours avec une joie puérile que nous l'accoutrions d’accessoires en papier bariolés avec en sus une coiffure explosée rendue possible par des années de mauvaises permanentes qui avaient réduit ses cheveux à l’état de foin. Ellle aussi était à sa façon une Nomi.... Je repense donc à lui après avoir vu The Nomi Song, un documentaire sur sa carrière fulgurante réalisé par Andrew Horn et présenté il y a deux ans à la Berlinale. Je n’apprécie d’ordinaire guère ce genre de format, avec son cortège obligé d’interviews et la linéarité de son mode narratif. Ça fait un peu trop télévision au cinéma et je n’aime pas cette confusion des genres. Pourtant The Nomi Song est éblouissant dans son intensité kaléidoscopique et dans son traitement du personnage un chef-d’œuvre d’humanité. De ses origines à Essen à son établissement à Berlin pour une carrière à l’opéra qui s'avérera infructueuse, avant de devenir la coqueluche les milieux underground de l’East Village (dont l'atmosphère est rendue dans le film de façon particulièrement évocative) jusqu'à l’explosion globale qui le portera triomphant sur les plateaux de TF1, c’est un homme extrêmement attachant et vulnérable qui se dévoile sous l’affublement néo-constructiviste de sa carapace de vinyle.
Pendant tout le film mon affection pour lui n’a fait que grandir. Sous le maquillage opaque de marionnette Bauhaus on devinait de beaux yeux, noirs et très brillants, d'une expressivité parfois comique comme durant sa performance avec Bowie dans Saturday Night Live, qui le propulsera vers la célébrité, et où l’on sent comme une légère anxiété lorsqu’il s’emploie à faire de son mieux en présence de la star. J’avais vu le show pour la pemière fois il y a des années à Amsterdam et la prestation est restée dans ma mémoire comme un morceau d'anthologie rarement égalé. Pour moi il n’y avait rien de plus rock’n’roll que Bowie en uniforme d’hôtesse de l’air à col Mao et talons hauts avec Nomi traînant derrière lui un gros caniche en peluche rose sur l’air de TVC15. Encore aujourd’hui cette performance est d'une puissance jouissive phénoménale et a déclenché la même poussée d'adrénaline que jadis. Ce que je ne savais pas c’est que le costume géométrique qui deviendra emblématique au point d’en devenir parodique avait été inspiré par Bowie lui-mème prenant pour source un ensemble porté par Tristan Tzara (Hugo Ball selon d'autres sources) lors de quelque performance Dada. Après le show Nomi s’était rendu chez un tailleur de l’East Village et s’était saigné aux quatre veines pour se payer une approximation de la tenue de l’idole. Ce qui ne fait que complexifier les ramifications de la nébuleuse Bowie, alliant la pop la plus britannique à l’avant-garde européenne, la germanité, la science-fiction, une apocalypse imminente et bien sur à Berlin, qui à l’époque jouissait d’une réputation sulfureuse - Cabaret et le Duke y contribuant vraisemblablement chacun à leur manière - et a sans doute conféré au jeune Klaus une aura et un mystère aux yeux d’une jeunesse new-yorkaise éprise de sophistication.
L’instant le plus poignant du film fut sans doute sa dernière performance de Cold Song accompagnée d’un orchestre symphonique. Nomi, en costume de petit page rouge à collerette, porte les traces de la maladie qui l’emportera un peu plus tard. Son expression est déchirante, presque celle d’un petit garçon qui s’applique à chanter le mieux possible pour son public alors que ses forces vitales le désertent. Le gros plan sur son visage exténué et son roulement d’yeux lors de l’accord final sont à pleurer. On ne savait encore rien du sida, qu'une certaine presse s'était empressée de nommer 'le cancer gay’. Il y a un instant aussi pénible qu’ahurissant lorsqu’un des interviewés raconte que Nomi ne put mettre un nom sur sa condition qu’en regardant un reportage télevisé sur les ravages physiques de la maladie. Il semble aussi que personne ne se soit vraiment pressé à son chevet dans ses derniers instants - certains avouant ouvertement leur peur de la contagion, d'autres ne pouvant mettre de côté de vieilles rancœurs, d’autres enfin ne voulant que se souvenir des beaux jours... La mort de Klaus Nomi fut le point de départ d’un cortège funèbre sans fin. Cold Song fut de façon prévisible utilisée comme musique d’accompagnement des nombreux programmes consacrés au sida qui se succédaient dans une panique grandissante. Nous étions alors en 1984. Ma grand-mère ne venait plus nous voir pour cause de santé déclinante et je suivais une scolarité moyenne dans le bunker de béton de mon lycée. C’est un mercredi matin que le monde s’est inversé en une fraction de seconde lorsqu’un groupe d’étudiants croisés dans les escaliers lancèrent à mon passage un 'Vive le sida’ tonitruant. C’est sous le choc de ce mot et de la tragédie qu’il recouvrait que je pris enfin conscience que quelque chose me détachait à jamais d’eux, que j’étais du côté des monstres et multiples rejets d'une société déchue, ce que j’acceptais dans un mélange d’euphorie et de soulagement. Je suis fier que Klaus Nomi fut le catalyste de cet évènement essentiel de ma vie. Les accords de clavecin synthétique ouvrant Death (une adaptation du Didon et Énée de Purcell) inaugurèrent à la façon d’un bulletin d’informations interstellaire cette rupture avec un passé décapité et à jamais lancé à la dérive.
I remember Klaus Nomi from my teenage years in the early eighties. His operatic voice and outlandish stage persona were a huge sensation in France and my mother, still yearning for a new Ziggy to set her heart on and unaware that the eighties would bring to her some of the best gay acts in pop history, wholeheartedly embraced 'Klaousse', the next big thing with make-up to entrance her. I quite took to him too and was most amused by his black and white, sharply angular costume. I had even designed a similar bow tie for my grandmother to wear during her weekly visits. She didn’t mind any of the indignities she suffered in our hands as we would relish the sight of the poor woman bedecked with all sorts of cut out accessories with her fuzzy hair backcombed for maximum effect. After all she was, in her own idiosyncratic way, a Nomi too... So Klaus came back into my life after I’d watched The Nomi Song, a documentary on his brief, dazzling career by Andrew Horn, which was shown (and awarded) at the 2004 Berlinale. I don’t usually like that kind of format, with its inevitable succession of interviewees and a predictably linear narrative structure. It feels too much like a TV production projected on a big screen, but the insight into the New York alternative scene of the late seventies and the lavishly documented account of Nomi’s rise to fame made it an immensely engaging film bursting with humanity. From his origins in Essen to unsuccessful career attempts at the Deutsche Oper in Berlin, before becoming a fixture in East Village underground clubs and shooting to global stardom, Klaus Nomi cut throughout a very likeable, if extremely vulnerable, figure.
My affection towards him grew exponentially as the film unfolded. Underneath the opaque, Bauhaus puppet style make-up, his beautiful, dark eyes were sparkly and intensely expressive - in sometimes very comical situations as in his career-defining performance with Bowie on the Saturday Night Life show. Bowie, more than ever in tune with the Zeitgeist, appeared with him for a three-song-set and the result must be one of the sexiest performances pop has ever produced. The sight of Bowie crooning it in a posh air-hostess suit and high heels with Nomi, looking almost intimidated in what he must have known was his major breakthrough whilst dragging a pink, fluffy poodle to the tune of TVC15, still had the power to send the adrenalin level soaring. What I didn’t know however was that the constructivist costume that was to become his trademark was inspired by Bowie himself, who’d drawn upon a Dada performance by Tristan Tzara to design his attire for the The Man who sold the World number. Nomi, set on having something similar for his own stage act, went to a tailor’s shortly after the show, the resulting, highly approximate copy of the idol’s costume reportedly costing him an arm and a leg. This further complexifies the conceptual nebula centred on the Duke and connecting British pop with avant-garde European art, germanity, sci-fi, imminent apocalypse and of course Berlin, which by virtue of its intoxicating influence (to which Bowie and Cabaret undoubtedly contributed) most probably confered Nomi an aura and alien quality amongst Manhattan's bright, young crowds.
Superstardom finally beckoned (obviously to the detriment of the original artistic concept as the record company - RCA of all people - saw in him more a freak to exhibit on TV than a performer with underground East Village credentials) and was almost from the start marred by illness and exhaustion. During one of his last performances he is shown singing Cold Song with a symphony orchestra, sporting a crimson page costume with a ruff. He has the studious, concentrated expression of a little boy striving to do his best for his audience and the final close-up of his drawn features as he rolls his eyes and greets the crowds is a particularly devastating moment. No one then knew anything about the disease that was at the time conveniently dubbed 'the gay cancer' by whole sections of the media. One of his former collaborators interviewed in the film even reports that Nomi began to make a connection with AIDS only whilst watching a news programme about the physical symptoms of the disease. I also seemed that people weren’t fighting over each other at his bedside, some of them openly acknowledging their fear of contamination, others still seething with resentment because of past disputes, while others would rather focus on the 'good old days'. From then on the funeral procession was set in motion and the ethereal Cold Song would provide a handy, if somewhat contrived, soundtrack to hours of TV reports on the new killer virus. We were then in 1984. Due to ill-health my grandmother had long stopped visiting us and I was now attending high school. The world was turned upside down in one second as I was one morning greeted in the stairs to the cry of 'Viva AIDS' by some students. I instantly froze, shocked by the violence of the word and the tragedy it conveyed. I also knew that history was suddenly taking an irreversible turn, laced with foreboding and uncertainty, which I however accepted in a mixture of euphoria and relief. I was for ever alienated from them and firmly stood on the side of the freaks and outcasts of society. I am proud that Klaus Nomi had been instrumental in this life-affirming realisation. It felt as if the synthetic harpsichord chords of Death (a powerful rendition of Purcell’s Dido and Aenaes) rang in my ears as the jingle of some intercosmic news bulletin and marked the very end of a beheaded childhood propelled into an endless void.
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