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backPalazzo Prozzo | Main | Luftpalast: Absence, Desire and Berlin's Wastelandsforward

09 October 2007

Kultur Kampf

English version

Frauenkirche, Dresden Altstadt

Au milieu d’un terrain vague de Dresde une tente de cirque avait été dressée et accueillait une after-party de gens chics de la région, une structure faite de tout et n’importe quoi visant à inspirer à l’assemblée hupée une impression d’exclusivité et de luxe. Tout ce petit monde en provenance d’un concert à l’opéra semblait volontiers s’accommoder de l’illusion à peine maintenue, ce qui ne laisse de rendre perplexe sur le rapport communément accepté entre classe sociale et l’infiniment élusif concept de goût. À l’extérieur la nuit était glaciale, une veille de week-end dont on ne voyait pourtant que peu de signes tant la ville semblait déserte et recroquevillée sur elle-même. Autour du terrain vague un groupe de tours dont des quartiers entiers de Dresden sont constitués autour d’un centre historique bichonné à outrance brillaient de la même lumière blanche au néon de haut en bas de cages d’escaliers ouvertes à tous les vents. L’indicateur électronique annonçait le premier tramway à douze minutes, par chance la ligne conduisant aux quartiers informes à l’arrière de la gare centrale où se trouvait l’hôtel. Au loin j’apercevais un groupe d’hommes jeunes, agités et fortement éméchés, s’avancer vers l’arrêt, discernant malgré l’obscurité ce type de masculinité si caractéristique de l’Est dans son uniformité vestimentaire, crânes rasés, vestes à capuche et skets blanches. Ils me frôlèrent en vitesse pour se poster à l’extrémité du quai, hurlant sans discontinuer des choses incompréhensibles, bondissant de tous côtés et se provoquant les uns les autres dans une surenchère permanente. Dans le froid leurs voix rauques et enflammées par l’alcool n’en étaient que plus pénétrantes. Aucun mot précis ne se laissait discerner dans ce flot d’invectives, comme si le langage lui-même était devenu une aberration superflue dans cette explosion anarchique de pulsions, cette vitalité belliqueuse réfractaire à tout discours structuré. Durant les douze minutes d’attente (selon une conception élastique du temps propre aux compagnies de transports publics) les cris n’ont pas faibli un seul instant et je me tenais là, étrangement convaincu de l'idée qu'ils ne me porteraient pas atteinte, avant de finalement traverser la rue. Plus que l’inarticulation et la violence incontrôlable des éructations c’était leur capacité purement physique à crier sur un laps de temps si long qui était purement terrifiante. Était-ce leur jeune âge, des taux de testostérone supérieurs à la moyenne se combinant dans une chimie désastreuse ou tout simplement la norme comportementale du monde extérieur dont je n’aurais plus idée dans mon retranchement? Ces hommes étaient-ils capables d’une vie sociale normale hors de la nuit? Comment le langage pouvait-il réémerger après une telle brutalité? De l’autre côté du carrefour je les voyais monter dans le tram que j’avais volontairement dû laisser passer. Leurs cris retentissaient de l’intérieur de la rame, capsule cauchemardesque lancée dans le noir vers leur monde de chambres à peine meublées, de chaussettes sales et d’écrans plasma géants. Je venais de voir l’authentique recréation d’un temps où la loi de la meute était la seule concevable, où dans sa dénaturation terminale l’Allemand ne pouvait plus qu’être hurlé. Pour la première fois j’ai précisément senti ce que le nazisme a pu être - et doit continuer à être - dans les rues de bourgades somnolantes où les traques s'organisent tard le soir. Mais c'est par centaines de milliers qu'ils s'étaient alors mis à bondir comme de jeunes chiots détraqués.

 

Ce week-end Dresde est luisante de pluie, un début d'automne triste surprenant les touristes qui ne savent plus quoi faire de leur temps une fois visitées les merveilles architecturales de la Vieille Ville. Ils s’entassent dans les cafés décorés à l'ancienne en attendant une embellie qui tarde à venir. Le centre historique consiste en une collection de quelques objets sauvés du désastre et flottant au mllieu d’une immensité socialiste faite d’autoroutes démesurées et de blocs d’habitation lisses et identiques à tous les autres projets de l’ancienne RDA. Au-delà de cette reconstitution parcellaire ils ne s’aventurent que rarement car l’illusion de la continuité monumentale serait brisée. La reconstruction des quelques volumes environnant la Frauenkirche - elle-même réédifiée fragment par fragment sur le tas de ruines qui du temps du socialisme faisait figure de mémorial pacifiste - a très rapidement progressé, des immeubles hauts à l’enrobage pastel néo-baroque fermant un à un le vide informe du Neumarkt. Là comme ailleurs la bataille fait rage entre les tenants d’un conservatisme à tous crins et ceux qui voient en ce site une chance inespérée d’innovation et de juxtapositions audacieuses. Le climat culturel actuel ne se prête toutefois guère à ces prises de risque et l’option consistant à flatter le touriste par le dénominateur commun de la nostalgie immédiate et de l’enchantement de conte de fée a raison de toute objection et finit par l’emporter partout sans aucune alternative possible.

Dans toute la ville l’affichage publicitaire glorifie inlassablement cette grandeur peu à peu retrouvée. Dans les hôtels et les centres commerciaux l'âge d'or de Dresde est une valeur sûre, une période suffisamment éloignée pour ne pas être contaminée par les turbulences d’une histoire plus récente. Et on en fait vraiment des tonnes autour de ce patrimoine miraculeusement rescapé, une sorte d’inflation émotionnelle s’exerçant sur ces quelques pièces maîtresses d’un passé à partir desquelles toute beauté à venir doit s’articuler. C’est comme si le modernisme était à ce point discrédité qu’il est d’emblée exclu de toute reformulation future. Le résultat inspire une sorte d’étrangeté (ce qui en Anglais se traduit à merveille par le concept d’uncanny) flottant entre l’apparence d’une harmonie qui tire son évidence d’une familiarité ancestrale et la certitute lancinante de l’imposture d’un tel procédé qui ne peut que perpétuer le conservatisme ambiant et invalider toute chance de radicalité formelle. Sous la pluie les chantiers étaient submergés de boue, le centre-ville étant constellé de vides immenses en attente d’une mise en forme et du retour du sens. Je venais de revoir incidemment T. pour la première fois depuis Wannsee, et c’était là qu'il avait grandi dans un État maintenant disparu et dont il ne savait lui-même presque rien. La pluie incessante et le souvenir de ce soir d'été sous les guirlandes d'ampoules du Tiergarten ont imprégné ces deux jours. Une promesse de jeunesse à son contact, tout comme Dresde et sa cure de jouvence.

Autour des immeubles de la Prager Strasse et dans la gare centrale quelques groupes d’hommes jeunes, même dégaîne Proll que ceux de l'autre nuit, passaient leur dimanche comme il le pouvaient. Avec M. on s’amusait de leur style vestimentaire standard, non sans un désir certain pour eux et leur désinvolture, les appelant les Marcels, un nom très populaire à l’Est. Dans ses nombreux chantiers déserts sous le ciel gris Dresde était toute entière vouée à la recherche de son harmonie passée dans l'interchangeabilité de ses monuments historiques et de ses nouveaux centres commerciaux rivalisant de gigantisme. Une nouvelle osmose se constituera entre les deux mondes, la consommation à outrance alliée à une ringardisation programmée, une totalité rêvée de laquelle un semblant d'identité devra émerger. Au musée de la ville il y avait une exposition d’art russe. Rien de très nouveau mais dans son graphisme strident une confirmation de la violence que je venais d’entrevoir à Moscou. Lorsque en milieu d'après-midi le train quitta la ville croulant sous l’immobilité muette de ce jour mort et entra en gare de Neustadt je pensai à un tableau de Hans Körnig que je venais d'y voir, une scène intensément mélancolique du pont de chemins de fer avec un tramway s’éloignant lentement dans une lumière verte. Tout y trouvait résonance: le désir enfantin de Dresde de revivre sa jeunesse perdue, tout comme moi face à ces jeunes mecs en parfaite équation avec leur lieu.

Dresden Altstadt

Proll Boys, Dresden Hauptbahnhof

Filmtheater, Dresden Hauptbahnhof

 

It was a dreary weekend in Dresden. The rain hardly stopped and the groups of tourists visiting the architectural gems of the old town were at a loss for something else to do. After circulating around the few remnants of an organic continuity that had been destroyed in one night and that an ambitious rebuilding programme was painstakingly aiming at recreating - the centre piece of which being the recently re-erected Frauenkirche that had lain in ruins since the bombings - they flocked into shopping arcades and themed cafés to perpetuate the magic of the baroque past. Beyond the enchanted island it’s a very different story what with oversized highways and standard GDR Plattenbauten that bear little resemblance to the chocolate-box cosiness of the centre. The reconstitution of the Altstadt 'as it was’ is a deeply divisive issue as proponents of a traditional stage set of stuccoed fronts and pastel colours battle it out with more progressive minds that see in the site a chance to imaginatively confront old and new. The current cultural climate is such however (the planned rebuilding of the Berliner Schloss is yet another evidence of this highly reactionary approach to city planning) that the most conservative instincts are invariably pandered to with a mixture of fairy tale wonderment, fake luxury and instant nostalgia for a past that was necessarily more civilised, genteel and engaging in comparison to the upheavals and unpalatable uncertainties of the present.

Everywhere in the city advertising hoardings invite tourists and natives alike to sample 'the beautiful side of Dresden’ with an overemphasis on its opulent quaintness and emotional investment in those few precious architectural objects, blotting out any hint of modernism, let alone the terminally discredited kind inherited from the GDR. The Kulturpalast looms on one side of the unfinished Neumarkt but its uncompromising, cubic bulk will soon be concealed by rows of more humane, sugar-coated (and of course 'exclusive’) Bürgerhäuser. The fate of its big brother, Berlin’s Palast der Republik, might ultimately await it as the all-encompassing obsession for authenticity and homogeneity looks set to dominate the future architectural agenda. In hotels and shopping malls the golden age of Dresden is reaching overkill as an ideal time of refinement, glowing in an unproblematic past as detached as possible from the present. The result is an uncanny mixture of familiarity and discomfort stemming from the intrinsic fraud of such a blatant lie whilst huge vacant plots dotted around the city centre are waiting for a future meaning that precludes any new, challenging concepts. Looking at those muddy voids I was thinking of T., whom I’d just seen again for the first time since the afternoon at Wannsee. Dresden, in its search for a mythical beauty, bore the face of that man whose youth deeply moves me.

He’d grown up in what was still another country, now a distant memory for the youngest generations. T. is only slightly older than the young men hanging around the precincts of the Prager Strasse or the Hauptbahnhof’s concourses, not really knowing how to spend their endless Sunday. With M. we always comment on their unmistakable dress sense and call them the Marcels - after an extremely popular name in the East. It even borders on fetishization as they somehow embody for us, western, pampered sissies, the kind of undiluted masculiniy that seems to have survived only in former Ostblock countries, which have thus become our very own Orient. Around the station new shopping complexes competing in size aim at recreating an illusion of coherence in a hitherto extremely fractured urban fabric, and maybe Dresden’s quest for a lost unity will be resolved in this merger of mass consumerism with the sort of commodified pretiness that’s engulfing everything. Only then will it probably be able to get on with its new life... The city was oozing an eerie sadness as the train left. As it pulled into Neustadt station I thought of a Hans Körnig painting from the fifties that I’d just seen at the City Museum, an intensely melancholy view of the railway viaduct with a yellow tram vanishing in the distance. Just like youth itself. A youth Dresden is busy recapturing in the giddy exhilaration of reconstruction, just as I long for mine as I get past gangs of youths who've only ever known this place.

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