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28 December 2008

Pansy Division

Il y a quelques jours une amie - lesbienne - me confiait son exaspération devant la rafale de questions qu’elle avait récemment dû essuyer de la part de collègues de travail qui s’étonnaient de ce qu’elle n’ait toujours pas d’enfants. C’est qu’à quarante ans passés, la situation devenait critique. Épuisée par leur détermination de tout savoir et non-désireuse de s’épancher sur sa vie privée dans la cage à rats du monde de l’entreprise, elle finit par raconter qu’elle ne pouvait simplement pas concevoir. C’est alors que l’incompréhension céda le pas à une lame de fond de sollicitude empathique, chacun y allant de son conseil sur les dernières techniques de fécondation artificielle à tenter en ultime recours. Apparemment l’épisode est loin d’être isolé et aucun mensonge ou diversion ne sauraient avoir raison de l’indéboulonnable certitude qu’il n’est de salut hors du statut de parent, un fait qui ne se discute même pas tant il tombe sous le sens. Je trouvais ça gonflé et la colère ne tarda pas à prendre le dessus. Car après tout elle n’avait pensé qu’à se protéger, la vérité crue étant trop dure à entendre. Admettre que des gosses elle n’en n’avait rien à cirer et qu’elle n’éprouvait même aucun sentiment spécial à leur égard, l’aurait d’emblée rabaissée au rang de dernière des dernières, d’ogresse, de gorgone, de Myra Hindley réincarnée.

Cette dernière évidence d’abus hétéronormatif me rappela une autre instance d'obnubilation pour la petite enfance. C’était lors d’une émission de France Culture sur l’homophobie diffusée il y a un an ou deux. Les journalistes avaient eu l’idée originale de présenter la perspective de parents qui trouvaient difficile d’assumer l’homosexualité de leur enfant mais avaient tout de même entrepris d’y remédier en se constituant en groupe de soutien. L’une des mères, une femme posée dont on sentait bien qu’elle avait vécu l’enfer mais semblait enfin remonter la pente, faisait part de son deuil de ne jamais pouvoir devenir grand-mère, ce qui était triste et d’autant plus insensé que son fils n’était pas, du moins elle ne croyait pas, "stérile“. À ces mots mon sang ne fit qu’un tour: d’évidence c’est tout ce qui lui trottait dans la tête, son fils n’étant plus qu’un géniteur en puissance qui avait failli à ses devoirs, une bite à féconder absente à l’appel. Il m’est alors apparu que ma mère devait partager des sentiments semblables, me voir moi aussi avant tout comme un procréateur non-advenu, moi qui ai toujours tenu en horreur l’idée d’une quelconque continuité biologique, ma dissolution dans le pullulement infini de familles dont on ne sait rien. Des Esseintes et les fantasmes d’auto-engendrement qu’il avait pu inspirer dans ma jeunesse étaient donc toujours bien vivants - ce qui est rassurant.

Sur Stoke Newington Church Street, poche ultra-gentrifiée de la république populaire de Hackney, l’été avait amené avec elle une mode pour le moins curieuse: des hommes d’âge mûr et d’une corpulence bien loin de l’adolescence portant de petits pantalons courts à la mi-mollet et des sandales Birkenstock. Ils avaient l'air assez incongrus avec leurs manières de petits garçons dociles aux côtés de leurs épouses postées aux commandes de voitures d’enfants gigantesques. Je savais d’expérience qu’il n’était jamais avisé de vouloir forcer son chemin au travers de ces barrages de poussettes grosses comme des tanks qui occupaient toute la largeur du trottoir. Ces femmes, toujours mal coiffées et à l’air fermé, pouvaient être très remontées et affirmer leur présence de façon particulièrement aggressive. Cette stratégie d’occupation de l’espace me semblait même délibérée et révélatrice d’un phénomène plus global, d’une sorte de revanchisme social déguisé. Dans un contexte général de mainmise des classes moyennes sur d'anciens quartiers ouvriers, faisant flamber le prix du mètre carré et transformant notamment Stoke Newington en une sorte d’Islington du pauvre, on assista en un temps relativement court à une reconfiguration du domaine public centrée sur Church Street, qui pour moi devint un enjeu de nature proprement politique: face aux proles qui par opportunisme ou nécessité avaient déjà décampé et à une scène politique contestataire de plus en plus rachitique, les classes moyennes asseyaient là leur triomphe avec leur bras armé mobilisé en permanence, les cohortes de harpies à roulettes qui en cas de confrontation savaient toujours faire valoir leurs droits haut et fort.

Mais tout cela n’était rien comparé à ce qui m’attendait à Berlin, car loin de l’enclave dans un océan de barbarie que représentait 'Stokey’, Prenzlauer Berg est immense et la qualité de son bâti - des Mietskasernen monumentales superbement restaurées, l’un des plus beaux ensembles ayant survécu aux destructions - offrait un cadre idéal pour l’afflux massif de ces jeunes familles. Le ballet continu des poussettes le long de la Kollwitzstrasse témoigne de ce basculement socio-culturel et démographique tout comme la concentration ahurissante de layetteries dans le secteur. Bien loin d’être le quartier radicalement chic et alternatif qu’il a pu à un moment prétendre être (en continuation du microcosme contestataire qui s’y rassemblait déjà du temps de la RDA) cette partie de Prenzlauer Berg - englobant même jusqu’au Bötzow Viertel dont les trottoirs atteignent le même degré de congestion - ressemble carrément à une pouponnière à ciel ouvert, ce qui n’est évidemment pas franchement bandant en termes de crédibilité urbaine. Si bien que se promener le long de ses rues ou pénétrer dans ses commerces prend parfois l’allure de guerilla larvée, toute tentative de percer un front continu de mini-véhicules étant généralement accueilli par un silence dédaigneux, voire même une indifférence hostile. Moi, petit pédé improductif qui ne connaît rien à rien de la vie de famille ni des sacrifices auxquels celle-ci astreint, à quels droits puis-je prétendre face à ses femmes qui ont tout donné pour la communauté et comptent bien le lui faire reconnaître? Mais comme le faisait remarquer un ami à qui je racontais mes déboires de voisinnage et qui lui doit composer avec une menace bien plus persistante dans les rues de Budapest, j’ai quand même le luxe inouï de pouvoir me choisir ce genre d’ennemis...

 

Heliogabale, Stoke Newington, 1995

 

"Last night I lay trembling, the moon it was low
It was the end of love, of misery and woe"

(Nick Cave & The Bad Seeds, Lucy)

 

C’était à Stoke Newington, dans la maison où j’ai dû vivre près de trois ans. La plus belle de toutes et sans doute la seule longue période de temps où je ne me suis senti en danger de départ forcé. Une petite communauté s’y était développée et il me plaisait d’être une part incontestée de son noyau dur, celui qui s’est maintenu jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’éviction qui n’a pas manqué... Il faisait noir et j’étais allongé sur mon lit. Dans la chambre retentissait Foi Na Cruz de Nick Cave, chanson d’une sérénité magnifique qui me venait d’un matin de jeunesse, lorsque un dimanche d’été j’étais rentré à pied de la gare après une nuit à Paris. Les rues bordées de marronniers étaient encore désertes dans la lumière qui fusait doucement, la légèreté de l’air doré tranchant avec la lourdeur habituelle de ces retours solitaires. Je crois que c’était peu avant mon départ pour Londres. La vie me semblait à nouveau pleine de promesses et pour la première fois je me sentais calme et confiant en ma réalité physique dans le monde... Un intense bien-être me gagnait alors que les violons tournoyaient en nuées aériennes et gracieuses. Un sentiment de contentement et de plénitude bienheureuse alors que sur le mur obscur de dessinaient des formes mouvantes, arabesques scintillantes qui disparurent pourtant presque aussitôt. Observant le bas de la porte j’aperçus alors que la lumière du palier s’allumait et s’éteignait alternativement. La panique devint rapidement oppressante quand à plusieurs reprises la porte s’ouvrit partiellement sur quelque chose que je n’arrivais à discerner. Une fraction de seconde il me semble avoir pensé à la parfaite similitude de la scène avec les invasions répétées de Repulsion. Puis soudain elle est entrée, ma mère, sa présence reconnaissable malgré l’imprécision de ses traits brouillés par l’obscurité. Elle s’avançait tout droit en direction du lit comme un automate impassible et dans la terreur de la voir se lancer sur moi je restai pétrifié dans mon attente de l’inévitable. C’est alors que dans son approche inexorable elle se mit à grossir et m’enjamba dans la même foulée, une mère gonflable qui s’élevait au-dessus de moi en une immense arche noire et passa hors de ma vue, vers la ville au-delà, dans son expédition d’épouvante. Je criai à plusieus reprises pour me forcer à me réveiller. Je savais comment sortir de ça, ce n’était pas la première fois. M., alarmé par le bruit, me réconfortait et je me rendormais calmement, attribuant cette agitation aux quantités invraisemblables d’alcool ingérées dans la journée. Quelques heures plus tôt j’avais rencontré Bogosse.

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