Un Vide dans mon Cœur
Je ne sais plus vraiment comment c'est arrivé. J’imagine que le désengagement a été lent, le retrait de l'extérieur progressif dans un désintérêt croissant pour le devenir de cette ville. Le regard insensibilisé ne réussissait plus à tirer quoi que ce soit des espaces, des textures, de tous les détails infimes dont est faite la trame urbaine, tout s'abîmant dans une équivalence diffuse dont je savais que l'avenir, strictement normalisé et planifié selon une trajectoire prédéfinie, ne nous sortirait plus. J'avais longtemps redouté ce sentiment de dégrisement après m'être à l'envi étourdi du mythe de Berlin, de son spectacle constamment remis en scène, son ensorcellement, son érotisme, ses tragédies incroyables et ses destructions titanesques, son esthétique rétro-trash imitée dans toutes ces capitales avides de capter ne serait-ce qu'une étincelle du cool local. Quand je suis venu y vivre certains parlaient déjà, avec l’air las de gens soucieux d’affirmer leur antériorité - et donc l’authenticité de leur expérience - dans une métropole encore vierge de toute mainmise spéculative et du formatage bourgeois d’un Ouest hégémonique, de l’époque depuis longtemps enterrée de l'immense laboratoire de l'après-Wende que par mes choix d’émigration je me maudissais de n'avoir jamais connue. Si seulement mon cœur n'avait pas penché pour Londres, si j'y avais laissé reposer ces vieilles histoires de mecs, si j'avais mieux cerné la portée de ce qui s'y jouait, j'aurais pu moi aussi me prévaloir d'avoir vu et vécu 'ça'. Aujourd'hui la tentation est grande de prendre le même air navré en soupirant devant tout nouvel arrivant, souvent de jeunes Français qui des étoiles plein les yeux ‘se font leur Berlin’, à quel point les choses ont changé, et pire, dans quelle précipitation exponentielle. Je les envie d'en être à ce point amoureux et de s’émerveiller de son étrangeté, de ses noms difficiles à prononcer - de ‘Warschaoueur’ en ‘Kottbousseur’ -, de la liberté vertigineuse du corps lâché dans les rues désertes, des invraisemblables hauteurs de plafond d’appartements palatiaux, de la douceur des soirs d’été dans les parcs peuplés d’amis. Moi non plus je ne m'étais pas remis, lors de ces week-ends en solitaire, de me trouver propulsé dans plusieurs temps à la fois, pris dans une diffraction de mondes contradictoires, grisé par l'anticipation d’initiations neuves et de découvertes sexuelles inenvisageables ailleurs. La ville étant restée dans un état de relative suspension étonnamment longtemps, le processus de reprise en main enclenché ces dernières années au rythme de disparitions emblématiques - du plus localisé avec l'étiolement de la vie nocturne sous le coup d'un embourgeoisement familialiste au plus symbolique dans l'épopée nationale comme la destruction du Palast der Republik - n'en a paru que plus violent dans l’éradication mémorielle de tout ce qui pouvait faire obstacle à la crédibilité d'une capitale rutilante aux prétentions internationales. Car le spectacle a fini tel un cancer par absorber, recracher et nous faire payer au prix fort la création urbaine la plus originale de l’histoire contemporaine.
Il y a dix ans, un opuscule découvert à la faveur d'une petite exposition dans une galerie de Schlesische Strasse avait à lui seul forgé ma vision de cette ville et donné forme à toutes les promesses de renouvellements à venir qu'elle semblait recéler. Spaces of Uncertainty [1] dépouillait Berlin, dont la substance même avait tant de fois été détruite, recréée et recyclée, de toute fixité signifiante dans la glorification de ses espaces sans qualité, ses vides où venaient s'inscrire une infinité de sens et de désirs. Parvenue à ce stade de perturbation visuelle et de désordre, elle ne 'ressemblait plus à rien' et c'est ce manque d'identité univoquement circonscrite qui la rendait multiple - et en cela laissait entrevoir la metropolis du futur - dans son rejet du monumental et du spectaculaire, d'une ligne narrative définitivement cristallisée et d'une quelconque cohérence physique. C'était dans ses lacunes, accidentées et amorphes, que s'écrivaient des histoires flottantes et toujours renouvelées, celles de tous les passés, toutes les origines et sexualités. Champs mouvants d'interactions humaines informelles et de micro-interventions architecturales transitoires, cette constellation de terrains vagues, où la nature reprenait ses droits dans les interstices du bâti, échappaient à l'emprise d'un discours dominant pour devenir le réceptacle vide de tous les possibles, New Babylon makeshift laissant intactes les marques contradictoires et entrechoquées d'une histoire chaotique. Mais l'entreprise de requalification urbaine était entamée depuis longtemps et l'ancien Mitte déjà pétrifié dans une fiction minérale de perfection historique. J'imagine qu'en ces temps exaltés les conceptions les plus radicales se sont opposées sur la forme à donner à la capitale nouvellement réunifiée et qu'une vision frileuse et anachronique (résumée dans l'appellation aussi bureaucratique que funeste de Kritische Rekonstruktion) a fini par s'imposer aux plus hauts sommets des instances décisionnelles [2]. C'est que Berlin devait à nouveau présenter au monde un visage respectable et aisément identifiable, celui-ci devant trouver sa légitimité dans le passé le plus 'irréprochable' incarné dans l'ancien noyau baroque tiré au cordeau et allié à la pureté néo-classique (et forcément sublime) de Schinkel. Il suffit ainsi de se promener dans la Friedrichstadt et voir ce qui se trame autour du Humboldthafen pour mesurer les effets de cette orthodoxie urbanistique dont personne n'a depuis osé dévier: une vision ultra-conservatrice de la ville répétant invariablement un ordre immuable de volumes opaques, un hygiénisme architectural psychorigide au service d'une esthétique générique et sans âme comme en témoignent la série de chancres (des hôtels pour la plupart) agglutinés à la Hauptbahnhof et les deux nouveaux super-ministères venant compléter le secteur gouvernemental, emblématiques à eux seuls (et j'omets le nouveau siège des services secrets à quelques minutes de là, complexe d'un gigantisme sidérant qui ne laisse rien douter de l'ampleur de l'appareil étatique de surveillance) de cette approche totalisante qui n'aurait en rien déplu à Albert Speer.
Une nuit d’hiver je marchais vers Neukölln, les feuilles jaunies étaient glissantes dans la rue mal éclairée, comme elles le sont toutes dans cette ville au rayonnement infra-lunaire. J’allais voir ‘Sneaker-NK’, célébrité incontournable d'une certaine obédience de la scène gay fétichiste, une baraque qui dans ses temps morts aimait cabosser des bagnoles désossées à coups de lattes. J’avais un peu peur, je savais que ça allait chauffer pour moi dès mon arrivée et étais réticent à l'idée d'en ressortir comme la première fois le crâne couvert d’ecchymoses. C’est en levant les yeux que je vis que les petites veilleuses rouges qui couronnaient les clochers de cette partie de Kreuzberg - on était là dans les dernières secondes de descente vers les pistes de Tempelhof - étaient toutes éteintes. Chaque nuit elles constellaient le ciel, logées dans les niches de brique comme dans des tabernacles, donnant au quartier une aura légèrement onirique dans cet enchaînement d’églises rougeoyantes. Je compris que c’était fini, qu’une parcelle infime d’enchantement manquerait désormais à la dramaturgie générale avec la mise au rencart de l’aéroport, dont le faisceau de lumière blanche avait lui aussi cessé de balayer l’horizon comme dans un décor de théâtre. Mes nuits à Kreuzberg étaient sur le point de sombrer dans une noirceur bien plus grande encore... Je crois que le démantèlement du Palast der Republik avait commencé à peu près au même moment, point de basculement important dans mon rapport au lieu et abcès ouvert autour duquel une logique d'État réactionnaire et à rebours de toute modernité devait se dérouler implacablement. Quelques années après sa déclaration d'insalubrité due à l'amiante (le whitewashing, comme son corollaire pink, ont ce don inouï de masquer des motifs inavouables sous des fictions confondantes de véracité) jusqu’à sa démolition exorbitante qui devait plomber plus avant les finances déjà catastrophiques du Land (le Palast avait la peau dure et cachait dans ses immenses entrailles d’autres réserves toxiques), l’ancien épicentre de la vie socio-culturelle de Berlin-Est, siège de la Volkskammer et fierté du régime dans sa magnificence plastique, avait connu une excitante, même si très courte, seconde vie [3]. Dépouillé de sa décoration vintage - quelle boutique, boîte ou bar à hipsters n’a pas hérité d’une des centaines de loupiottes de chez Erichs Lampenladen? - l'édifice, évidé de l'intérieur, était réduit à sa plus simple expression structurelle, l'espace gigantesque s'adaptant à volonté à toutes sortes d'installations, performances et mises en scène cutting edge. Inondé pour former un lac intérieur ou transpercé de montagnes artificielles (Louis II de Bavière, proto-Situ échoué dans une époque d'expansion impériale sous l'égide prussienne, aurait certainement admiré ce tour de force), écrin rêvé pour un concert d'Einstürzende Neubauten, le Volkspalast eut un retentissement d'autant plus considérable que ses jours étaient comptés, et fut vite adopté comme un lieu expérimental en osmose intime avec son environnement et perméable à toutes les transformations. Un cœur en reformation permanente, inachevé et d'une nature indéfinie, rien ne pouvait incarner de façon plus brillante une ville par essence 'condamnée au devenir'.
C’est que pendant ce temps œuvrait dans les coulisses du pouvoir un lobby particulièrement puissant, ou tout du moins très bien introduit dans ses hautes sphères, dont l'ambition était de 'redonner sens' au centre historique de Berlin, qui ne pouvait prétendre à son rang de capitale de l'Allemagne réunifiée qu'en réédifiant le palais ancestral de la dynastie des Hohenzollern dynamité par le SED en 1950 et qui, ressuscité sous le nom de 'Humboldtforum' - étrangement bâti 'à l'ancienne' sur seulement trois de ses côtés -, devait abriter les collections muséales jusque là conservées à Dahlem. Sur un plan purement formel l'entreprise était déjà douteuse: de même que l'ignoble confection wilhelminienne du Berliner Dom tassée juste en face, le Stadtschloss, agglomérat de vieilleries hétéroclites et d'un énorme baraquement prussien coiffé d'une coupole, n'était hélas, dans ses prétentions provinciales à la pompe impériale, ni Versailles ni Schönbrunn. Mais c'est évidemment le revanchisme idéologique et le triomphalisme d'une certaine frange de l'Ouest réactionnaire - la fameuse Spießertum qui s'est juré de dénaturer l'esprit de cette ville par tous les moyens - qui sont la raison d'être d'une conception frelatée de l'urbanité qui ne m'inspire rien d'autre qu'une violente exécration. Car la vision que Wilhelm von Boddien, homme bien né à l'origine du projet et visiblement nostalgique d'un ordre politique ayant sombré corps et âme en 1918, et ses amis haut placés nous imposent sans sommation n'est ni plus ni moins que la bunkérisation du centre historique dans un pastiche approximatif suant de fantocherie absolutiste, d'hégémonie militariste et de bellicisme impérialiste [4], sans parler, à l'âge d'une commodification sans limites, de l'atteinte mortelle portée à l'image arm aber sexy - formule retrospectivement malheureuse du maire tournée en ultime argument marketing - de la capitale autoproclamée du cool mondial. Mais plus fondamentalement, un geste aussi manifestement vide, absurde et excluant est, dans son rejet de toute ouverture de sens, l'inverse exact de ce que la modernité berlinoise, faite de réseaux complexes d'histoires et de récits densément texturés, a toujours été. David Harvey a très bien développé ce point: loin d'être une seule question de choix esthétique sans répercussions au-delà de cercles élitistes (et j'ajouterai, loin de n'être qu'une attraction digne de Las Vegas - même avec la caution culturelle - coupée d'un ailleurs alternatif supposé 'réel'), la future présence du Schloss en tant que centre symbolique mobilise tout un imaginaire historique collectif et une politique identitaire qui entrent nécessairement en interaction avec la nervosité actuelle autour de ce qui constitue l'authentique 'berlinité' (et qui est autorisé à s'en réclamer), dans un contexte de tensions résurgentes sur la présence de réfugiés dans certains quartiers (incidemment périphériques [5]) et d'hostilité déclarée aux touristes/hipsters - têtes à claques ou non - dans la poudrière lifestyle qu'est devenu Neukölln. Harvey souligne très justement que la communauté turque, dont la présence déjà ancienne est fondamentalement constitutive de l'identité locale, se trouve totalement ignorée d'une vision dominante dont le récit bétonné de tous côtés et intrinsèquement nationaliste ne lui laisse aucune place [6].
Cela fait un certain temps que la mobilisation s'amplifie à Kottbusser Tor, où les habitants des logements sociaux environnants ont cet hiver établi un campement provisoire pour dénoncer les fortes hausses de loyer les affectant et signifiant pour beaucoup un départ forcé, mouvement ponctué de plusieurs manifestations de soutien envers les familles (majoritairement turques) menacées d'expropriation. Les marches les plus récentes appelaient aussi à la solidarité avec les révoltéEs de la Place Taksim en mettant en exergue la coïncidence des combats. Il est intéressant de voir que les insurrections du Parc Gezi ont eu pour point de départ un projet urbanistique autoritairement imposé par le gouvernement AKP, qui consistait en un pastiche revival d'un casernement militaire de l'ère ottomane avec un shopping centre niché à l'intérieur. On ne manquera évidemment pas d'établir un parallèle avec la montagne de chantilly qui nous attend ici, ni de comprendre qu'un ensemble aussi massif aux accès stratégiquement disposés n'est qu'une façon subreptice de contrôler tout espace public ouvert à la contestation - l'abrutissement de la ville marchandisée étouffant toute vélléité révolutionnaire. Il est également clair que le droit à jouir de l'espace collectif est indissociable d'exigences et de besoins politiques fondamentaux, comme les événements ultérieurs et la répression policière qui s'en est suivie l'ont amplement prouvé... À Kreuzberg, Neukölln et au-delà, des communautés discriminées se trouvent en première ligne des évictions dues aux logiques d'un marché immobilier hors de contrôle et aux transformations de la configuration socio-culturelle de Berlin, et c'est leur présence même en son sein qui après plusieurs décennies se trouve remise en cause et occultée dans l'homogénéisation en cours. En circulant sur les coursives du Kreuzberg Zentrum, l'immense muraille dominant la jonction de son modernisme terni, il est frappant de voir à quel point le complexe, dans la multiplicité des commerces et lieux de sociabilité communautaires - turcs, queer -, s'est constitué au fil des années par accrétions successives et a laissé se développer une vie collective foisonnante le long de ses streets in the sky, une allure d'Istanbul transfigurant ce qui n'était au départ qu'un ouvrage de logement de masse technocratique - tout l'inverse de la forteresse impérieuse, lisse et monosémique du Stadtschloss. Les relents impérialistes de cette obturation (et obfuscation) d'une identité multiple allant de pair avec la vampirisation capitaliste de l'espace urbain, c'est en toute logique que le Humboltforum trouve son pendant contemporain dans la gigantesque opération immobilière de Mediaspree, qui depuis la chute du Mur transforme par à-coups aléatoires les abords du fleuve dans l'ancien est industriel. Malgré l'opposition exprimée lors d'un référendum local tenu en 2008 et dont les revendications exigeant la préservation du libre accès aux berges et la restriction des hauteurs de bâtiments n'ont jamais été prises en compte par le Sénat, le projet a récemment connu une accélération certaine avec l'arrivée de global players et le bétonnage systématique de la Mühlenstrasse.
Un simple coup d'œil suffit pour mesurer l'étendue de la désolation promise: entre les mastodontes opaques de l'O2 Arena et de Mercedes-Benz, avec son célèbre logo rotatif surdimensionné nous la rejouant Berlin Icon, se déploie un paysage à serrer la gorge de parkings asphaltés, de parkings à niveaux multiples et d'œuvres d'art de série Z (le syndrome turd on the plaza devrait fonctionner à plein ici pour compenser le manque criant de vision) comme l'infâme nounours multicolore et boursouflé, sorte de Jeff Koons du pauvre, échoué en bord de route. Face à cette dystopie en devenir, on pense nécessairement au prix à payer pour en arriver là: on ne compte plus les hauts lieux de l'avant-garde nocturne dont est faite la légende de cette ville qui ont été éradiqués par l'avancée désordonnée mais implacable de Mediaspree, tout comme ces havres de cultures sexuelles dissidentes (le Schwarzer Kanal, campement de roulottes queer radical éjecté vers Treptow après des années d'errance et Ostgut, ancêtre du Berghain occupant jadis un entrepôt le long des voies ferrées et théâtre de parties orgiaques comme on n'en fait plus - j'aurais au moins connu ça), toutes choses dont on ne s'étonnerait plus à New York mais qui ne semblaient jamais devoir se produire ici: en vertu d'une tradition séditieuse largement vantée, on aurait nécessairement dû y faire les choses autrement, tirer les leçons du passé et inventer un mode de développement inédit. Peine et énergie perdues... Mais l'excitation renaît sporadiquement à la faveur de sursauts d'indignation citoyenne comme celui qui en mars a accompagné la destruction d'un segment de l'East Side Gallery en prélude à la réalisation d'un projet 'de grand standing', une tour savamment tarabiscotée pour faire l'intéressante et fabuleusement nommée 'Living Levels'. Le site internet en exposant les mérites vaut vraiment le détour car ce qui est en jeu ici va bien au-delà d'un logis confortable au bord de l'eau: c'est une transcendance expérientielle, une extase esthétique, un niveau supérieur de conscience seulement accessibles aux quelques privilégiés admis dans ses hauteurs raréfiées - '14 floors surpassing expectations' -, emphase assez exceptionnelle dans la novlangue du luxe immobilier déjà très portée sur le superlatif. L'abus des anglicismes est également une constante, ce qui à arm-aber-sexy Berlin ne fait que renforcer la vacuité délirante de ces promesses d'ultimate lifestyle, et voilà bien longtemps qu'on n'y craint plus le ridicule. Ainsi Upper Eastside sur Unter der Linden, un rien décalé face à la banalité du résultat, et Alexander Parkside, un nouvel ensemble hôtelier haut de gamme qui offre la particularité de n'être environné d'aucun parc... Mais une chose est d'ores et déjà certaine: 'Living Levels', plantée seule dans les matins gris des bords de Spree et sans la vie créative frénétique des plaquettes publicitaires, viendra confimer que dans le domaine du luxe yuppie comme de l'élégance aristocratique, Berlin est et reste fidèle à une exquise vulgarité bien à elle.
[1] Kenny Cupers & Markus Miessen, Spaces of Uncertainty (Wuppertal: Verlag Müller + Busmann KG, 2002).
[2] Une excellente analyse des ressorts idéologiques de la Kritische Rekonstruktion, notamment dans le cadre de l'oblitération des vestiges de la RDA et la restauration d'un ordre architectural conservateur reposant sur le mythe d'un âge d'or urbain: Brian Ladd, The Ghosts of Berlin. Confronting German History in the urban Landscape (Chicago, London: The University of Chicago Press, 1997), 47-70.
[3] La littérature consacrée à cette icône du gliz DDR, aux débats agités entourant le traitement politique de son démantèlement et à de possibles alternatives à son remplacement par un palais néo-baroque en plein XXIe siècle est vaste. Citons:
- Anke Kuhrmann, Der Palast der Republik. Geschichte und Bedeutung des Ost-Berliner Parlaments- und Kulturhauses (Petersberg: Michael Imhof Verlag, 2006)
- Amelie Deuflhard, Sophie Krempl-Klieeisen, Philipp Oswalt, Matthias Lilienthal & Harald Müller (eds.), Volkspalast. Zwischen Aktivismus und Kunst (Berlin: Theater der Zeit / Recherchen 30, 2006)
- Philipp Misselwitz, Hans Ulrich Obrist & Philipp Oswalt (eds.), Fun Palace 200X. Der Berliner Schlossplatz. Abriss, Neubau oder grüne Wiese? (Berlin: Martin Schmitz Verlag, 2005). Le parallèle avec le Fun Palace de Cedric Price est central dans ce qu'aurait pu être une vie ultérieure du Palast.
- Anna-Inés Hennet, Die Berliner Schlossplatzdebatte im Spiegel der Presse (Salenstein: Verlaghaus Braun, 2005).
[4] Bien que l'Allemagne n'ait jamais étendu sa domination coloniale aussi largement que les empires français ou britannique, les atrocités commises par l'armée du Kaiser au début du XXe siècle dans le sud-ouest africain n'ont rien à envier à ses rivales. L'association Berlin Postkolonial s'est donnée pour mission la reconnaissance de cet héritage occulté dans les récits dominants de la ville. Elle est à l'initiative d'une campagne, No Humboldt 21!, exigeant l'établissement d'un moratoire sur l'appropriation et la présentation d'œuvres d'art extra-européennes dans les futures galeries ethnologiques du Humboldtforum, concept muséologique qualifié d'eurozentrisch und restaurativ et déployé dans l'épicentre reconstitué de l'ordre impérial et colonial à l'origine de ces spoliations.
[5] Selon un discours extrêmement répandu - et les jeunes Français nouvellement arrivés ici le répercutent très vite - l'énorme bloc géographique situé à l'est du Ring (c'est-à-dire au-delà des nuits fabuleuses de Friedrichshain) s'apparente à un tout indifférencié de Plattenbauten, de tasspés brûlées aux UV et de proles rasés aux tatouages racistes. Sans bien évidemment nier la réalité des violences xénophobes endémiques dans certains quartiers des périphéries de l'est (Lichtenberg et plus particulièrement Hellersdorf, récemment le cadre d'une mobilisation néo-nazie virulente contre un projet d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile), certaines catégories culturellement privilégiées d'un ouest forcément vertueux - ouvert sur le monde et naturellement tolérant - se sentent exonérées de tout soupçon de discrimination en en rejetant la faute sur un autre 'orientalisé' et déficient. Ce qui rappelle fortement le procès en sexisme et en homophobie constamment intenté par les classes blanches bien pensantes aux populations des banlieues françaises jugées intrinsèquement arriérées et violemment hostiles à toute altérité. Sur l'orientalisation de l'ex-RDA d'après une grille de lecture inspirée d'Edward Said: Paul Cooke, Representing East Germany since Unification. From Colonization to Nostalgia (Oxford, New York: Berg, 2005).
[6] David Harvey, Rebel Cities. From the Right to the City to the urban Revolution (London, New York: Verso, 2012), 106-8.
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