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backUn Vide dans mon Cœur | Main | Brillante et Glacéeforward

05 August 2013

Dirty Boys

Novi Beograd, Blok 62

Fanny Zambrano était fin prête, comme chaque mercredi après-midi, pour sa sortie au supermarché des Cascades. C'était l'étape alimentaire de milieu de semaine pour parer au plus urgent, en attendant la grande virée du samedi matin flanquée du père, muré dans un silence dont elle ne parvenait plus à localiser l'origine, et de ce petit con de Lucas qui venait de redoubler deux classes de suite, ce qui la désolait dans son impuissance face à un système éducatif implacable, ce rouleau compresseur indifférent aux difficultés des gosses de banlieue. Parfois elle profitait de l'occasion pour s'accorder un petit plaisir comme passer chez le coiffeur se refaire une couleur. C'est que les racines qui repoussent sous le blond platine, ça fait pute, comme elle aimait à le répéter quand celles-ci commençaient à devenir trop apparentes, et pour rien au monde n'aurait-elle voulu donner prise aux voisines dont elle ne connaissait que trop le penchant insatiable pour les ragots juteux. C'est qu'elle avait une réputation à défendre, une image à maintenir et qui faisait toute sa fierté dans un monde déclassé qu'elle voyait sombrer toujours un peu plus chaque jour, et elle se targuait d'être unanimement admirée dans cette partie de la cité pour son style impeccable et son instinct unique pour la juste coordination des coloris. "Fanny, elle est super belle, elle pourrait faire Secret Story", roucoulaient à l'envi les sœurs d'Hocine, qui rêvaient de pouvoir elles aussi se payer au marché les mêmes fringues dégriffées tombées du proverbial camion. Aujourd'hui elle avait sorti le grand jeu avec sa robe préférée du moment, la mauve affriolante à strass avec les fines bretelles nouées aux épaules et fendue sur le côté. David trouvait ça un peu too much pour juste aller faire ses courses mais c'était pour cette femme tombée jeune dans le devoir matrimonial l'une des rares occasions de se montrer au monde et revivre un peu, un après-midi de liberté rien qu'à elle entre ses shifts au magasin d'ameublement où les clients à conseiller ne lui laissaient aucun répit et les week-ends claquemurés dans l'appartement avec le père, ce monolithe obscur d'autorité usurpée, effondré devant la télé.

Elle était affairée à demander à David quel parfum de yaourt il désirait cette fois-ci lorsque la sonnette retentit d'un petit coup sec. C'était Hocine, tout sourire en mode bogosse qui prépare un coup fumant, avec Loïc, le crâne tondu de frais et sa peau pâle de rouquin déjà marquée des premières brûlures de la canicule. Ses biceps ciselés étaient bien mis en valeur par un maillot de basketteur oversized qui lui baillait sous les aisselles, et David n'eut aucun mal à remarquer que le keum, qui marchait toujours les jambes légèrement arquées, ne portait rien sous son bas de survêt gris baggy, celui qu'il traînait la plupart du temps et avait l'air franchement crade. Rien n'était laissé à l'imagination, c'était rien de le dire, la teub balançant lourdement d'un mouvement pendulaire sous l'étoffe épaisse, et on devinait même un début de gaule comme s'il était conscient que l'attention de tous était polarisée sur son entrejambe. David espérait juste que la mère, cette sainte préservée des saloperies des hommes, ne verrait rien de ce petit manège et tenta de faire diversion:

- Bon, ben, prends-moi fraises des bois alors...

- Bonjour madame, s'exclama Hocine de façon un peu trop obséquieuse au goût de David, qui secoua la tête d'un air incrédule. "Celui-là, il est capable de n'importe quoi quand il sait qu'il va niquer", pensa-t-il, amusé par la bonne humeur de son pote.

- Salut les gars, rétorqua gaiement Fanny qui n'avait rien oublié de ses antécédents de meuf de bande. Vous allez encore passer votre après-midi sur internet? Faites gaffe hein, je vous ai à l'œil moi, ajouta-t-elle avec un sourire entendu... Oui, oui, tu peux faire çui qui comprend pas, mais moi je sais tout, continua-t-elle en direction d'Hocine qui avait pris son faux air de sainte-nitouche.

- Oh là, arrête d'être relou comme ça, la coupa David, visiblement embarrassé devant ses copains et la poussant déjà vers la porte. On mate juste des vidéos de rap, c'est tout.

- Bon, c'est bien. Si papa il revient avant, dis-lui que je lui ai mis du rôti au frais... Allez, à tout-à-l'heure.

- Au revoir Madame Z, et encore merci pour les conseils, reprit Hocine d'une voix encore plus mielleuse alors que la porte claqua et que le cliquetis des escarpins s'éloignait dans le couloir.

- T'es vraiment qu'un gros bouffon, lâcha David, plié de rire, en lui décochant un coup dans les pecs.

Il n'y avait pas une seconde à perdre, et encore moins si par malheur le père était pris de la lubie soudaine de rentrer tôt, ce qui semblait très improbable à David tant le vieux semblait totalement démuni dans l'environnement domestique auquel il préférait depuis longtemps la compagnie des poivrots du 'France', le bar-tabac à thème nautique des Cascades. Fanny le savait bien et évitait soigneusement ce secteur du centre pour s'épargner le risque de trouver son mari titubant dans les allées ou avachi dans l'un des ascenseurs dégueus ouverts aux quatre vents. David, posté à la fenêtre, était passablement nerveux, sachant sa mère encore à proximité alors que ce queutard de Loïc était déjà assis devant l'ordinateur, plongé dans sa recherche d'un site de boule. Hocine, la main déjà glissée dans le caleçon, avait pris place sur le fauteuil près du lit, un truc tout en skaï rouge datant de Mathusalem et légué à la famille par mémé Jaja peu avant son expédition chez les vieux.

- Putain, tu pourrais attendre qu'elle soit sortie, non?... Mais qu'est-ce qu'elle fout, bordel de merde! Je te parie qu'elle est en train de jacter avec une des daronnes sur la coursive.

David ne connaissait pas bien Loïc, enrôlé à l'insistance d'Hocine qui manifestement avait déjà testé le bon coup. Il le voyait juste zoner de temps à autre en bas de l'immeuble avec toute la bande et n'avait jamais vraiment su quoi lui dire. Il était plutôt du genre ombrageux, mais curieusement toujours très remonté pour traiter de pédé quiconque n'entrait pas dans ses critères de masculinité idéale - c'est-à-dire un modèle en tous points calqué sur sa propre personne. Il en avait même fait chialer le voisin du troisième, Thomas Delcourt, un mec discret et bosseur, copain de classe de David, sorti un jour dans des Converse fushia et forcé de raser les murs sous les invectives salées d'une douzaine de keums surexcités - les 'tarlouze', 'enculé de ta race' et autres 'sale pédophile' l'avaient poursuivi à travers le square telle une nuée d'Érinyes. D'un naturel meneur quand l'urgence de la chasse au déviant le justifiait, il pouvait en une fraction de seconde virer ultra vicelard, et pour une raison difficile à cerner Hocine s'était pris d'une réelle affection pour lui au point qu'ils passaient parfois la soirée ensemble allongés sur la pelouse à bédaver et se raconter on ne sait quoi, intimité qui irritait David sans qu'il n'ose jamais apposer à ce sentiment le simple mot de 'jalousie'.

Fanny finit par émerger du hall d'entrée, la démarche à la fois volontaire et aérienne, en direction du centre commercial situé au-delà des zigzags multicolores du quartier de l'Équinoxe. C'est vrai qu'elle était belle, et encore plus depuis qu'elle s'était laissé pousser les cheveux qu'elle frisait au fer en un brushing seventies vaporeux - elle avait vu Madonna coiffée comme ça dans sa dernière vidéo et avait adoré. Les mecs assemblés sur les bancs la saluaient tous avec une courtoisie exagérée, un autre la contournant même en bécane pour lui mater ostensiblement le cul qui se détachait à merveille sous le tissus frissonnant de brise estivale. C'est qu'elle était connue comme le loup blanc, la Fafa, une vraie môme des Planètes depuis que la famille avait emménagé là en 1971 avant même que la cité ne fût totalement sortie de terre, et n'était jamais avare de son temps pour les autres - une voisine devant confier son gosse en urgence ou bien la grand-mère sénile de l'autre côté du palier qui ne pigeait plus rien aux formulaires administratifs,- ce qui lui valait un respect énorme dans le quartier, et même au-delà. En fait c'était une chic fille, pleine d'une abnégation résignée quand elle songeait à Éric et au mal de plus en plus avéré qui rongeait son mariage: 'Il est comme ça hein, mais au fond c'est pas un mauvais cheval", avait-elle même coutume de dire à ses fils.

La jeune femme s'éloignait dans le soleil et tout autour d'elle s'égayait. David songea un instant comme ils étaient rares ces moments où la cité était si débordante de vie, heureuse de former une grande communauté soudée et sans histoire, même si sa splendeur futuriste avait depuis longtemps perdu de son lustre, les œuvres d'art disposées un peu partout ayant été soit mutilées soit carrément retirées par la ville. Comme elle était facile à vivre quand le casos du douzième ne balançait pas, dans un de ses accès de rage psychotique, son frigo par la fenêtre ou sans ces cris d'égorgé qui résonnaient certaines nuits noires dans le cœur sans fond du parc et glaçaient le sang. La municipalité avait d'ailleurs fini par y réparer les fontaines et les grandes orgues aquatiques avaient été tournées plein pot pour cette première journée réellement torride. Les hauts jets rafraîchissaient l'air pour le plus grand plaisir des petits qui pataugeaient dans un bouillon mousseux d'azur verdâtre et des mamans qui les observaient assises en groupes sur le gazon au son des pétarades de scooters et des basses sourdes de hip hop émanant des étages. Tout semblait participer d'un ordre naturel immémorial, ainsi donc allait la marche du monde.

Difficile alors de croire devant tant d'insouciance que l'été précédent la cité avait été mise en état de siège, quand à la suite d'un mitraillage avec des malfrats du coin, les flics avaient bouclé tous les points d'accès et contrôlé des jours durant les allers et venues de chaque habitant, fouille de véhicule à la clé. Tard dans la nuit l'offensive armée atteignait son paroysme lors d'incursions violentes dans les appartements, et on ne pouvait même plus dormir tant on y voyait comme en plein jour avec les projecteurs braqués en permanence sur les façades, quand ce n'était pas ce putain d'hélicoptère qui faisait du rase-motte au-dessus des toits et terrifiait les gamins. Avec le père en arrêt maladie et la pression des keufs se faisant sentir dès la sortie des immeubles, la tension avait été à son comble dans la famille et à la demande de Fanny, Madame Djédour avait gentiment accepté d'accueillir David chez elle pour quelques jours. Inutile de dire qu'avec Hocine ça avait été la fête tous les soirs, des feux d'artifice de perversité no limit alors qu'au dehors se déchaînait, dans un déploiement de force jamais vu de mémoire de chibani, la violence étatique nue.

 

La scène était dressée jusque dans les moindres détails et c'est comme si l'on n'attendait plus que le coup d'envoi d'un maître de cérémonie fictif pour insuffler vie à la composition. Les trois protagonistes étaient prêts à tenir leur rôle: Hocine affalé sur son trône de skaï rouge, une bouteille de bière dans une main, sa teub encore au repos dans l'autre, et les jambes étendues sur le dos de David qui, bâillonné d'une chaussette de foot et à quatre pattes, servait de repose-yèpes. Loïc était là pour les chauffer avec une vidéo de boule bien choisie et de temps à autre injecter une bonne dose d'humiliation avec des trucs hard, mais pas trop crades pour ne pas saloper la chambre. L'histoire de la table humaine, ils en avaient eu l'idée après une sortie de classe à Beaubourg où une exposition présentait les sculptures érotiques d'un artiste anglais, des meufs à poil portant juste des cuissardes en cuir et qui, à genoux ou les guiboles en l'air, servaient de pièces de mobilier à quelque gros collectionneur obsédé. En voyant ça, les mômes avaient complètement halluciné.

- Oh putain, là c'est trop le kiff. Regarde-moi ça!

Loïc venait enfin de trouver son bonheur, un site de vidéos amateurs aux thèmes tous aussi pouraves les uns que les autres - cravate de notaire pour seins gigantesques, mamie sodomisée par jeune minet, et celle-ci, 100% black pour grosse salope. L'image était d'une qualité incertaine mais l'histoire sans ambiguïté: une tasspé platine en dirndl tyrolien se retrouve seule après le départ de son mari au travail avec des ouvriers employés à la rénovation de la maison, trois super beaux keblas qu'elle mate lubriquement dans l'effort, si bien montés que l'un d'eux à même la bite qui dépasse du short. Il ne lui en faut pas plus pour s'écarter la teuche devant les mecs qui rappliquent aussitôt, une brève expression de panique, aussi pénible que comique à voir, parcourant le visage de la tepu à l'approche des trois gros engins à enfiler.

- Tu vas quand même pas me faire croire que tu kiffes cette merde?, s'écria Hocine, mi-incrédule mi-hilare. C'est ça que vous vous passez avec Rachid et toute la bande quand vous êtes foncedés chez lui? Eh ben putain...

Car très souvent les longues soirées tarpé-bibine chez l'un ou l'autre finissaient par un film de cul, de vieux DVD trash échangés de main en main ou des vidéos pourries où on ne voyait rien, télechargées à l'arrache d'un site russe. Toujours des conneries d'hétéros avec une hardeuse silliconée qui se fait baiser en gang-bang par tout ce qui passe. Les mecs se pignolaient grave devant ça, certains jutaient même sur leur survêts. L'air imperturbable de celui qui a appris à exercer son regard dans un milieu où un coup d'œil même furtif peut envoyer droit à la morgue, Loïc ne perdaient rien du spectacle, chauffé à blanc par la vue de tous ces mecs qui se branlaient en regardant droit devant eux mais n'avaient qu'une chose en tête - et ça il le savait: la teub de leurs copains.

- Oh putain, c'est Suleymane, là! J'y crois pas! La vie de ma mère, c'est lui là en train de se faire pomper le gland par la blondasse, s'exclama-t-il en bondissant vers l'écran.

- Qui ça?, demanda Hocine qui ne quittait pas David des yeux en lui filant ses Rekins à lécher, doucement, avec une réelle tendresse pour son pote dont il connaissait tous les trips et qu'il savait comme personne mettre en confiance. Il avait pour l'occasion mis les bleues électrique, celles qu'il venait d'acheter aux Halles et dont il prenait un soin maniaque - surtout faire gaffe à ne pas érafler la peinture blanche des semelles. Entre eux deux c'était un kiff de premier ordre, insurpassable, suprême, qui pouvait les transporter loin dans le délire et à peu de frais. C'est en tout cas comme ça que tout avait commencé entre eux un soir dans un garage souterrain des Cascades.

- Suleymane, le grand kebla des Solstices, çui qui se tape la p'tite meuf là, comment elle s'appelle... Jennifer. On l'appelle le rottweiler parce qu'on dirait toujours qu'elle va mordre. Remarque, avec ce que l'autre a dans le slip j'comprends qu'elle a perdu le sourire!

- Pourquoi, il a un p'tit zgeg?...

- Putain, arrête tes conneries, tu vois bien comment il est gaulé... Au sport ils lui matent tous le zob en loucedé dans le vestiaire! L'autre il se la pète grave à se mater les muscles sous toutes les coutures dans la glace. Les pédés, ils bandent tous dans leur calbut, moi je les ai repérés, y font ceux qu'ont rien vu. Un jour ils en ont chopé un qui se branlait dans les chiottes avec des chaussettes qu'il avait tirées dans un casier. Le bolos il a même pas eu le temps de débander, et BANG! Ils lui sont tombés à trois dessus... Et toi là, p'tite pute, tu kiffes ça, hein? On va te l'amener ce pédé de Suleymane et y va bien t'éclater la chatte, fit-il en se tournant vers David, une pointe d'aggressivité dans sa voix éraillée, tirant sur le bâillon et le toisant du même air mauvais qu'il affichait dans sa hargne contre Thomas Delcourt et tous les autres. David, exsudant toute la soumission du gentil garçon et du bon fils qu'il avait toujours été, ne broncha pas, mais dans l'incertitude qui planait dans la pièce commençait à trouver le temps long.

Hocine ne pouvait non plus manquer de voir que Loïc, si chauffé fût-il par la vidéo, commençait à péter un cable, ce qui lui fit penser qu'il pouvait avoir pris un truc, du speed ou autre connerie de ce style pour assurer pendant la baise. Peut-être qu'il se chiait dessus à l'idée de se faire un plan à trois, et puis David il ne semblait pas trop le calculer non plus. Peut-être même que c'était pas du tout son kiff, et là la touze, elle était mal barrée. Alors que Loïc passait en boucle les secondes finales d'éjac faciale avec la tasspé qui poussait de grands cris aigus - Suleymane et ses deux collègues étant là parfaitement synchro, du beau travail - et obsédait à mort en se branlant sur un gros plan des trois glands qui lui jutaient dans la gueule, Hocine décida de prendre les choses en main en qualité d'emcee du Cirque Zambrano.

- Relaxe mec, lança-t-il à son pote avec toute la douceur dont il était capable. Viens ici au lieu de baver devant ce film de nazes! On va s'éclater tous les deux, tu vas voir... Regarde-la cette tepu qui essaie de te pomper depuis tout-à-l'heure. Et toi comme un bolos tu vois rien..., ironisa-t-il en désignant l'esclave, sage comme une image, qui malgré l'autre chaussette de foot qui lui liait les poignets avait réussi à baisser son short.

Loïc suait et haletait, ses yeux bleus larges comme des soucoupes balayant la scène et agrippant la bière qu'Hocine lui tendait. Il s'assit sur l'un des accoudoirs du fauteuil face à David, qui le fixait d'un air bonasse, et le saisit par le menton. Il prit alors une voix grave et posée, non sans le baffer par intermittences:

- Y paraît que t'aime quand c'est bien crade, quand ça refoule grave. Tout le monde le sait dans la téci, les mecs y sont pas cons, tu sais! Tu crois qu'ils captent pas quand tu leur mates les sneax comme une pute, là? T'es grillé mon pote, y vont tous t'exploser le cul un de ces soirs. Tu vas rien voir venir, moi j'te le dis...

Joignant l'acte à la parole il avait ôté une de ses skets, de vieilles Reebok blanches pouraves qu'il traînait depuis des années, complètement grises et niquées à l'intérieur, et c'est seulement là que David comprit à quel point Loïc était fâché avec l'hygiène. Il l'avait bien vu à la tête de sa mère quand ils étaient entrés, son regard en coin détaillant longuement l'état du jogging et des pompes du keum. C'était toujours super nickel à la maison et après cet épisode il n'aurait pas été étonné qu'elle lui fasse jurer de ne jamais ramener ce cradingue chez elle.

L'effet ne se fit pas attendre. David, complètement à la merci d'un coup de latte, se mit à lui lècher les yèpes qu'il dégagea des chaussettes jaunes de crasse, pour ne prendre dans la gueule que la puissance pure, la violence latente et arbitraire, comme simple jouet à fouler, déformer, violenter. Il les massait, les sniffait, en contemplait la plante parfaitement voûtée. Il se sentait obscène devant ses deux potes mais était heureux et fier de leur offrir ça, son affranchissement de tous les carcans. Mais c'est en remontant le long des cuisses à l'intérieur du caleçon raide de pisse qu'il se sentit pris de vertige. La bite, lourde à l'extrémité légèrement décalottée, était luisante et comme poisseuse. Une forte odeur de mec se dégageait du fond du survêt strié de traces brunâtres et David pensa une seconde qu'il avait giclé devant le porno, avant de réaliser qu'en fait Loïc mouillait comme un bâtard. Abondamment, le slibard en était trempé et là pour lui, c'était ce qu'il y avait de plus grand, un kiff magistral, et il se mit à le téter, avec dévouement, passant et repassant la langue autour du gland pour ne rien perdre de la mouille, cette trahison innocente du sentiment, dans une humilité qui le submergeait. Sans doute gêné d'être surpris ainsi, Loïc le repoussa brusquement, mettant fin à une intimité insoutenable. Trop de choses dans cette chambre s'opposaient à son abandon. Trop de parasitages de toutes parts, trop de faux-semblants bousillant les rapports humains, trop de peurs tout simplement.

- Eh ben voilà, c'est ça qui le fait triquer, le fifils à sa manman, çui que tout le monde trouve cool, qui s'y connaît en musique techno, en art de mes couilles, hein? Une sale cochonne qui kiffe la bite crade de caillera, rien de plus, rien de moins, souffla-t-il en lui appuyant brusquement sur la nuque. David, le nez collé à la moquette et subjugué par la poigne qui le maintenait à terre, sentait son univers se rétrécir à une vitesse foudroyante pour se réduire à l'essentiel du désir, quelque chose d'excessivement élémentaire que rien en ce monde ne pourrait ni remplacer ni dépasser: le goût de Loïc, les sécrétions de Loïc, ce que Loïc était tout entier et qu'il véhiculait à lui seul, les rues qu'il connaissait comme personne, la cité dont les barrages de béton pisseux formait l'horizon clairement délimité de son monde, les chiottes de gare qui chlinguent, les parties de branle filmées au portable dans le RER la nuit et sitôt chargées sur les sites de boule pour pédés. C'est de ça qu'étaient faits ses rêves de keum, même s'il était parfois pris de répugnance face à des attractions qui le troublaient dans leur archaïsme, leur dynamique régressive allant à l'encontre de tout ce qu'il croyait être devenu.

Hocine, qui commençait à être excité grave par le plan en cours, était lui aussi passé à l'action en écartant avec soin le cul généreusement lubrifié de David avec deux doigts, ce qui fut vite augmenté d'un, puis de deux tant il se dilatait sous l'effet du frisson. Il s'était foutu à poil en ne gardant que sa casquette rabaissée, ce qui lui donnait, quand il se voyait dans la vitre niquer comme un malade, un air authentique de pur laskar. D'ailleurs les pédés à Paris ne s'y trompaient pas, qui le rencardaient sur le net et le faisaient venir exprès pour des plans caves où il y avait toujours des follasses hystéros accros aux Rekins qui jouaient à se faire démonter le fion à La Courneuve et lui chouravaient ses chaussettes en douce. Malgré ça il s'était déjà fait un max de blé et pensait sérieusement en faire un vrai bizness. D'ailleurs Loïc admirait en secret les qualités de baiseur d'Hocine: il savait y faire avec les mecs qui en redemandaient toujours, même s'il n'avait pas comme lui une teub de ouf. Non, juste d'une taille honorable mais d'une forme fascinante de perfection.

- Allez lève-toi maintenant, lui ordonna la petite frappe en lui crachant à la gueule une gorgée de bière pour bien faire passer le message.

David obtempéra alors que Loïc le traînait, hagard et dégoulinant de binouse, par la chaussette qui lui pendait au cou. C'est là qu'il se retrouva en pleine lumière, étourdi et à poil face à la fenêtre. La perspective était vertigineuse, le square encerclé de murailles s'ouvrant sous lui comme un immense ravin. Il y avait du monde autour des entrées et les conversations, du moins les affollages habituels, fusaient de tous côtés. Personne ne semblait avoir remarqué l'apparition au neuvième.

- Putain, ça va pas? T'es complètement chtarbé ou quoi?, cria-t-il en se débattant dans un accès de panique, alors qu'Hocine lui caressait tendrement les fesses pour tenter de le calmer.

- Tu préfères p'têt' qu'on descende en bas? Les mecs y sont trop cho, y demandent qu'à se faire astiquer le manche... Eh, va t'faire zober, p'tite pute va!, ajouta-t-il, cinglant, en lui serrant les joues et l'aspergeant d'une autre giclée de bière, ses yeux de dément le dévisageant intensément dans une expression qui l'ébranla. Le méprisait-il en fait? Allait-il lui faire une sale réputation auprès de la bande maintenant qu'il l'avait vu livré ainsi, à prendre son pied comme jamais, ouverts à des sentiments réels alors que la première de toutes les règles à la tess était de ne jamais rien laisser transparaître, se créer un masque pour pouvoir subsister dans cet asile de tarés où personne n'était en droit d'accéder à soi.

Il reprit en direction d'Hocine:
- Vas-y, bourre à fond. Les mères avec leurs gosses elles vont pas en revenir. "Maman, regarde, y a un monsieur qui s'fait enculer à la fenêtre!", gloussa-t-il d'une petite voix flippante, content de son imitation naze. Et toi tu t'branles à fond, j'veux t'voir cracher ta sauce comme la bonne lope que t'es!

David comprit qu'il n'avait pas vraiment le choix alors qu'Hocine se réintroduisait et accélérait progressivement la cadence. Celui-ci savait parfaitement comment chauffer Loïc qui en addict des films de cul savait apprécier un plan soigné quand il en voyait un: des coups de boutoir longs et profonds et entre chaque sortir complètement la bite pour l'exposer à la vue, la capote luisante et dégoulinante de gel, avant de repartir à la défonce du trou béant. Hocine adorait la technique, ça faisait queutard de première et Loïc, qui kiffait les petits rebeus comme lui, hyper virils et ne pensant qu'à tringler, avait fini par sorti son braquos, épais et légèrement courbé, le gland rouge démesuré gonflé par le désir de son pote en action. Labouré en beauté, David tenait à peine sur ses jambes et prenait appui au cadre de la fenêtre en se mordant la lèvre de façon à ne rien laisser paraître à l'extérieur, car dans le panoptique des Planètes tout le monde pouvait voir et filmer à l'envi n'importe qui dans un anonymat complet. C'est ainsi qu'il juta dans le plus grand des silences, à peine un râle de plaisir, le sperme vitreux s'écrasant en plusieurs molards sur le verre bleu dépoli du bas de fenêtre. Il haleta quelques instants en continuant de se palucher alors qu'Hocine se retirait une dernière fois.

- Allez, ça va, narvalo. J'crois qu'il a compris qui est le chef ici, conclut Loïc en le saisissant par le cou avant de le pousser avec force sur le lit pour le lopage final.

 

David se réveilla subitement, déboussolé l'espace de quelques secondes, la chambre aux rideaux rouges se reconstituant peu à peu dans la pénombre. Combien de temps avaient-ils somnolé tous les trois? Le daron allait sans doute rentrer rétamé du troquet, Fanny n'allait pas tarder avec ses courses, ou alors ce baltringue de Lucas allait défoncer la porte après s'être encore fritté avec Lakhdar, le frère d'Hocine. Pourtant à l'extérieur la lumière blanche de l'après-midi n'avait pas faibli et les cris d'enfants se mêlant aux bruissement des fontaines continuaient de monter le long des façades. Il se calma un peu en réalisant qu'à peine une heure s'était écoulée depuis le départ de sa mère et contempla la scène dont il constituait le centre. Les deux mecs étaient assoupis de part et d'autre du lit défait, Loïc lui tournant le dos et n'offrant à la vue que son cul blanc rebondi, les poils blonds des cuisses caressés par un rayon de soleil qui perçait du dehors. Hocine lui faisait face de l'autre côté, sa respiration à peine perceptible. Il se tenait encore la queue qui avait bien dégorgé, des glaviots de foutre opaque lui constellaient le ventre et lui collaient les poils en une géographie aléatoire. Si petit et si parfait, Hocine, la gracilité nerveuse du corps tout en muscles, son torse ferme déjà abondamment velu, un miracle de la nature inconscient de ses effets. Il posa doucement la main sur son crâne et eut un léger sourire à la sensation de picotement des cheveux coupés ras, cette densité noire et drue qu'il aimait lécher à pleine langue rien que pour faire chier son pote... Il ressentait pourtant une vague inquiétude, une menace indistincte qui se faisait oppressante, une humeur diffuse qui n'annonçait rien de bon. Les violences policières de l'année précédente étaient encore dans tous les esprits et vu l'état d'écœurement et de désespoir des gamins il aurait vraiment suffi d'un rien pour à nouveau faire sauter la poudrière. Malgré la beauté de ce jour l'avenir de la cité n'avait jamais semblé si lugubre, et depuis un certain temps courait la rumeur que la ville avait l'intention de raser les barres les plus délabrées - et sans doute aussi les plus chaudes, dont celles de l'Équinoxe et de l'Ellipse - pour tout refaire à neuf et en profiter pour vider les familles dans la dèche, histoire de se refaire à bon compte une image vendable aux bobos des communes voisines.

Mais pour eux aussi le temps de partir allaient bientôt commencer. Lui et Hocine venaient tous deux d'obtenir le bac alors que Loïc, ayant décroché du système depuis longtemps, n'aurait pour seule perspective, et avec un peu de bol, qu'un stage chaudronnerie non rémunéré à cinquante kilomètres d'ici. Des deux, c'était Hocine qui semblait le plus déterminé dans son rêve d'aller s'établir un jour en Australie - le plus loin possible de ce trou à racistes, comme il disait, là où les gens se tapent de savoir d'où l'on vient, un pays de cocagne où tout de soi est encore à créer. Quant à David, il flottait entre de vagues possibilités, une fac de lettres, pourquoi pas, ou ces cursus pluridisciplinaires qui en jettent à mort, tels de grosses centrifugeuses de savoir qui à tourner indéfiniment finiraient bien par accoucher de quelque chose - mais sûrement pas d'une carrière d'ingénieur du son, ça, il en avait la certitude. Et là, à se voir tous les trois ainsi, nus et enchevêtrés dans la sérénité rare d'un moment de paix, l'innocence de trois corps à jouir suspendus dans une plénitude cristalline que n'importe quel arbitraire pourrait briser à tout instant, lui vint pour la première fois une forte envie de chialer. Oui, le futur était incertain et terrifiant. Il faudrait bien un jour se résoudre à dire au revoir, les laisser partir tous, enfouis sous les décombres, emportés par les pelleteuses, pulvérisés par les charges de plastique, avant même que la nouvelle médiathèque, dont le chantier avait été interrompu à la suite des événements, n'ait eu le temps de voir le jour... Il y eut comme un sursaut à l'extérieur, une déflagration sourde de l'air et quelques brèves clameurs, une voix de femme criant d''arrêter'. David glissa hors du lit et dans la chaleur encore vive ajusta son regard aux mouvements désordonnés qui agitaient le square. Des gens couraient à toute vitesse vers le parc et des types à brassards rouges sortis en trombe de deux bagnoles investirent rapidement l'espace, sommant des mères à poussettes de dégager, qui, apeurées, disparurent aussitôt sous les galeries. Place nette fut faite dans la minute. La BAC connaissait bien les lieux.

Novi Beograd, Blok 28

 

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