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24 April 2012

Cruel and Tender

"Let's dance, for fear your grace should fall
Let's dance, for fear tonight is all"

 

Comme toujours en arrivant à Orly j'ai préféré prendre le 183 vers la Porte de Choisy. C'est sans doute la façon la plus lente de gagner le centre mais le bus express, qui prend directement l'autoroute, ne donne jamais grand-chose à voir. Car j'aime me retrouver au contact de Paris en traversant cette portion de banlieue sud, qui même si seulement large de quelques kilomètres, défile assez lentement pour me donner le plaisir d'observer, le temps de me laisser imprégner du sentiment d'être à nouveau là, rattrapé par un passé que chaque détail microscopique ravive. C'est toujours avec trépidation qu'une fois le complexe de l'aéroport passé avec ses énormes hangars à demi désaffectés, je pénètre dans les premiers quartiers d'habitation, des lotissements ouvriers de petits pavillons lugubres, cadre rêvé de Série Noire me rappelant le minuscule appartement de ma grand-mère où flottaient des odeurs de pots de chambre javellisés, avant que n'apparaisse dans l'énormité de ses empilements la Cité des Aviateurs, dont les tours sont en cours de rénovation. Elles me paraissent démesurées dans ce gigantisme propre aux grandes banlieues françaises, avec leurs verrières de cages d'escaliers dévalant sur toute la hauteur. Je regarde les gens avec insistance, qui reviennent des courses ou rentrent exténués du travail un jour normal de semaine. Ils m'intriguent, eux qui sont restés là tout ce temps, qui ont changé avec le pays. Un groupe de trois laskars passe de l'autre côté de la rue, survêts blancs et doudounes sombres, ils viennent de se faire raser la tête, je le vois immédiatement. Eux n'étaient même pas nés quand je suis parti. Ils habitent un pays que je n'ai en fait jamais connu, la France in absentia, que j’ai longtemps occulté dans la certitude d’un retour impossible. Je voudrais leur parler, à eux et à eux seuls, et qu'ils me racontent les années manquantes.

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29 March 2012

Berlin loves you not

Murals @ Cuvrystrasse, Kreuzberg

À Kreuzberg-Friedrichshain, cette entité administrative créée il y a quelques années lors de la refonte des Bezirke de la capitale, l’esprit de résistance qui a longtemps fait la fierté de cette ville a de nouveau marqué un point. Dernière cible en date: le BMW Guggenheim Lab, non pas une collaboration inattendue entre le constructeur de Munich, la prestigieuse institution muséale et un club très prisé d’une certaine frange de la communauté gay berlinoise, mais un projet de consultation expérimental au rayonnement international. Sur une durée de six ans trois structures nommées ‘Labs’ doivent en effet parcourir la terre entière, telles des modules nomades se posant élégamment dans neuf métropoles triées sur le volet et au sein desquelles débats, conférences et toutes sortes d’interventions 'interdisciplinaires' se proposent de formuler de façon transversale des solutions aux problèmes et défis - urbanistiques, technologiques, écologiques - posés à nos grands centres urbains globaux dans un contexte de crise généralisée. En somme un think tank très rock ‘n’ roll, un incubateur d’idées où de nouvelles voies d’investigation sont ouvertes et explorées en étroite synergie avec les communautés locales, comme le montre la dernière étape du périple dans l’East Village new-yorkais - quartier à l’avant-garde de beaucoup de choses et certainement très marqué socialement, nous y reviendrons. L’une de ces structures devait selon les prévisions atterrir parmi nous le 24 mai, plus précisément au milieu du terrain vague de la Cuvrystrasse en plein Kreuzberg, immense Baulücke en bord de Spree à deux pas de l’Oberbaumbrücke et du Watergate, et dont on imagine qu’il représente de par sa situation l’ultime wet dream de tout promoteur immobilier.

J’avoue que j’aime beaucoup cette idée de structures migrantes, démontables et remontables à volonté, qui parcourent la planète comme de beaux insectes futuristes et viennent rendre visite aux terriens ébaudits, leur apprennent des choses incroyables et magiques, pour repartir en silence quelques semaines plus tard. C’est d’une poésie rare, ce qui n’a rien d’étonnant de la part d’une institution aussi classe que le Guggenheim. Seulement Kreuzberg est sans doute plus dur à dompter que l’East Village et il semble que la mission civilisatrice soit gravement compromise après que des groupes autonomes locaux ont menacé de mettre à mal la structure qui dans sa légèreté aérienne n’aurait pas tenu longtemps après quelques bons coups de massue. Le risque d’attaque est en tout cas pris très au sérieux par les organisateurs (et surtout le sponsor) qui ont préféré renoncer purement et simplement au site. Des emplacements alternatifs ont par la suite été avancés, de Prenzlauer Berg à Lichtenberg, ce dernier n’étant pas vraiment habitué au glamour raréfié de ce type d’événement, ce qui en fait pour cette raison une proposition intéressante. Il est vrai qu’à part la récente vague de feux de poussettes Prenzlauer Berg représente un lieu sûr et relativement à l’abri d’un coup de poing de l’ultra-gauche, qui ne se dérange même plus: on imagine sans mal le Lab perché délicatement sur le Pfefferberg (lieu originellement retenu pour le projet et à présent reconsidéré), entre bureaux de jeunes architectes en vogue et le très distingué Institute for Cultural Inquiry (ICI). Certes, on se retrouverait entre gens de bonne compagnie mais dans l’hermétisation d’un espace qui se voulait ouvert sur le monde l’opération aurait-elle encore une quelconque raison d’être?

Cela fait un certain temps que le torchon brûle des deux côtés de la Spree, dans un climat de plus en plus tendu où le mot ‘gentrification’ - concept longtemps associé à ces métropoles occidentales intimement intégrées aux flux et circuits du capitalisme global, excluant donc dans une large mesure Berlin - est devenu omniprésent, où les évictions de squats historiques donnent lieu à de véritables batailles rangées, où des communautés se trouvent disloquées du fait d’une augmentation sans précédent des loyers, où un ressentiment croissant envers l'afflux de touristes dans Kreuzkölln (surtout de jeunes hipsters friqués) suscite des réactions pas toujours très heureuses (voir l'action 'Hilfe, die Touristen kommen' des Verts lors des dernières élections locales). Les préoccupations sont réelles et urgentes, et là où d’autres villes ont depuis longtemps capitulé, Berlin semble vouloir prouver qu'une mobilisation soutenue comme celle déployée contre Mediaspree peut avoir des résultats retentissants et proposer des alternatives bénéfiques à l'ensemble de la population. En l'absence d'une quelconque intervention publique pour contrer l'envolée des loyers et lorsqu'un laissez-faire d'essence néo-libérale se substitue à toute poltique urbaine, l'action directe et citoyenne semble être la seule voie restante... Mais le Guggenheim Lab? Premièrement, il est évident que l'apposition du nom de BMW à l'événement a été très mal perçue, l'irruption d'un Konzern d'envergure internationale (et polluant) dans ce qui se présente comme un forum inclusif et soucieux de l'avenir de la collectivité décrédibilisant d'emblée de telles prétentions. Car même sous couvert de mécénat engagé et désintéressé ce sont les impératifs du financier qui primeront encore et toujours.

Ensuite, il est ridicule d’affirmer, comme il a été rapporté dans la presse, que le Lab, structure éphémère vouée à se volatiliser comme elle est venue, aurait à lui tout seul contribué à renforcer l'attractivité de Kreuzberg - et donc à la flambée de l'immobilier -, ce qui en soi justifierait une menace d'action violente. Des voix se sont élévées (dont le maire Grün de Kreuzberg-Friedrichshain) pour condamner le chantage exercé par quelques groupuscules radicaux semant leur terreur au mépris de l'esprit de tolérance incarné par Berlin. On peut effectivement imaginer que prendre la construction pour cible avec trois pots de peinture n'aurait pas changé grand-chose à un mouvement de fond aux causes complexes et aggravé par un manque d'intérêt flagrant des pouvoirs publics. Mais face à l'abandon précipité du site de Cuvrystrasse et au déménagement probable vers Prenzlauer Berg, dans un milieu socio-économique bien plus homogène (entendre privilégié) et friand de ce type de manifestations érudites*, on ne peut que regretter une occasion perdue de réappropriation urbaine et de prise de parole. Situé là où il l'était, visible et aisément accessible aux communautés locales, le Lab synthétisait des enjeux de pouvoir considérables en tant que site de friction et de confrontation des vécus. Un détournement activiste grassroots aurait pu tirer profit de l'infrastructure transformée en lieu de transfert et de circulation de savoirs où précisément ces problématiques (gentrification, ségrégation sociale, invisibilisation) auraient pu être articulées, disséminées et donc amplifiées. Le Guggenheim Lab (sans BMW, ça va sans dire), loin d'être le conservatoire d'un discours scripté à l'avance, se prêtait à des détournements inédits, lieu de diffraction d'une multiplicité d'optiques et de subjectivités, de contestation d'un type de pensée hégémonique (académique, middle-class) dont les mécanismes d'exclusion propres à une société élitiste auraient pu être clairement exposés. Une stratégie de reprise de contrôle salutaire à l'opposé de gesticulations ennuyeuses et d'identités figées.

 

*Dans un développement assez stupéfiant, une opposition à la venue de la structure mobile s'organiserait même à Prenzlauer Berg. Craint-on des allées et venues continuelles autour du Lab et les troubles du sommeil qu'elles ne manqueraient de causer?

22 March 2012

Unknown Pleasures

Kubus am Berghain

Ce n'est que très récemment que l'architecture des sex-clubs pédé berlinois est devenu pour moi un sujet sérieux de préoccupation et ce sont deux articles tirés d'un même recueil d'essais publié aux US, Policing Public Sex [1], qui ont servi de détonateurs. Ce sont à ma connaissance les tous premiers à aborder un thème bien moins anodin qu'il n'y paraît et dans leur exploration des scènes new-yorkaise et californienne leurs auteurs ne faisaient que confirmer ce que je commençais à vaguement soupçonner ici à Berlin, capitale mondiale tant vantée de la scène masculine hard: que l'agencement spatial et l'imaginaire visuel déployé dans ces lieux ont un impact direct sur la nature des interactions sociales et sexuelles qui y ont cours. Rien de bien fracassant pour qui est familier avec les diverses théories de production de l'espace développées depuis des décennies (la formulation d'une architecture du désir par les Situationnistes, ou l'articulation proprement queer des interconnexions entre genre, architecture et espace urbain), mais vu le temps que j'y passe et ma sidération croissante devant le type d'humanité qui s'y fait jour, l'urgence à recentrer une culture sexuelle terminalement commodifiée sur l'intime et l'interpersonnel, la solidarité et la notion (toujours très débattue) de communauté se retrouve subitement au centre de mes questionnements. Et cela semble devoir commencer par une critique des espaces de plaisir que nous créons pour nous-mêmes.

Dans 'Public Space for Public Sex' John Lindell déplore l'uniformité miteuse des sex-clubs new-yorkais et le cynisme mercantile des exploitants d'établissements devenus plus ou moins souterrains depuis le grand toilettage de Manhattan (la désastreuse Quality of Life Campaign de Giuliani [2]) et la fermeture massive des lieux de plaisir gays au plus fort du backlash puritain qui a accompagné l'épidémie du sida. Il cite l'exemple du redoutable 'Club 82' dans l'East Village, aussi connu sous le doux nom de 'Bijou', un ancien drag cabaret ayant attiré en leur temps ces princes de la décadence qu'étaient Lou Reed et Bowie et depuis transformé en un bouge comme Times Square a dû bien en connaître dans les seventies. À 'Bijou' c'est un orange dégueulis qui dès l'entrée vous prend à la gorge, puis à mesure que l'on s'enfonce dans le secteur réservé à la baise, une obscurité sépulcrale à peine percée de quelques loupiottes que l'on associe au désir masculin sous sa forme la plus brute - esthétique généralisée que les barons du business semble considérer comme allant de soi -, des cabines en enfilade ouvrant sur un boyau exigu le long duquel les mecs scrutent le passage de chaque nouveau venu en se branlant. Je me souviens avoir trouvé la traversée de cette backroom interminable et dans l'atmosphère de menace sourde et de délabrement physique n'avais pas tenu plus de dix minutes. Ainsi, à l'opposé de cette configuration classique en cellules isolées et closes sur elles-mêmes (la norme dans tout Porno Kino qui se respecte), John Lindell se fait le chantre de dispositions spatiales flexibles et polyvalentes qui tout en facilitant une plus grande diversité de jeux sexuels et d'interactions entre clients assurent également une visibilité propice à la promotion de pratiques safe. Des partitions amovibles nommées Social Structures et Permeable Cells garantissent à la fois ouverture et intimité tout en insistant sur l'aspect avant tout social de ces espaces, leur fluidité générant toute une gamme d'échelles, de transitions et de contrastes, une transparence favorable aux errances nomades de 'machines désirantes' et à la dérive, autre concept situ décrivant le passage aléatoire du flâneur dans différentes unités d'ambiance selon ses propres intuitions, une dialectique du soft (chill-out areas conçus pour la sociabilité) et du hard. Cette modulation créative de l'espace contribuerait même selon Lindell à ressusciter l'enfant qui sommeille en chacun de nous dans l'investissement ludique de lieux réinventés. Sans aller jusque là, j'avoue parfois friser l'overdose dans ce déferlement monolithique de signifiants hyper-masculinistes et de désirer quelque chose d'un peu plus conceptuellement déviant - un salon de pavillon de banlieue coquet, un environnement lumineux immersif à la Eliasson, ce genre de choses...

Cela doit faire partie de l'image véhiculée par Berlin, cet immense terrain de jeu post-industriel amoché par l'Histoire, jungle de béton brut antithétique à l'idée même de douceur. Et le fait est qu'ici les sex-clubs sont légion: ils se présentent dans des tailles, des configurations et des degrés de qualité esthétique variés, le roi d'entre eux étant sans conteste le 'Lab' qui, niché dans les entrailles de la centrale désaffectée du Berghain, couvre a lui tout seul tout le spectre de l'imaginaire pédé hard. Dans son essai sur l'histoire des saunas aux États-Unis Allan Bérubé s'attache à montrer comment la recréation d'environnements traditionnellement oppressifs pour les homosexuels est précisément ce qui est fétichisé dans cette mise en scène des symboles d'une histoire clandestine commune. Le rapport complexe et ambigu qu'entretiennent les pedés avec les structures de pouvoir et d'oppression déborde largement du cadre de cet article mais n'en demeure pas moins central dans la constitution de ces espaces, et au 'Lab' rien ne manque à l'appel: une esthétique brut de décoffrage que l'architecture vertigineuse de l'ancienne Kraftwerk de la Karl-Marx-Allee glorifie sans retenue, une orgie de vieilles tuyauteries rouillées et de vestiges industriels laissés en l'état, des armoires de métal cabossées rappelant à la fois le vestiaire, la caserne et la prison, les camouflages suspendus évoquant un boot camp le dimanche dans les bois, à moins que ce ne soit les frondaisons de quelque parc municipal la nuit - Villa d'Este à la berlinoise, le 'Lab' dispose même de son propre jardin d'agrément à flanc de bunker, un simulacre de labyrinthe parsemé de pneus de camion et de lits d'hôpitaux désossés pour un confort maximal -, une rangée entière de glory holes pour cet autre classique gay que sont les chiottes publiques et merveille des merveilles, une pissotière à l'ancienne remontée de toutes pièces et restée fidèle à sa vocation comme pièce maîtresse des soirées yellow. De plus on y trouve ce que l'on pourrait là aussi appeler Social Structures - de loin l'élément le plus réussi du dispositif -, sortes de grandes cages de métal servant aussi bien de reposoirs pour ceux qui comme moi n'en peuvent plus de dériver, de postes d'observation d'où jeter ces regards langoureux ou se faire sucer dressé sur son socle, c'est selon, que de plates-formes pour partouzes improvisées, et qui dans leurs dispositions aléatoires servent à reconfigurer l'immense nef à colonnes et créer un effet de surprise permanent. Enfin, jusqu'à un certain point... Circuler à travers le 'Lab' est une expérience déroutante, et passé l'effet Sturm und Drang initial produit par le sublime architectural du lieu, se révèle un fatras symbolique délicieusement tacky, un musée de l'iconogaphie pédé à travers les âges comme seule Las Vegas pourrait en créer.

Mais bien plus que ça, le sex-club constitue selon l'argument de John Lindell un espace privilégié d'interférences entre architecture, modes de sociabilité entre hommes et culture sexuelle [3], un lieu total où se trouve tout entière inscrite l'histoire de la marginalité gay [4] et où très souvent les définitions de genre croulent sous une surdétermination des marqueurs de la masculinité pure et dure. Le 'Lab' en particulier est un lieu hautement ambigu dont la disposition physique peut mener dans des directions simultanées et contradictoires, générer une foule de possibles au-delà de l'usage monosémique qui en est (presque toujours) fait. Espace d'exploration individuelle et d'affirmation collective, caisse de résonance colossale de la condition gay contemporaine, c'est aussi un champ fantasmatique de premier ordre (tout l'arrière du bâtiment, sorte de face cachée de la lune, n'est par exemple accessible qu'en de rares occasions), un dédale de révélations potentielles où aller à la recherche de sa propre vérité érotique. Par contraste, on peut aussi le voir comme un espace hyper-contrôlé où le bombardement sensoriel sans merci et l'absence regrettée de zones de repos et de socialisation intime promettent non plus la dérive ludique tant espérée mais une sorte de fuite en avant à travers un supermarché surdimensionné où la satisfaction du désir est constamment différée, un monde implacablement huilé et ultra-normalisé tant dans les codes vestimentaires et corporels que dans les pratiques (l'ubiquité et la primauté de l'anal sur toute autre forme de sexualité sont frappantes). Et que ce soit parmi les Social Structures, aux alentours des urinoirs ou dans l'anonymat délibérément entretenu des glory holes je produis moi aussi cette culture tout en ayant le sentiment d'être de ces corps téléguidés, machinalement saisis et presque immédiatement délaissés, et nourris dans mon égocentrisme un climat d'indifférence pourtant profondément contraire à mes besoins de connexion et d'intimité. Dans ces échanges brutaux l'espace physique du sex-club ne serait-il dès lors qu'une extension des sites de drague sur Internet où l'abstraction des êtres, la commodification du désir et des identités s'effectuent dans une désensibilisation et un déficit de responsabilité manifestes [5]? En somme, serions-nous en l'absence de toute empathie à ce point déconnectés de nous-mêmes et des autres, réduits au stade de touristes crétinisés de theme parks du cul où il est juste et tout-à-fait ok de se traiter mutuellement en parfaits salauds? L'espace des sex-clubs est un maillon fondamental dans le mécanisme global d'une culture sexuelle fondée sur une optimisation des profits, leur univers symbolique mettant en scène tous les attributs d'une masculinité conquérante et paroxystique, the hardest possible image. Tout ça me fait soudain penser au tableaux que Constant a peint dans l'horrible descente qu'ont dû être les années soixante-dix, son Erotic Space (1971) dramatisant une violence sexuelle qui serait devenue la norme dans une New Babylon jadis idéale et vite transformée en cauchemar éveillé.

Il serait sans doute hasardeux de se tourner vers le passé dans l'espoir d'y trouver un âge d'or de la sociabilité et du sexe public gays, où inclusivité, diversité et solidarité auraient été des valeurs dominantes face à un monde largement discriminant, même si on peut être facilement pris de nostalgie pour des époques épiques, inconnues et lointaines [6]. Peut-être 'Bijou', malgré (ou par) son côté rough 'n' ready décrépit, offrait-il un tel espace à des hommes marginalisés d'une scène gay mainstream basée sur un système de privilèges socio-économiques et de types corporels hégémoniques. Ou peut-être que mon sentiment premier de violence latente et de misère sexuelle était plus proche de sa réalité, je n'en sais rien. Déçu de ne rien trouver d'un décor de vieux cabaret queer de l'East Village je suis reparti. À regret...  Il ne s'agit pas non plus de revisiter l'idéal moderniste de déterminisme spatial (d'une architecture nouvelle naîtra une humanité nouvelle) mais relever les ambiguïtés, points de basculement et potentialités d'un espace où des connectivités inattendues peuvent surgir - la stratégie du détournement chère aux Situationnistes -, un sens de l'être et de l'agir ensemble dans le plaisir, le respect et ce que par manque d'équivalent français on nommera un esprit d'empowerment. Pour cela et tous les espaces de désir à réinventer, les Fun Palaces et Pleasure Gardens à venir - The Haçienda must be built - quel autre endroit, dans son caractère rétrospectif et ses prétentions expérimentales, synthétiseur d'histoire, de fantasme et d'ignominie, qu'un 'Lab', à Berlin, Labor der Moderne?

 

[1] John Lindell, 'Public Space for Public Sex' + Allan Bérubé, 'The History of Gay Bathhouses', in Dangerous Bedfellows (eds.), Policing public Sex: Queer Politics and the Future of AIDS Activism (Boston: South End Press, 1996).

[2] Sur les effets dévastateurs des politiques de Tolérance Zéro de la municipalité new-yorkaise sur les communautés queer les plus fragilisées: Benjamin Shepard, 'Sylvia and Sylvia's Children: a Battle for a queer public Space', in Mattilda Bernstein Sycamore (ed.), That's revolting! Queer Strategies for resisting Assimilation (New York: Soft Skull Press, 2008), 123-40.

[3] Lindell établit en effet une corrélation très nette entre le design architectural des sex-clubs, les types de sociabilité qui y sont produits et l'image que se font les gays de leur sexualité: 'Beyond the function of facilitating sex, we need to consider what kinds of societal messages about sexually active gay men are revealed and constructed by the architecture of sex clubs (...) If our attitudes about sex club spaces are indicative of how sexually active gay men see our sex lives, perhaps we should pay closer attention to our expectations of these spaces, not only of what they look like, but also how they might facilitate better sex.' Lindell, op. cit., 73-4.

[4] L'expression est empruntée à: Adrian Rifkin, 'Gay Paris: Trace and Ruin', in Neil Leach (ed.), The Hieroglyphics of Space. Reading and Experiencing the modern Metropolis (London, New York: Routledge, 2002), 133. Il y est question des designs de John Lindell dans le contexte de nouvelles 'politiques spatiales queer' évacuant toute trace de l'abjection historique traditionnellement inscrite dans les lieux de plaisir gays.

[5] Sur les limitations et catégorisations du désir imposées par Internet: Michael J. Faris & ML Sugie, 'Fucking with Fucking online: advocating for indiscriminate Promiscuity' + D. Travers Scott, 'Fierce.net: imagining a faggotty Web', in Mattilda Bernstein Sycamore (ed.), Why are Faggots so afraid of Faggots? Flaming Challenges to Masculinity, Objectification, and the Desire to conform (Oakland, Edinburgh, Baltimore: AK Press, 2012).

[6] Sur les espaces d'expérimentation sexuelle que représentaient les bars de Folsom Street, où gays of colour et working class se retrouvaient dans un environnement safe et inclusif avant les vagues successives de gentrification: Tim Dean, Unlimited Intimacy. Reflections on the Subculture of Barebacking (Chicago: The University of Chicago Press, 2009), 196-204. Sur New York et les disjonctions de l'ordre social dominant dans les porn theatres de Times Square: Samuel R. Delany, Times Square Red, Times Square Blue (New York: New York University Press, 1999).

17 December 2011

Schnaps Hazard

"Bad taste is real taste, of course,
and good taste is the residue of someone else's privilege."

(Dave Hickey, Air Guitar: Essays on Art & Democracy)

 

Alexanderplatz Weihnachtsmarkt

Comme chaque année Alexanderplatz est depuis quelques semaines envahie de Weihnachtsmärkte. Et ce n'est jamais une mince affaire, dans l'avalanche d'effets spéciaux évoquant la magie des Noëls d'antan et le village labyrinthique de cahutes à colombages et de chalets alpins. Ce marché-ci pourrait gentiment être qualifié de 'populaire', par opposition à Gendarmenmarkt, plus policé et opulent dans son écrin baroque, ou Sophienstraße et ses stands bio plus en phase avec les goûts dominants de cette partie de Mitte/Prenzlauer Berg. Mais sur l'Alex on ne fait pas les choses à moitié comme le prouve l'incroyable folie pyramidale trônant en plein milieu, sorte de superstructure occupée à l'étage par un énorme Kneipe et coiffée d'un clocher en pièce montée où défilent les figures brinquebalantes de la Nativité. L'ensemble est majestueusement surplombé d'une hélice d'hélicoptère géante en rotation, qui donne l'impression bizarre que tout ce petit monde va subitement décoller de la place. Le spectacle serait même assez saisissant avec l'austérité monochrome des blocs de Behrens en arrière-fond, d'une abstraction hautaine face au délire ambiant, si bien qu'on se demande comment une telle débauche visuelle peut encore être possible en Allemagne près d'un siècle après la création du Bauhaus - un Noël revu et corrigé par Gropius et Mies, ça ça aurait eu de la gueule. L'être humain serait-il donc naturellement disposé à l'accumulation ornementale et à un refus instinctif de l'idéal moderniste, illumination réservée à une élite de cérébraux coincés du cul et imposant au monde leurs normes esthétiques bourgeoises?

C'est tard dans la nuit que le marché, maintenant déserté par les foules de shoppers, prend une dimension plus inquiétante. Alors que la superstructure tourne dans tous les sens et brille de ses mille feux, des groupes de fêtards débordent des pubs caverneux et trinquent dans de grands éclats de rire gutturaux. Des vigiles en uniforme noir et béret de milicien vissé sur le crâne inspectent les allées pour prévenir tout débordement et l'intrusion d'éléments indésirables (et nécessairement marginaux) qui pourraient gâcher les réjouissances - ce qui sur l'Alex est une possibilité bien réelle - alors que des patrouilles de police passent en trombe tous feux éteints autour de la place. L'illusion de la douceur de Noël et de la bienveillance humaine est sous-tendue par un dispositif sécuritaire massif dans la perpétuation d'un ordre familialiste que rien ne doit venir troubler dans son auto-célébration. La démarcation est ainsi nettement tracée entre ceux dotés du droit d'occuper cet espace (d'une apparence non-suspecte, prêts à consommer) et les 'autres' qui doivent être tenus à bonne distance dans ce qu'ils ont d'irrémédiablement queer. Mais aucune limite n'est si étanche comme le prouve le cas du mystérieux empoisonneur en costard de Père Noël qui plonge depuis quelques jours tous les marchés berlinois dans la psychose (et surnommé dans la presse der Giftschnapsmixer car il offre des verres de vin chaud aux promeneurs sans méfiance). Treize personnes ont ainsi été prises de malaise et ont dû être hospitalisées. Quel monde pourri... Mais tout n'est peut-être pas si sombre. Parfois un jeune couple tiré à quatre épingles que j'imagine venu des grands ensembles périphériques de Lichtenberg ou Marzahn s'attarde devant un stand d'attractions, lui avec ses Airmax neuves et immaculées, elle fraîchement teinte en noir-corbeau et toute de rose pâle vêtue. Peut-être voulaient-ils en faire une occasion spéciale, comme une sortie au bal. Une fête foraine gigantesque est en effet installée à quelques pas de là, derrière le centre commercial d'Alexa. Lui offre une peluche à sa copine qui semble ravie. Je pense aux fairgrounds de Rusholme Ruffians, ces histoires immémoriales de boy meets girl, un geste d'amour vieux comme le monde. Je les regarde s'amuser du jouet dans un mélange de désir et de déréliction, seul dans la noirceur néfaste du village lilliputien.

 

Humboldt-Box + Berliner Dom

Mais c'est l'autre marché du quartier, implanté un peu plus loin face au Rotes Rathaus, que je préfère. Certes la reconstitution en grands panneaux de carton d'une Gasse d'avant-guerre avec ses maisons basses et ses petits commerces - vraisemblablement des façades du Mitte historique d'avant les bombardements - y est pour beaucoup. Loin des extravagances bavaro-tyroliennes de l'Alex cette partie-ci tenterait plutôt de jouer la carte intimiste et nostalgique d'un Berlin révolu et 'typique', celui-là même décrit dans Berlin Alexanderplatz - ce qui fait aussi un malheur auprès des shoppers de Noël qui se pressent aux échoppes d'artisanat 'traditionnel'. Ce trompe-l'œil primaire, plus décor de Far West que Königstrasse, pourrait en fait être plus proche de l'avenir qu'on ne le pense. Cela fait des années que les plans de redéveloppement se succèdent dans le Marienviertel, actuellement une immense étendue verte pelée où se nichait encore récemment le Marx-Engels-Forum avant que les travaux de prolongement de l'U5 ne poussent les deux penseurs sur le bord de la route comme des malpropres. C'est que l'endroit est éminemment stratégique pour les intégristes de la Kritische Rekonstruktion qui, fidèles à leur projet de whitewashing mémoriel, y verraient bien une reconstitution - même fantaisiste - de l'Altstadt médiévale Kaliningrad-style, sans compter les convoitises financières qu'un site aussi central et symbolique ne manquerait d'éveiller. C'est qu'après la destruction du Palast la voie était libre pour les ambitions les plus folles, à commencer par celles d'une municipalité rêvant de glitz et de prestige international. Seul le récent projet de Graft a eu le cran de submerger l'endroit et d'en finir une bonne fois pour toutes.

Lorsque la formule 'Arm aber Sexy' fut lancée il y a quelques années par un Klaus Wovereit tout grisé de son audace, l'émoi fut général. Rien ne semblait mieux décrire la vérité intime de cette ville que ces mots, et nous étions tous fiers de participer d'une façon ou d'une autre à cette sexiness collective - du moins ceux d'entre nous assez privilégiés économiquement pour se le permettre -  à tel point que le slogan devint un temps l'argument marketing choc pour vendre Berlin à la jeunesse étrangère, la fameuse génération des Easyjetsetters. Mais que ce temps est lointain et que Wovi doit maintenant regretter ce moment d'égarement. Finis la rigolade, la capitale de bric et de broc et les squats, Berlin veut tenir la dragée haute à New York, Londres et Paris, et pour cela rien de tel qu'une bonne vieille politique réactionnaire de laissez-faire d'essence néo-libérale (dépeçage et vente au rabais de biens publics, une gentrification cinglante laissant sur le carreau une partie toujours plus grande de la population, création de business parks dans l'espoir d'attirer les multinationales comme toute la portion située au nord de Hauptbahnhof). Ces phénomènes concomitants ont pour seule finalité la normalisation de l'espace urbain dont l'indétermination mouvante et les fractures/diffractions ont longtemps été la marque de fabrique de Berlin, laboratoire alternatif des modernités. Il est donc approprié que le point culminant de cette entreprise de re-cohérence narrative soit la recréation du Schloß des Hohenzollern dont l'aspect final reste encore incertain, même s'il est acquis que le pastiche baroque ne couvrira que trois côtés de la façade. Il est vrai que la chantilly coûte cher et il n'est même pas dit qu'une coupole vienne couronner le chef-d'œuvre, qui ne se résumerait alors à guère plus qu'une grosse caserne prussienne. Et ce n'est pas la Humboldt-Box, ce petit objet très vulgaire essayant désepérément d'être cool dans son déconstructivisme super fashion qui nous fera oublier que ce projet - qui fera de nous la risée du monde - n'est que le wet dream d'une poignée de nostalgiques de l'ère aristocratique dont le pouvoir d'influence est manifestement assez étendu parmi les élites pour pétrifier le cœur de cette ville dans une rémanence d'autoritarisme, de bellicisme et d'impérialisme européens. Un peu cher payé pour un décor de Noël.

30 August 2011

Dog Planet

"There is something aphrodisiacal about the smell of wet concrete."

(Denys Lasdun)

 

Robin Hood Gardens, Poplar, London

As far as architecture goes never has England witnessed anything so unrelentingly violent as the hatred and collective frenzy elicited by 1960s Brutalism, putting it on a par with the Moors Murderer's ghastly crimes. Some of its most notorious achievements - from Portsmouth's Tricorn Centre, regularly voted the worst eyesore in the land, to the Gateshead multilevel car park of 'Get Carter' fame and Basil Spence's Hutchesontown C in the Gorbals, have long been knocked down and replaced by people-friendly, no-nonsense buildings appealing to reactionary visions of national identity and time-sanctioned picturesque. The frantic erasure of this peculiarly British take on high modernism - in a way the aesthetics of the Welfare State per se - went on unabated from the suburban, neo-vernacular backlash of the Thatcher years to the aspirational brashness and obsession with exclusiveness of Blairite pseudo-modernism [1]. In a context of open class prejudice and increasing surveillance of the public realm from which parts of the community are excluded on the basis of inadequate consuming habits [2], the destruction of Brutalist structures across Britain seems to tie in with the discrediting of a whole period of modern history and the social ideals it fostered. Ironically enough though, these radical architectural forms have found staunch defenders in a very exclusive coterie of connoisseurs with the Smithsons elevated to the rank of icons of the über-cool.

Robin Hood Gardens, a fortified double-slab of social housing laid out around a grassy knoll in full view of Tower Hamlets council officials - who, reneging on their prime mission to serve the community's interests, did all they could to bring about its demise - is one of the glamorous couple's rare projects to have ever been built (their masterplans for the post-war remodelling of the City of London and central Berlin with their infinite networks of deck-access blocks and streets in the sky may have been a tad too daring for the times). And despite this belated interest in Brutalist chic (exemplified by Trellick Tower's reverse of fortune and the overall fetishisation of urban edginess in a kind of 'pastoral' outlook not always immune to social voyeurism [3]) and the appreciation societies' usual outcries it is earmarked for demolition. Caught between the intensively policed enclaves of Doklands and the new consumer paradise of Stratford City its beleaguered, poor community of Bengali descent might have proved too unsightly as London is poised to become the world's focus during the next Olympics. Instead of piss-drenched communal behemoths inhabited by the undeserving poor what better symbol for our ultra-liberalized world than the glitzy, soaring glories of aspirational hubris with all the trappings of 'urban luxury living' (real estate parlance for tiny flats, total disregard for local cultural ecologies and paranoid, ultra-securitized environments)?

Beyond the strictly socio-economic issues such revanchist policies inevitably raise, times are also tough for any fetishist with a penchant for visually uncompromising local authority creations. For there has to be somewhere some poor sods who can hardly contain themselves at the sight of rough-wrought, stained concrete, and in that department the country as a whole is a true feast for the eyes with that distinctively British touch turning originally brilliant ideas into a morass of mishaps and tragedies - as the collapse of Ronan Point one grey morning in 1968 single-handedly demonstrated [4]. And it's probably its louche sensuality that exposed the material to such primal forms of violence. In Thamesmead revisited in A Clockwork Orange huge dicks and cunts are daubed all over the lobbies' vandalized walls. At the Hulme Crescents, the swan song of an aesthetics reaching its phase of terminal decay [5], its rough, grooved texture has an obscene carnality to it as remains of illicit activities and unidentified human secretions ooze out of its flawed surfaces. The estate, which from the air looks like a collection of contorted worms, was based on Bath's more salubrious Royal Crescent and before becoming, as a quasi-Piranesian burnt-out shell of empty concourses and squatted flats, the epicentre of the Mancunian underground acid house scene, was every mother's nightmare after a toddler had fallen to his death from the upper floors. In Britain bare concrete always had something menacingly alien (an unwholesome invention foisted by Teutonic modernists on an unsuspecting, tradition-loving people) that had to be domesticated and controlled by all means (prettified with adornment, whether plastic ivy or flower baskets [6], or painted over), which ultimately led to the current wave of wholesale destruction [7]. In this context the British vernacular, symbolized by 'noble', homely materials such as brick and stone, had reinstated values of common sense and decency over the excesses of foreign lunacy.

I used to live in a part of Islington where the single class society promised by New Labour came up against deeply ingrained, annoyingly unreconstructed working class identities. In fact the sort of communities routinely vilified for failing to share in the values of taste and aspiration emblematic of Blairite Britain ("the wrong kind of raspberry-wine vinegar on their radicchio", as one commentator put it), and openly ridiculed amongst the resolutely PC and morally irreproachable middle classes with 'chav' as the most common term of abuse [8]. Packington Square was before its recent obliteration such a place: a sprawling estate of interconnected low-rise blocks inhabited by the remnants of the area's former white, working class population and as such regarded by outsiders with much distaste and fear. Clad in nauseating red rubbery pannels the Packington didn't have the Brutalist credentials of Robin Hood Gardens or any of Goldfinger's creations, and subsequent redesigns (the raised walkways had been removed as they served as escape routes for muggers) did much to bastardize the original concept with all sorts of cosy additions - pitched slate roofs atop brick-clad stairwells, cutesy railings enclosing front gardens in an attempt to implement the by then very fashionable theory of defensible space. Walking back there at night was an unnerving experience. From day one I took to skirting the place through the tastefully gentrified side-streets as gangs of teenagers (constructed as necessarily aggressive, homophobic and racist by the two trendy gay urbanites my flatmate and I were) would hang out on the grassy patches between blocks with Mike Skinner aka The Streets blaring out and girls screaming in the dark like banshees. The fear of intrusion and impending violence was very real as the flat was sunken in a recess and exposed to every passing gaze. In my room the shutters were always drawn, turning it into a damp-ridden, hostile space which I could never appropriate, with the most immediate threat lurking just behind the door.

The same room appeared in a nightmare I recently had. I was lying on my bed and a floor-to-ceiling window was overlooking a vast grassy wasteland. A massive concrete slab resembling Robin Hood Gardens was looming on the horizon, distant and forbidding, as an intense white winter light bleached all colours from the scene. In the distance a group of teenagers was drifting about the burnt expanse and gradually came nearer to my room where I was fully exposed bathed in the warm sunshine. Then a scally youth clad in white sports gear and with a baseball cap on broke away from the group and peering into the flat sneakily slid a hand through the half-open tilting window. He started feeling my arse then with one finger penetrated me as deep as he could and more and more forcefully. I noticed his boyish face in the sun, frozen in a sadistic grin. I was terrified by this sudden physical violation [9] and asked my mother, who was standing still in one corner, to activate the window's complicated shutting mechanism. Her hard, sour expression made me realize that she knew. This was but one of her numerous unwanted intrusions into my room, which she entered by force to re-establish a natural order - the laws of our class collectively upheld by mutual surveillance - that I had willfully transgressed. Control was manifold and perfectly integrated, from technocratically designed architectural spaces to the innermost workings of a mother's heart.

Dial a Chav! sex hotline

 

[1] The concept of pseudo-modernism was coined by Owen Hatherley in his impassioned homage to the political visions and commitment to social progress of the Brutalist ethos, which he savagely opposes to the vacuity and vulgar grandiloquence of Blairite architecture: Owen Hatherley, A Guide to the new Ruins of Great Britain (London, New York: Verso Books, 2010). By the same author, a reflection on the erotic potential of bare concrete in Militant Modernism (Zero Books, 2009), 29-42.

[2] For a systematic deconstruction of the processes at play in the privatisation of public space in British cities, the toughening of the law and order stance under New Labour and the increasing criminalisation of the working class in the context of zero tolerance policies: Anna Minton, Ground Control: Fear and Happiness in the twenty-fisrt-Century City (London: Penguin Books, 2009).

[3] The council housed working class viewed as the receptacle of urban authenticity and gritty realness by middle-class newcomers in formerly poor neighbourhoods. On the 'pastoral' see Maren Harnack, 'London's Trellick Tower and the pastoral Eye', in Matthew Gandy (ed.), Urban Constellations (Berlin: Jovis, 2011), 127-31.

[4] Ivy Hodge and her morning cuppa had far-reaching consequences and did much to knock British architectural modernism off course. Subsequent social housing arguably showed a refreshing degree of invention compared to the monolithic, ideologically stifled building programme of the sixties (not to mention the taint of local corruption). Experiments with warmer materials and more intimate forms of space proved things were really taking a turn for the better before being nipped in the bud with the curtailment of all public housing provisions under Thatcher.

[5] A powerful evocation of life at the Crescents and their demolition after an amazingly short lifespan in: Lynsey Hanley, Estates: an intimate History (London: Granta Books, 2008), 129-32.

[6] The Right to Buy Scheme, historically the first step towards the dismantlement of the public housing sector, intended to differentiate the cream of the crop from those devoid of any aspiration towards social betterment. The appearance of fan lights and wacky colour schemes as markers of social standing over the otherwise uniform drabness of council tenure widened the gap between what was increasingly viewed as the dreck of society and a new privileged stratum of owner-occupiers, as Hyacinth Bouquet's tentacular influence was now spreading to the working classes themselves...

[7] Latest casualty: Preston Bus Station, whose fate hangs by a thread. Despite repeated attempts to get it listed its future looks pretty bleak.

[8] Some sensitive souls wouldn't be caught dead cracking a sexist, homophobic or racist joke, but 'chav-bashing' is somehow acceptable and doesn't seem to give them any qualms. For as the 'chav' is defined as an essentially dimwitted, abhorrent thug hooked on benefits, he's only fair game. To illustrate the point see the opening anecdote in Owen Jones, Chavs. The Demonization of the working Class (London, New York: Verso, 2011).

[9] A brilliant study of the gender dynamics intrinsic to Brutalist architecture in its commodification of a totally available female body and the flaws of an easily penetrable, defective concrete: Katherine Shonfield, Walls have Feelings: Architecture, Film and the City (London, New York: Routledge, 2000).

Dog Planet

Robin Hood Gardens, Poplar, London

Jamais en Angleterre vindicte publique n'aura été si intense et durable que celle sciemment perpétuée contre le Brutalisme des années soixante, l'équivalent architectural des Moors Murderers. Ses spécimens les plus spectaculaires - du Tricorn Centre de Portsmouth et du parking à niveaux de Gateshead dramatiquement mis en scène dans ’Get Carter’ aux Gorbals de Basil Spence - ont soit depuis longtemps été pulvérisés ou sont en passe de succomber à la vague de fond réactionnaire qui depuis une bonne trentaine d'années oblitère les traces visibles de l’utopie architecturale du Welfare State au profit d’un anti-urbanisme fanatique, un appel à la tradition picturesque et au bon sens populaire. Cette haine destructrice représente donc un lien de plus entre le conservatisme thatchérien historique et le pseudo-modernisme vulgaire du blairisme triomphant [1], négation systématique des formes allant de pair avec un classisme de la pire espèce dans la marginalisation de groupes sociaux 'improductifs' et la privatisation/ultra-sécurisation croissantes du domaine public [2]. L'ironie a toutefois voulu que cette esthétique sans concession à rien ni personne ait depuis été fétichisée par une clique trendy de connaisseurs distingués avec les Smithsons érigés au rang d’icônes de l'über-cool.

Malgré cette revalorisation tardive, Robin Hood Gardens, double-barre de logements fortifiée de l'East End et l’un des rares projets du couple à être sorti de terre (la radicalité de leurs plans pour la City de Londres et de restructuration du centre de Berlin - réseaux labyrinthiques et infinis de streets in the sky - en ayant sans soute refroidi plus d'un) est lui aussi voué à disparaître et le site multi-rentabilisé par une énorme opération immobilière de luxe. C’est qu’à quelques mois des Olympiades la communauté locale, pauvre et en grande partie d’origine bengali, commençait à devenir un peu trop voyante, périlleusement coincée entre les enclaves exclusives et étroitement patrouillées de Docklands et Stratford City. Au-delà des questions politico-sociales qu’un tel revanchisme urbain soulève inévitablement, pour les fétichistes du béton brut et violemment malmené, c’est un nouveau coup dur. Car il faut bien quelques pervers déclarés pour mouiller dans leur slip au seul contact de ces textures rugueuses et maculées, et dans ce domaine le pays entier est une fête des sens sans égale avec ce quelque chose de très anglais dans l'adaptation miteuse et le ratage systématique d'idées nobles - comme l'effondrement traumatique de Ronan Point le prouva un matin gris de 1968.

Et c’est sans doute sa sensualité trouble qui exposait le matériau aux pires outrages. On se lâchait contre le béton de façon littéralement primale: couvert de bites et de chattes dans le Thamesmead d’Orange Mécanique, souillé de traînées pas nettes, de restes inidentifiables d’activités illicites, suintant de sécrétions qui en corrodaient la surface, une nudité salace antithétique à une tradition indigène incarnée par la brique et la pierre, matériaux 'dignes' et totalement contrôlables. Decoffré en blocs bruts cannelés il est d'une obscénité charnelle aux Crescents de Hulme, chant du cygne d'un modernisme en déliquescence et cauchemar des mamans à poussettes - des gosses ont d'ailleurs chuté du sommet -, avant de devenir à moitié brûlé l'épicentre de la scène acid house mancunienne et être finalement abattu pour laisser place à un urbanisme des plus normalisés. Inspirés du Royal Crescent de Bath, leurs arcs en forme de verres de terre contorsionnés circonscrivaient d’immenses pelouses pelées et informes dégorgeant les déjections des cassos que la ville entassait là. Ses cages d’ascenseurs pisseux, accessibles par d'énormes piles isolées et reliées par des passerelles aux coursives sans fin, devaient dans les lueurs des lumières au sodium avoir une allure quasi piranésienne [3].

J’habitais à Islington dans un ensemble similaire bien que plus complexe dans ses agencements de blocs interconnectés et infiniment moins bandant dans son exécution. À la suite d'une tentative de reprise en main Packington Square avait même subi l’ablation de toutes ses passerelles internes pour cause de criminalité juvénile et son revêtement d’un rouge caoutchouteux dégueulasse avait été compromis par l’ajout de structures ’traditionnelles’ de brique avec petits chapeaux d’ardoise pour un surplus de domesticité tendre. La réputation de l’endroit était désastreuse, dernier résidu working class blanc dans une mer de gentrification et de bon goût qui fut avant son élection le bastion de Tony Blair. D’ailleurs on adoptait profil bas en y entrant et il était toujours préférable de le contourner par les élégantes rues adjacentes pour gagner son appartement. Dans les espaces verts séparant les blocs des groupes d'ados en survêts squattaient les bancs avec The Streets à fond le ghetto blaster. Parfois les filles hurlaient dans la nuit, des cris atroces d’écorchées qui se réverbéraient dans les coursives à peine éclairées de veilleuses. Vivant au rez-de-chaussée nous redoutions une intrusion violente et les volets restaient toujours baissés dans nos chambres pour éviter d'éveiller une attention malvenue.

Dans un rêve récent l’appartement surplombait une étendue verte face à une muraille grise identique à celles de Robin Hood Gardens qui au loin barrait l'horizon. Le soleil pâle de l’après-midi éclaboussait la chambre d'enfant où je me trouvais à travers une fenêtre large qui perçait le mur sur toute sa hauteur, si bien que j’étais de mon lit totalement visible d'un groupe de jeunes mecs qui rôdait sur la pelouse. Bien que le rez-de-chaussée fût surélevé ils réussirent quand même à m’atteindre, je ne comprenais pas comment. L’un d’eux, à casquette et veste de survêt blanches, s’approcha de la fenêtre basculante, passa la main par l'ouverture pour m’introduire un doigt dans le cul, qu'il enfonçait lentement et avec un plaisir évident. Son sourire satisfait et sadique était illuminé dans le soleil et je ne sais plus si les autres s'étaient rassemblés autour de lui pour mater la scène. Un rêve purement brutaliste où l’architecture a atteint un tel degré de porosité que le corps est ouvert et accessible à qui le veut dans la dissolution des limites successives menant à la dernière intériorité. Pétrifié de terreur je demandai à ma mère d’actionner pour moi le mécanisme de vérouillage compliqué de la fenêtre. Son expression outrée de condamnation me fit comprendre qu’elle savait [4].

 

[1] La notion de pseudo-modernism est empruntée à Owen Hatherley, amoureux inconditionnel du Brutalisme en tant que véhicule d'un projet politique progressiste et pourfendeur impitoyable de la vulgarité cynique de l'ère Blair: Owen Hatherley, A Guide to the new Ruins of Great Britain (London, New York: Verso Books, 2010). Pour une méditation sur le potentiel érotique du béton brut (assortie d'une citation de Denys Lasdun: "There is something aphrodisiacal about the smell of wet concrete."), voir également du même auteur: Militant Modernism (Zero Books, 2009), 29-42.

[2] Pour une déconstruction en profondeur et terriblement lucide des processus de privatisation de l'espace public en Grande Bretagne, de l'obsession sécuritaire des gouvernements successifs ainsi que de la criminalisation croissante du corps social dans le cadre de politiques de tolérance zéro: Anna Minton, Ground Control: Fear and Happiness in the twenty-fisrt-Century City (London: Penguin Books, 2009).

[3] Lynsey Hanley, Estates: an intimate History (London: Granta Books, 2008), 129-32. Il y est question du bref destin des Crescents dans un passage aussi visuellement évocateur qu'implacable.

[4] Une étude brillante sur le Brutalisme et l'accès illimité au corps féminin rendu possible par la transparence et la pénétrabilité de la nouvelle architecture: Katherine Shonfield, Walls have Feelings: Architecture, Film and the City (London, New York: Routledge, 2000). C'est juste après avoir évoqué ce livre avec un ami que j'eut ce rêve.

28 August 2010

Lucre, Trash et Vanité

"Dans ce monde trop souvent sans imagination, l’avenir réalise lentement le rêve des fous.“
(le député-maire lors de l’inauguration de Vermeil) 

"Elle est caissière, pas tripoteuse."
(une voleuse à l'étalage chopée à Carrefour) 

 

Nouveau Vermeil: 'La Ville-Bidon'

Certains films connaissent un sort étrange. Alors que de nombreux flops commerciaux ou critiques peuvent au fil du temps continuer à toucher un public averti au point de devenir culte, d’autres disparaissent purement et simplement des écrans radars et implosent en vol. C’est le cas de La Ville-Bidon de Jacques Baratier, objet brut de décoffrage projeté des confins des années soixante-dix et dont on est depuis sans nouvelles. Pourtant l’histoire aurait pu entrer en résonance avec certaines angoisses, très fortes dans la France d’alors, autour du modernisme architectural et du radicalisme urbanistique des dernières décennies: un projet futuriste de grande ampleur nommé 'Vermeil’ (en fait Créteil) doit sortir de terre quelque part en banlieue parisienne à grands coups d’investissements, de nouvelles infrastructures et de programmes d’implantation commerciale, et par contrecoup entraîner l’expulsion des populations marginales occupant le terrain, des habitants de bidonville à la bande de ferrailleurs établis avec leurs familles autour d’une décharge. Seule la résistance forcenée de ces derniers donnera du fil à retordre aux autorités prêtes à n’importe quel coup tordu (manigances financières, meurtre) pour voir aboutir leur idéal de cité harmonieuse et 'sans classes’... Au départ un téléfilm intitulé La Décharge et interdit d’ORTF sous Pompidou en 1971, il fut remanié et rallongé pour ne finalement sortir qu’en 1976 (ou peut-être même plus tard) et après un échec retentissant en salles sombrer immédiatement dans l’oubli. Même l’anthologie des Cahiers du Cinéma publiée il y a quelques années sur les représentations filmiques de la ville n’en fait nulle part mention. Était-ce le ton même qui ne faisait plus recette, une satire anarchisante pleine de méchanceté et de noirceur des politiques urbaines publiques sur fond de corruption et de racisme quasi institutionnalisés? Ou bien le climat idéologique du film, très en phase avec les théories critiques d’inspiration marxiste dominantes après soixante-huit? La forme même a-t-elle pu rebuter dans son oscillation constante entre fiction et documentaire social, pastiche de films publicitaires et happenings en terrains vagues? Ou le montage au rasoir qui passe constamment du coq à l’âne dans une prolifération de personnages que l’on ne cesse de perdre en route? Ou peut-être était-il simplement trop tard en 1976 pour ce genre de discours.

Ce qui frappe d’emblée dans La Ville-Bidon c’est en effet sa chronologie hasardeuse due aux aléas de son élaboration et très visible dans les phases de développement successives du quartier institutionnel de Créteil, nouvellement promue chef-lieu de département: les scènes originelles de rodéos se déroulent autour du lac de plaisance en pleine excavation, un archipel de cratères boueux dominé par la carcasse de la nouvelle préfecture en cours de construction, alors que certains plans panoramiques montrent une ville quasi achevée, ce que mes souvenir font remonter aux alentours de 1975 tant la soudaineté d’une telle métamorphose avait frappé les esprits. Ainsi la création du film est profondément indissociable du temps réel de la ville dont il suit la genèse tout en en exposant les mécanismes sous-jacents d’exclusion et de contrôle, son mensonge fondamental sous couvert de modernité et de progrès humain. La Ville-Bidon n’est en effet jamais que l’inverse de bidonville - là où l’action commence, l’état originel auquel l’hubris des hommes la fera inexorablement retourner. L’un des mérites du film est de mettre le doigt sur une période charnière de l’histoire du logement en France et des logiques de différenciation sociale et de ségrégation raciale qui la sous-tendent sur fond de pénurie chronique et d’ingénierie sociale à grande échelle. Car hors l’épopée bien documentée et presque mythique des bidonvilles, dont la résorption se poursuivra jusque dans les années quatre-vingt (avant leur réapparition plus tard sous la forme de camps de fortune aux marges des agglomérations, eux-mêmes démantelés à tour de bras ces derniers temps), l’épisode des cités de transit est lui bien moins connu: ces ensembles de barraquements sombres construits à la va-vite visaient à abriter les populations évacuées des bidonvilles en attente de relogement dans des HLM flambant neufs - bien souvent construits par ces mêmes ouvriers - et auxquelles tant de luxe était encore hors de portée. Comme si le processus de socialisation et d’assimilation par lequel on entendait les faire passer devait se faire dans cet espace gris et transitoire, un sas de sûreté devant mener à la respectabilité d’un éden urbain pourtant déjà bien en route vers sa désintégration programmée. Le député-maire (Lucien Bodard) a d’ailleurs un avis bien arrêté sur la question et l’expose à ses collaborateurs l’air goguenard: certaines populations (comprendre immigrées) sont intrinsèquement irrécupérables et en vertu de leur incapacité à s’adapter à la modernité promise (entendre acheter un appartement comme tout Français) doivent purement et simplement disparaître.

Les scènes de la cité de transit, qui se trouvait à l’orée de Créteil-Vermeil, sont d’un réalisme cru, bordéliques et souvent empreintes d’un profond pessimisme social - les observations désabusées et un brin prophétiques du gardien alcoolique (Roland Dubillard) sur la déliquescence humaine ambiante, les stigmatisations mutuelles entre groupes englués dans la même misère et l’inévitable dégradation de l’urbanité nouvelle, sont sans appel dans l’invariabilité monotone de ses logorrhées (dressé sur un monticule surplombant la ville il philosophe sur les 'grandes bites’ promises à l’ordure - point d’orgue acerbe du film). Sur le mode de la semi-improvisation sont présentées des vies flottant dans une sorte de provisoire permanent, venant d’un monde détruit et sans avenir visible, en butte à tous les fléaux sociaux imaginables: alcoolisme de pères chômeurs, délinquance juvénile, suicide dans les caves, mutilations de chats et prostitution de mères de famille. Le thème de la prostitution et plus largement celui de la sexualité des classes inférieures refait évidemment surface dans l’enquête du sociologue dépêché sur place par un député-maire soucieux de démontrer l’intrinsèque immoralité de ces lieux et le bien-fondé de sa politique d’expropriation. Alors qu’on lui demande dans une parodie d’interview-vérité si la sexualité en cité de transit est différente de celle qui a cours dans 'les autres régions de France’, Fiona (Bernadette Lafont en mode zonarde illuminée) fait allusion avec une fausse ingénuité niaise aux scènes de baise la nuit dans les caves, bien consciente qu'elle est de la fascination ancestrale du bourgeois pour une sexualité supposée dangereuse, prédatrice et hors de contrôle, dont la charge fantasmatique reste à ce jour toujours aussi puissante - voir pour cela la surchauffe médiatique autour du phénomène des 'tournantes’ il y a quelques années ou l’engouement dans la pornographie gay ethnique pour les gang bangs de rebeus en survêt... Le personnage de Fiona sert de trait d’union entre les différentes strates de ce monde d’exclusion et constitue le véritable élément flottant et libertaire du film: résidant en cité de transit, elle fréquente le milieu de la décharge et entretient plusieurs liaisons à la fois, avec le fils du propriétaire de la casse et Mario, le chef des ferrailleurs, un beau gosse décoiffé en grosses bottes de cuir. C’est elle également qui officie en grande prêtresse SM des fêtes orgiaques du terrain vague ou qui au milieu du supermarché de Vermeil-Soleil appelle à la révolte de ses co-cleptomanes et les invite à aller voler ailleurs en paix - scène insurrectionnelle rappelant l’émeute en caddies qui clôt le Tout va bien de Godard.

La résistance à la commodification et au pouvoir sous toutes ses formes est l’un des aspects centraux du climat culturel français post-situ dont l’impact se fait sentir dans tout le film sur un mode essentiellement parodique. Dans le domaine de l'architecture les idéaux du modernisme de la grande époque sont au début des années soixante-dix depuis longtemps discrédités, les innombrables rêves de Cité Radieuse ayant tous, par manque d’imagination, de moyens réels ou par simple cynisme des autorités, largement trahi l’original humaniste élevé quelque temps plus tôt au rang d'idéal céleste par Le Corbusier. Henri Lefebvre avait exposé la dimension idéologique à l’origine de toute production spatiale et les mécanismes d’oppression et de ségrégation à l’œuvre dans une France frappée de plein fouet par une forme particulièrement virulente de gigantisme architectural. Les répercussions sociales de cette violence étatique inaugurée par la reconfiguration de Paris sous Haussmann ne cesseront dès lors de hanter l’imaginaire collectif et la production cinématographique. Dans La Ville-Bidon le personnage de l’architecte (Pierre Schaeffer, par ailleurs pionnier de la musique électro-acoustique), l’un des piliers de la coalition des requins aux côtés du politique, du promoteur et du banquier, égratigne gentiment le mythe démiurgique de l’urbaniste et par un langage ésotérique aux relents grossièrement structuralistes ("toute la ville est discours") masque habilement la véritable collusion de la profession avec les instances du pouvoir. Émile Aillaud, lorsqu’il parlait de la Grande Borne, sans doute son opus magnum, avait d’ailleurs des accents très similaires, le tout enrobé d’une poétique bien plus baroque et moins mathématique mais empreinte du même paternalisme condescendant à l’égard les hordes à loger. Mais l’image est bien plus sombre dans son aspect totalisant, car comme nous le promet le député-maire le jour de l’inauguration en fanfare de Vermeil, c’est l’ensemble de l’existence humaine qui doit être prise en charge et s’épanouir dans le cadre harmonieux de la nouvelle cité: de la crèche à l’université, de l’usine à la maison de retraite, le contrôle des masses est omniprésent à tous les niveaux et n’est conçu que dans le but de servir les intérêts du capitalisme et de la classe dominante qu'il maintient au pouvoir. Ce système de contrôle par les différentes instances étatiques (l'Appareil Idéologique d'État d'Althusser, théorisé à la même époque) se heurte cependant à la résistance des casseurs de la décharge (le terme de 'casseur’ étant dans le contexte de violence politique de l’époque très fortement connoté) qui lutteront jusque dans un rodéo mortel contre l’éviction. Ce sont eux, blousons noirs crasseux et seigneurs de la ferraille, les véritables agents d’émancipation, irréductibles et au potentiel destructeur total, contrairement aux ouvriers, esclaves des cadences infernales et récupérés par l’appareil bureaucratique syndical, avec lesquels éclatent régulièrement des rixes au troquet - ainsi d’ailleurs qu’avec les immigrés portugais, car les loulous sont de leur propre aveu "aussi un peu racistes“.

C’est d’ailleurs à eux que l’on doit les scènes les plus spectaculaires du film, comme ce rodéo sauvage dans les terrains vagues, sorte de ski nautique sur capots désossés trainé par des vieilles bagnoles sans toit: en bande originale, La Décharge de Claude Nougaro, titre lui aussi complètement oublié mais féroce dans sa force percussive et ses incantations tribales; en arrière-fond la cité du Mont-Mesly, opaque et hiératique dans son ordonnancement monochrome, sorte de muraille irrélle dans la lumière grise du matin et réapparaissant à chaque retour de caméra dans un tournoiement d’une élégance époustouflante (l'effet dramatique du lieu est tel qu'Alain Corneau y tournera aussi Série Noire quelques années plus tard). Ou bien encore la course poursuite de nuit sur le parking de 'Créteil Soleil', tout juste inauguré, où Fiona, en mini-jupe et sautillant sur ses hauts talons comme une gazelle prise dans les phares, se fait coller par la bagnole de Mario au milieu des chariots - le fantasme trouble de la proie traquée de nuit dans les bois -, et c'est bien la découverte d'un cadavre de femme dans le terrain vague (un meurtre commandité par les autorités) qui précipitera l'expropriation de la communauté indésirable. Et même s’il y a ça et là dans le film des moments drôles et incisifs (certaines scènes familiales dans la cité de transit sont à la limite du surréaliste), La Ville-Bidon laisse quand elle s’éteint un goût très amer. Elle aurait dû le faire dès sa sortie si l’on s’était donné la peine de regarder, puis toujours un peu plus au fil des années au fur et à mesure de la désintégration qu’elle laissait entrevoir pour aujourd’hui ne plus donner que l’envie de vomir. On ne peut alors que prendre la mesure du désastre présent et du degré d’inaction et d’impéritie auquel est réduite la France quand il s’agit de penser les notions d’identité et de communauté nationales. Le pourrissement, sporadiquement accompagné de poussées hystériques sur la menace que ferait peser l’immigré sur la sécurité intérieure, a réellement été la seule attitude adoptée par un pouvoir intellectuellement démuni face à ces questions - l’énorme farce régressive du débat sur l’identité nationale étant l’exemple le plus stupéfiant de son impuissance tétanisée. Ce n’en est que plus évident aujourd’hui à l’heure d’une xénophobie affichée sans scrupules, d’une escalade sans fin dans l’ultra-sécuritaire et d’une brutalisation sociale généralisée qui semble être la seule réponse d’un gouvernement aux abois, sans culture ni conscience historiques: aucune volonté d’examen collectif du passé colonial français dont l’héritage explique largement l’infériorisation des populations d’origine étrangère et le déni de leur appartenance à la collectivité par un encerclement policier permanent; aucune réflexion sur la relégation spatiale qui en est le corollaire, l’exclusion de la vie civique et la stigmatisation des couches populaires les plus fragilisées, ou sur la ville envisagée comme lieu multiple et intégrateur - seule compte une action virile immédiate, le reste n’est qu’argutie de gauchiste déphasé, et tant pis si on finit dans la pire des jungles.  La Ville-Bidon contemple du haut de son tas de gravats le gouffre qui s’ouvre lentement, les fractures d’une société qu’une droite revanchiste et réactionnaire divise toujours un peu plus entre bon citoyens et 'voyous’, un pays malade de ses marginalisations démultipliées à l’infini dans la psychose d’un palais des glaces implosé.

15 August 2010

Elle, la Région Parisienne

Homo Sacer

Il y a quelques jours passaient en boucle les images de l'éviction des squatteurs de la Barre Balzac aux Quatre Mille de La Courneuve. L'émoi fut sur le moment considérable face à ces quelques familles traînées dans la rue manu militari par les forces de l'ordre, auxquelles leur ministre de tutelle ne laisse décidément aucun répit: les cris et les pleurs des femmes terrorisées étaient à la limite du supportable, la vue d'un enfant en bas âge écrasé par le corps de sa mère à même le trottoir représentant le point culminant de l'incrédulité horrifiée. La violence sociale décrétée en haut lieu et entretenue dans un climat de division entre communautés ne connaissait donc pas de fond dans un pays où les garde-fous éthiques les plus élémentaires avaient depuis longtemps sauté, la vie politique se voyant réduite à un western de série Z qu'aucune instance ou principe moral ne semblaient plus capable de contrer. Une fois l'intervention policière terminée les familles, dont il faudrait bien dire qu'elles n'avaient pas choisi Balzac pour le raffinement de son urbanité, ont dû finir dispersées dans les environs, sous les bretelles d'autoroutes, dans les camps de fortune, les meublés crasseux, peut-être même vers des départements plus lointains, ces territoires dits 'périurbains' mobilisant eux aussi tout un spectre de représentations fantasmatiques. Leur sort après une action si spectaculaire redevient indifférent puisque rendu à l'invisibilité, notre indignation trouvant sans difficulté d'autres motifs d'expression alors que le gouvernement français dégaine tous azimuts comme lors de toutes ses poussées d'anxiété extrême et de glaciation sécuritaire.

Le lieu même de l'intervention est hautement emblématique. Non pas tant à cause de la sortie sur le Kärcher, ce que l'on n'a d'ailleurs pas manqué de relever dans la presse, qu'en raison du devenir de la vie sociale française au fil des décennies que la Barre Balzac (et non la 'Tour', comme on l'entend souvent -  il est important d'être précis ici comme ailleurs: un zeilenbau n'est pas un point block.) incarne à la perfection dans sa décrépitude ahurissante. Je l'ai encore aperçue il y a quelques semaines du RER B en route vers l'aéroport, elle et celles plus modestes qui s'agglomèrent encore tout autour. C'était une très belle fin de journée d'été, j'etais en marcel tous tatouages dehors, exposé au regard de jeunes hommes en groupes, discutant et riant, ceux dont la simple existence semble grandement inquiéter le pouvoir. Des fenêtres on voyait Balzac dans son impressionnant volume et la lumière dorée éclabousser les parois des immenses ouvertures rectangulaires dont je me disais qu'elles avaient dû être creusées dans son épaisseur à l'occasion d'un énième programme de réhabilitation passé, qui comme tous les autres réduisait la problématique de l'exclusion à de simples questions spatiales. Comme si l'on avait cru qu'elle prendrait ainsi allure plus humaine, deviendrait plus contrôlable, pacifierait ses occupants. Oui, faire passer tant de lumière au travers du monolithe lui ferait prendre en légèreté, avait-on dû penser. Quelques appartements avaient disparu dans la série d'excavations qui ponctuaient à intervalles réguliers l'énorme structure, qui de cette façon avait commencé a devenir un bel objet dramatique et primaire.

J'ai bien sûr pensé à Deux ou trois Choses que je sais d'elle et au moment où l'ensemble est entré en vie, rempli des surplus prolétaires d'un Paris en pleine guerre contre ses pauvres - un élan offensif parmi bien d'autres dans son histoire moderne. C'est vrai que dans le film la cité se laisse saisir comme un tout plastique cohérent et baigne dans une lumière de début d'après-midi légèrement gazeuse. L'humeur aurait même quelque chose de franchement frivole lorsque Marina Vlady laisse son gosse en garderie pour partir en jupette faire la pute à Paris. Tout flotte dans le bleu immatériel, pâle et brillant, des panneaux de mosaïque structurant les façades, une profondeur de bleus ancestraux condensés en des millions de petits cristaux, une Byzance azurée où tout sentait les cages d'escalier fraichement ripolinées... C'était une marque de l'époque, un manifeste visuel mêlant l'hygiénisme social à la volupté d'une vie de plaisirs dans un espace désincarné et abstrait. Dans Deux ou trois Choses... on semble pourtant déjà assister au début d'une décomposition annoncée, la pourriture qui ternira irrémédiablement cette vision olympienne. Y parler si tôt de violence sociale serait inapproprié, et pourtant tout ce qui y surviendra est déjà contenu dans l'ennui de l'enfermement (les longs plans d'adolescentes et de mères postées aux fenêtres dans une attente indéfinie, comme réveillées après leur déplacement brutal d'un monde intime et familier, symbolisent parfaitement cette position du corps féminin dans l'urbanisme technocratique des grands ensembles), la terreur du déclassement social, le sentiment de s'être enlisé dans un temps stoppé net. Ce sera seulement plus sale, plus intense et plus désespéré [1].... Le bleu de La Courneuve subsiste à ce jour, à peine terni, ce qui est très troublant. Un bleu que j'aimais infiniment voir dans toutes ces cités de la Région Parisienne mais par la suite recouvert d'une épaisseur beige sans éclat à l'occasion de reprises en main institutionnelles.

Ce début de canicule a été en France marqué par une vague d'incidents graves qui ont en retour déclenché un déferlement de mesures gouvernementales délirantes, nouvelles illustrations du revanchisme revendiqué de la droite contre les populations reléguées de ce pays. Il y eut tout d'abord la Villeneuve de Grenoble, un ensemble solide de structures brutalistes soigneusement disposées entre lac artificiel et paysages alpins, et qui à son tour constituait un territoire à reprendre de force. Depuis quelques semaines s'y succèdent tactiques guerrières d'assaut et descentes matinales d'une violence insensée, donnant lieu à un déploiement de personnel incroyable dans sa magnitude. On pense ne serait-ce qu'une seconde à l'effet produit par une présence policière aussi écrasante dans son espace le plus banalement quotidien, celui que l'on investit affectivement, celui d'une sociabilité qui est la même que partout ailleurs, à sa violation constante de l'intime et surtout à son absolue impunité tant ces méthodes dignes d'un régime d'exception relèvent dorénavant d'une normalité dont peu songent à s'émouvoir. Peu après La Corneuve trois policiers sont montés dans la rame de RER où je me trouvais, trois beaux mecs harnachés de toutes sortes d'ustensiles pendant à leur ceinture. Je n'aime jamais une telle proximité, elle me rend vulnérable, et encore moins de me dire qu'un état dit de droit doive à ce point se reposer sur l'arbitraire le plus flagrant pour assurer sa propre stabilité. Et je sais d'expérience, en France comme ici, que le délit de faciès, puisque c'est là que tout commence, est tout sauf une vue de l'esprit.

Et puis entre La Courneuve et Grenoble on aura aussi crié haro sur les Roms, que le gouvernement persiste dans sa large inculture à assimiler à l'ensemble des 'gens du voyage', catégorie administrative très mignonne et unique à la France. Certes, la population ne semble pas non plus très encline à les soutenir au moment des démantèlements de camps par une police visiblement extensible à l'infini, peut-être parce qu'ils ont une dégaine pas possible et que télégéniquement parlant on a fait mieux. C'est vrai que dans l'avalanche de drame et de pathos qu'est l'évacuation de la Barre Balzac on serait davantage porté à l'indignation... Cela me rappelle une étrange scène à laquelle j'ai assisté il y a quelques semaines. À Berlin aussi des femmes Roms font la manche dans tous les hauts lieux touristiques et surtout autour de l'Alex qu'elles parcourent en groupes de long en large toute la journée, fendant les courants d'air de leur longues jupes bariolées, une ribambelle de mômes à leurs trousses. Un matin alors que je revenais du sport, certaines se reposaient sur l'une des pelouses pelées environnant la Fernsehturm et servant accessoirement de toilettes publiques. Un ivrogne du coin s'était joint à la partie puis s'était sauvé en courant aprés avoir chapardé un ballon à l'un des gosses. S'en était ensuivi un drôle de jeu de cache-cache entre ces femmes et le farceur dans le but de récupérer le ballon. Cela les amusait beaucoup et leurs rires enjoués retentissaient sous les arbres, des rires de jeunes filles profitant d'un rare moment de légèreté. On aurait presque songé un instant à Marie-Antoinette se distrayant avec ses dames de compagnie à Trianon. M'est alors venue une pensée curieuse: que ces femmes aussi étaient jeunes et pouvaient faire preuve d'insouciance, qu'elles savaient rire de choses aussi inconséquentes, qu'aucune d'elles ne pouvait individuellement se réduire à cette armée spectrale écumant la place et toujours considérées en termes de nuisance ou de victimisation. Pendant ces quelques secondes je me sentis capable de les voir autrement et m'arrêtai pour observer la scène, jusqu'à ce que le poivrot mette abruptement fin à cette fraternisation improbable en faisant d'un coup éclater le ballon.

 

[1] Une mise en perspective des interactions entre subjectivités féminines et architecture moderne dans le cinéma des années soixante (incluant une analyse de Deux ou trois Choses... et du Repulsion de Polanski) dans: Katherine Shonfield, Walls Have Feelings. Architecture, Film and the City (New York, London: Routledge, 2000).

21 June 2009

Galerie des Victoires

Ils avaient été trois à arriver à intervalles réguliers jusqu’à la fermeture. Ils se ressemblaient tous assez, d’allure jeune et d’un style tout-à-fait conforme à celui en vigueur dans ce bar de Schönhauser Allee - tendance prolo avec une composante fortement fétichiste. La clientèle y est en fait très diverse mais la reconnaissance immédiate qui s’opère à l’intérieur de cette communauté érotique marque d’invisibilité tout ce qui ne s’y apparente pas. Certains prennent forme réelle à partir de la grande base de données électronique qui nous sert de soupe primordiale, d’autres me sont encore inconnus, mais à un moment ou un autre nous aurons tous joué ensemble, profitant des recoins sombres et inconfortables menagés dans l’enchaînement spartiate de backrooms qui occupe l’arrière du lieu. Au travers des volets tirés on voyait que le jour s’était déjà levé et qu’il était gris. Dans quelques heures je devrais partir pour la Baltique dans l’hébétude du manque de sommeil mais cela n’avait aucune importance. Mon corps s’était habitué à répéter la même routine, reproduisant les mêmes gestes, encore prêt à se laisser saisir, approchant des peaux différentes mais toutes invariablement douces, de cette douceur des jeunes hommes qui me trouble toujours car fondamentalement étrangère à la mienne, une fragilité de corps adultes pas encore vraiment extraits de l’adolescence dont ils gardent les traces lointaines. Les étreintes se faisaient étrangement lentes et précises, et parfois je voyais qu’on me souriait dans le noir, des rangées de dents carrées et parfaitement alignées. Il était inouï qu’on imagine faire une chose pareille, sourire à un partenaire si transitoire, ou à le serrer contre soi, à le garder dans ses bras contre les intrusions incessantes de ceux dont on ne veut rien savoir et qui rôdent tout autour dans l’espoir de se joindre à ce fragment d’amour lancé dans la bourrasque.

Proll boy, Prenzlauer Berg

Je m’étais retrouvé le soir suivant à l’entrée d’un port de Lituanie. Les installations industrielles, les pinèdes sur la lagune, les containers de couleurs vives nettement empilés défilaient lentement dans une lumière d'incendie qui me fit vaciller dans une compression affolée de l'espace-temps. M. et moi nous dirigions vers ce que nous savions avoir été l’Allemagne à différents moments de l’histoire mais s’était peu à peu délité par lambeaux entiers, avait basculé dans d’autres devenirs après l’implosion catastrophique du reflux.  Il était incroyable que ce pays ait pu être si immense. Après vingt-quatre heures de traversée on se trouvait encore dans son ancienne empreinte, identifiant ça et là les signes d’une appartenance antérieure. Le centre restitué de Klaipéda paraît fragile, une sorte de petite théâtralisation d’un passé idyllique fermée sur elle-même et masquant à peine la sauvagerie de l’histoire récente. Tant d’apprêt semble futile à l’échelle de la dévastation passée et de l'indifférence d'un avenir qui se jouera ailleurs.

Les corps de la nuit passée étaient encore proches. Je les avais traînés avec moi aussi loin et à la tombée du jour je tentais de les imaginer si peu de temps après la séparation dans leurs trajectoires retrouvées. D’autres sont venus s’y superposer entre-temps et ont fini par se fondre dans l'immense vortex orange du port. Fucking Berlin de Jeff Keller, dont cela semble être la première publication, est un opuscule dense et concis dont le format s’était parfaitement prêté au temps de la traversée. Le récit est tout entier axé autour d’un week-end de baise non-stop de quatre Français en visite à Berlin à l’occasion du dernier Folsom. Le rythme en est haletant et frénétique à l’image des innombrables scènes d'orgies scandant les festivités de bout en bout. En fait on ne respire pratiquement pas dans cette succession ininterrompue de défonces improbables, et c'est d’autant plus éprouvant que le style en est le plus souvent indigeste, un déluge de lieux communs et de formules toutes faites lardé de traits d’humour lourdingue avec ça et là quelques accès de clairvoyance métaphysique autour de l’immanquable dialectique Éros-Thanatos. Mais passés ces désagréments le livre laisse tout de même une drôle de trace et dans son passage furtif fait d’autant plus sentir sa perte qu’il vient en contenir d'autres qui sont comme amplifiées à son contact, leur communauté étant abruptement mise à nue. Dans son exploration du Berlin hard, le narrateur - celui des quatre dont on comprend qu’il est le plus bandant, le plus exclusivement actif et le mieux monté - n’aime rien tant que ces moments de communion extatique avec ses semblables venus de toute l’Europe et qui au fil des soirées (toutes ayant immanquablement lieu dans quelque friche industrielle, comme il est de mise ici) prennent place tout naturellement dans une sorte d’immense mécanique infernale. Le désir primaire d’identification et d’appartenance à une communauté de pairs est exprimé de façon très forte, entraînant même des parallèles incessants avec l’amitié et le sens du sacrifice à l’antique dont la germanité contemporaine serait l'héritière directe, le mythe du mâle brut et sans états d’âme dans l’expression de son désir étant glorifié sans partage. Car loin de Paris, de ses afféteries et faux-semblants avec les 'folles du Marais' en prenant copieusement pour leur grade (le féminin étant à tout prix évacué pour permettre la survie du mythe), c’est à Berlin qu’une masculinité quasi-primordiale se laisse découvrir, et partant une authencité essentielle autour de laquelle construire une identité d’homme impossible dans un milieu d’origine jugé oppressif et mensonger. Il est d’ailleurs intéressant de constater comment le lieu de Berlin, même si porté aux nues dans les possibilités sexuelles qu'il offre en permanence, reste étrangement absent du récit en ce qu’il ne fait l’objet d’aucune réflexion sur son devenir historique ou sa signification profonde, quelques remarques aussi brèves qu’étranges sur la Stasi mises à part.

Mais le plus stupéfiant reste cette capacité des corps à une suractivité frénétique dans une infaillibilité physiologique qui rendrait même envieux. L’étalon évolue avec facilité entre lopes prêtes à la saillie et gueules à jus dans un scénario parfait où tout le monde semble heureux de tenir un rôle invariable et prédéterminé. Défaillance, flottement et doute n’ont aucune place dans ce monde fantastiquement bien huilé et vertigineux. Tom of Finland avait au moins quelque chose de léger et de mutin même dans l’excès. Ici chaque party qui débute se fait dans l'appréhension d'une avalanche imminente d'épisodes trash qui dans leur répétition effrénée annulent toute possiblilté de fantasme et sont relatés dans une absence assez troublante de recul vis à vis des masculinités 'performées' dans ces lieux. Dans cette dynamique du désir une position centrale est occupée par la figure emblématique du skinhead, qui même quarante ans après son émergence en Angleterre continue d’incarner l’idéal insurpassé du salaud intégral, bien au-delà des cuirs devenus trop dociles dans leur antiquité ou des proles sport qui même si très appréciés ce côté-ci de Prenzlauer Berg sont loins d'être visuellement si incisifs. Car en plus d’être un baiseur hors-pair, le skin a un sens inaliénable de la loyauté et de la camaraderie, une sorte de noblesse intrinsèque hérité de ses origines prolétariennes qui le distingue des folles langues de putes (forcément bourgeoises) ou bien pire, des 'faux' skins qui n’usurpent l’uniforme sacré qu’en vue de s'en taper des 'vrais'. En lisant tout ça j’ai aussi pensé à Stuart Home chez qui les descriptions de baise sont tout aussi graphiques (et bien plus désopilantes) et le skinhead également omniprésent dans sa valeur archétypale, même si la démarche littéraire et théorique le transformant en vecteur de forces subversives visant à radicalement renverser l'ordre existant est bien sûr très éloignée de Fucking Berlin et sa ferme implantation dans le premier degré. Pourtant des éclats de lucidité affleurent ça et là, brefs et noyés dans le déluge mais bien plus véridiques dans ce qu’ils révèlent de désirs cachés et de doutes inavoués. Le sentiment d’être lancé dans une fuite en avant insensée, la brutalité de la perte quand tout le monde déserte subitement le théâtre des opérations, la révélation d’une intimité fulgurante qui laisse pantelant dans les rues ensoleillées le matin et cette arrogance jubilatoire face aux familles hétéros en promenade qui ne comprendront jamais rien à rien, l’horreur - et là on ne peut que dire merci - de voir à quel point la pratique du bareback est répandue à Berlin et surtout à quel point ceux qu’elle entraîne sont jeunes! Et encore et toujours un rêve de communauté, de vérité et d’authencité pour lequel on serait prêt à tout dans l'épuisement d'actes qui ont oublié jusqu'à leur sens intime.

Reconstruction de l'Altstadt (Königsberg), Kaliningrad

Kaliningrad fut fondée sur la négation radicale de ce qui avait existé depuis des siècles et l’expulsion dans le carnage de la population allemande vers le cœur ruiné et calciné des origines. Dans un exercice de marketing assez osé visant à mettre fin à une dérive mémorielle perpétuelle et à réinsérer le lieu dans un narratif destiné avant tout à la consommation touristique, on se remet à rêver de Königsberg, dont l’évocation dans le tissu urbain est omniprésente, des posters géants de l’Altstadt dans les cafés aux fouilles archéologiques sur le site de l’ancien Schloss. Un morceau entier de la vieille ville est même en train d’être recréé de toutes pièces, un ensemble monumental de bâtisses prussiennes aux tons pastel devant culminer dans une réplique du campanile de San Marco, ce qui laisse songeur sur la nature de la mémoire invoquée... À l’opposé, la carcasse überbrutaliste du Palais des Soviets a été camouflée sous différentes nuances de bleu, sans soute pour faciliter sa dilution dans le ciel et atténuer l'évidence de l'oblitération qu'il symbolise. Dans certaines lumières il est vrai qu’il disparaît presque totalement. Cette réappropriation fictive et mercantile d’un passé aussi douloureusement absent va de pair avec la prolifération de shopping centres gargantuesques destinés à recréer l’illusion d’une urbanité depuis longtemps ravagée. L’un d’entre eux se nomme simplement le Kaliningrad Plaza et au premier étage Paris Hilton, meilleure approximation du vide, vient d’y ouvrir une petite boutique toute rose.

15 January 2008

Luftpalast: Absence, Desire and Berlin's Wastelands

A journey through the physical voids and disruptions of Berlin, a city marked as much by absence as it is by architectural materiality, as it is confidently re-emerging on the world stage. After the resumption of its status as unified Germany’s federal capital spectacular reconstruction plans have radically altered the character of the amorphous city in order to create a stable, strongly defined sense of self, just as former political regimes had sought to leave their ideological mark on what was perceived as a shapeless, uncontrollably deviant wilderness. This new phase in the city’s history posits a strong architectural intervention as the precondition for the reshaping and normalisation of social processes in the context of global, transcendent consumerism. This horror vacui and fixity of meanings in the opacity of built forms lead to the obliteration of transparent, multilvalent spaces where the emergence of potentially subversive desires, a heightened awareness of one’s historical dimension and fundamentally composite, ’diffracted’ identity gives way to the unnerving sense of a ’flattened’, permanent present encapsulated in a generic, hypercontrolled urban realm. This endless quest for oneself through the city conjures up powerful cinematographic images as Berlin’s ever-changing scenery and dramatic transformations have inspired a wide range of directors and provided the setting for some memorable performances. In a simultaneous interaction with writing and photography four films will be discussed here, each of them raising crucial questions about the interplay of memory, desire and residual spaces: how to truly be in the city? How do the contradictory pulls of historical consciousness and general amnesia shape the built environment? What sort of manipulation and obfuscations are embedded in architectural intervention? How can desire and resistance to any fixed identity and superficial, univocal interpretations of the city develop and circulate in its empty expanses?

 

"This is how one pictures the angel of history. His face is turned toward the past. Where we perceive a chain of events, he sees one single catastrophe which keeps piling wreckage and hurls it in front of his feet. The angel would like to stay, awaken the dead, and make whole what has been smashed. But a storm is blowing from Paradise; it has got caught in his wings with such violence that the angel can no longer close them. This storm irresistibly propels him into the future to which his back is turned, while the pile of debris before him grows skyward. This storm is what we call progress."

(Walter Benjamin, Illuminationen) [1]

 

Sehnsucht

Bernauer Strasse - 13 August 1961. At the Deutsches Historisches Museum on Unter den Linden the same footage is constantly replayed. That of Bernauer Strasse on the day when the ’anti-fascist protection rampart’ was suddenly erected by the GDR regime, the first day of total physical separation between the two halves of the politically torn city. Whatever lay at hand was used to build a primitive version of what would over the years become an extremely sophisticated fortified system: bricks, breeze-blocks, concrete beams.

On the Bernauer Strasse architecture itself became the Wall as border troops stormed into tenement blocks and forced the inhabitants to leave without delay. The most harrowing scenes show some of them jumping off to safety from the upper storeys, not having enough time to take even the slightest possession with them, whilst the windows and entrances of the lower floors were being bricked up one by one, the flats being forever entombed with all their content and memories. On its whole length the street presented the same surreal sight of violated architecture and lives, rows of bricked up Mietskasernen (’rental barracks’, the archetypal palatial Berlin tenement block with a succession of courtyards at the back). Later on all of them would in a final act of destruction be razed to ground-floor level and hollowed out, their smashed in windows and doors revealing the eerie, empty expanse of the Death Strip, a wasteland of weeds, barbed wire and a bewildering array of military infrastructures [2]. Across the city the Wall acted as a black hole at whose contact everything - humanity, architecture, civilisation - disintegrated and vanished without trace. In the abolition of meaning it represented architecture and its reverse strangely became one and the same thing [3].

The cumulated effects of wartime bombings and division have deeply affected the physical texture of the city, which has been disrupted by constant waves of destruction-reconstruction. The voids in-between, the insterstitial spaces, the archeology of Berlin’s history laid bare, testify to the unimaginable violence of the processes that shaped it. Unlike other metroplolises endowed with a greater visual coherence, relatively stable historical continuity and a clear sense of self to market, Berlin, in the absence of any homogeneous historical continuum and clear-cut definition, is in contrast a city without a form [4], an amorphous entity endowed with multiple personae [5]. This lack of stability in the city’s physical fabric has a profound effect on the way one experiences its spaces, as though the irretrievable loss of architectural materiality and the excessive openness found an echo in a more slippery, less circumscribed sense of self, a state of accute awareness, expectation and yearning for what holds the promise of endless possibilities. Lying in a wasteland where only one building might still be standing, the exposed side walls scarred with the burnt out traces of what was once other houses full of people, an architecture turned inside out and broken through, the unexpected perpectives opened up by what has been disemboweled as in a gigantic Matta-Clark anarchitecture, or sitting in the peace of a cool stairwell after entering an old tenement block whose door had been left open, just to listen to noises and faint voices coming from within - and wonder what actually happened there. For a brief moment identity wavers and diffracts itself into an infinity of alternative, imagined lives: ghosts from the past, film characters, the sheer multiplicity of one’s possible selves in the exhilaration of the open city. There is a beautiful German word for this state of longing, whose force is difficult to convey in other languages: Sehnsucht. Sehnsuchtsvoll, sehnsüchtig, full of yearning for something that is not there and may yet be revealed.

 

Harzer Strasse, Treptow

Car park, Karl-Liebknecht-Strasse

Former Death Strip, Moritzplatz, Kreuzberg

The ubiquity of absence in Berlin’s fabric and the impossible return to a lost unity are one of the many strands at the core of Wim Wenders’s Wings of Desire [6]. One scene in the deserted wasteland of the Potsdamer Platz, once the bustling centre of Berlin’s social life and as a result of the Wall’s destructive power an overgrown, almost totally obliterated wilderness save for a few isolated buildings (a surviving part of the Hotel Esplanade with its rococo ballroom) and the disused viaduct of an experimental magnetic levitation train system. Shadowed by angel Cassiel (Otto Sander), the old poet Homer (Curt Bois) returns to the place of his youth but is unable to locate precisely where the Potsdamer Platz once stood. There are no bearings left, no vestige to cling onto to access memory and revisit the past. Everything is constantly shifting in a kaleidoscopic sense of disorientation and unstable, ever-changing meaning. What may in other cities be taken for granted (continuity, architecture, materiality, coherence, presence) here dissolves in indeterminacy, uncertainty and near non-existence. What once stood is gone and yearning for an aesthetic, narrative unity is constantly thrown into disarray and doomed to failure in the disruptions and disturbances of a city splintered into numerous histories. Being in Berlin means acknowledging the sheer power of absence and impermanence, being open to the multiple virtualities of its terrains vagues and forgotten recesses. This being a depressing prospect in a world where space is a prime commodity it goes some way towards explaining why architecture is felt to be a consolation in the face of loss and why so much of it (or more to the point, why too much of the same stuff) has been produced since the post-Wall heady days in order to finally give Berlin an acceptable face.

One case in point is the Topography of Terror, a memorial site situated a stone’s throw away from the Potsdamer Platz [7]. Standing on the excavated remains of the nerve centre of Nazi terror (the Reichssicherheitshauptamt, including the Gestapo headquarters) and displaying a (now permanent) exhibition on the crimes that were planned in its palaces or actually took place in its underground cells, the site is remarkable by its almost total absence of architecture. The intervention is indeed minimal, even a bit makeshift, and focuses on the bare facts so that visitors are free to engage with the environment and exhibits in their own personal way. The land itself is left in the state it has been in since the sixties, unstructured, unadorned and unburdened by the predetermined meaning an overwhelming architectural presence would have stamped on it. However various design competitions have been launched since the eighties to give a more coherent shape to the Topography, which might have looked a bit too unprepossessing and scruffy to some for a place of such historical significance. The ill-fated Peter Zumthor project - a documentation centre dominating the ground - illustrates what is at stake in architectural intervention - however sensitive and subtle - as it interferes with and compromises the site’s essential open-endedness.[8] Eventually the Topography of Terror remained in the same informal, unbeautified condition, confrontation with the past being all the more effective and powerful in the absence of any physical mediation between the visitor’s reflections and the vanished theatre of hate, whose philosophical, political, emotional implications are thus fully revealed.

 

Devianz

Bernauer Strasse, 1981 - Polish director Andrzej Zulawski films his unsung masterpiece, Possession, memorable in its haunting depiction of a West Berlin stuck in the status quo of the post-Ostpolitik years. Whereas the Wedding part of the street has been gloriously redeveloped seventies-sci-fi style, the other side in Mitte is sinking into a uniform, rain-soaked mass of greyness with collapsed remains of houses serving as makeshift fortifications. The overall ambiance is that of paranoia, mental collapse and unrelenting despair.

A disconcerting mixture of intellectual grandeur and metaphysical schlock, which has elicited amongst film lovers adoration and repulsion in equal measure, Possession [9] is an altogether classic tale of adultery and communication breakdown. Anna (Isabelle Adjani) shows signs of unrest (to put it mildly) as her husband Mark (Sam Neill) returns home from some spying mission. It quickly transpires that she’s taken a lover during his absence, who turns out to be some bloody, tentacular creature hidden in a dilapidated flat in Kreuzberg. Throughout the film she is seen rushing to and fro between her two abodes in a state of constant hysteria. In the relinquishment of her responsibilities as a mother and docile wife, Anna becomes some unlocalizable vagrant in a city seemingly deserted by all human activity. In a state of continuous nomadism and divorced from social constraints she storms in and out of a modern, sterile family environment endowed with all the trappings of cosy domesticity (the flat faces the Wall with border guards literally peeping into the living room) to an uncertain twilight zone on the urban margins where she does away with the most basic rules of polite civilisation, as serial murder and bloody embraces quickly ensue.

The flat where the monster dwells is an old, heavily ornate palazzo-like Mietskaserne facing the Wall in the Sebastianstrasse, another famous stretch of the Death Strip. Because of the advanced degree of dereliction it had fallen into after the combined effects of wartime bombings and division Kreuzberg was at the time a terminally ravaged district of fallow land and abandoned tenements attracting all those who, whether out of choice or not, had no or little stake in mainstream society. Whilst the more than affordable rents attracted waves of Turkish immigrants, empty buildings were taken over by a politically very active community of squatters intent on creating alternative forms of social organisation in a city which, because of its insular status in the geopolitical configurations of the time, was more open to radical experiments of all kinds. The mythical status of Kreuzberg as a place of exile and rootlessness as well as a laboratory of social dissent and cultural subversion viscerally averse to capitalist encroachment, was further strengthened in the eighties by recurrent street fighting with the police in protest against forceful evictions. The area was at the time earmarked for wholesale redevelopment and increasingly threatened in its informal, uncommodified character by the normalising forces of institutional speculation - the gargantuan Kreuzberger Zentrum at Kottbusser Tor gives a clue as to what would have happened had they succeeded. Anna's flat, in its sheer uninhabitability and makeshift, ’recycled’ quality, is the antithesis to the controlling, rationalised family space she is constricted to in the repression and self-denial it imposes. As a remnant of the past still bearing the traces of its innumerable catastrophes it is the place where the most aberrant desire and the horrors of a silenced history can be revealed and confronted.

Hidden in a residual part of town devoid of any financial value and where 'normality' has partly broken down, the monster can be seen as the emanation of a desire that exceeds and transcends the norms of conventional bourgeois marital life ruled by decency, whilst embodying in its extreme horror the violence of historical/erotic awareness that is sparked off in the disrupted, scarred city. Anna's sexuality is ruled by excess (we learn that he made love to [her] all night) and is nomadic as the ’couple’ moves around Berlin from place to place after the Kreuzberg flat has been gutted by fire. The endless wandering and out-of-control eroticism - matched by Berlin’s numerous sites of informal sexual encounters - subvert and annihilate all ideologically determined structuring of space. This confrontation with the most abject leanings finds a correlation in the lingering presence of a harrowing past that is everywhere to be seen in the urban fabric. Lurking between the two halves of a divided country the monster's lair is the sealed chamber where the tragedies of history are made visible with madness and identity meltdown as inevitable consequences. Alone in the margins of a city she has taken possession of, Anna occupies the spaces left vacant by all normalised forms of behaviour and knowledge, and in the destruction she wreaks enjoys a state of ubiquity and permanent transgression. The ’child’ birth scene in the U-Bahn tunnel (with its squealing and yelling probably the most memorable moment in the film) encapsulates this equivalence between the aberrant, transfigured body and the porous urban immensity whose limits and restrictions have been dissolved.

Fräulein Schmetterling am Palast der Republik

The question of the presence of an alien (female) body in marginal urban spaces and its potential subversion of the social order is articulated even more clearly - albeit in much more serene form - in Fräulein Schmetterling [10], a film produced in 1965-66 by the Deutsche Film-Aktiengesellschaft (DEFA) with a script by Christa and Gerhard Wolf, as the themes of desire, fantasy, architectural transformations and political control are here intrinsically linked. Interestingly the film was deemed suspicious enough by the Central Committee of the SED (East Germany’s Communist Party solely in power) to be banned before even being granted a release. Helene (Melania Jakubisková), the main protagonist, dreams her many possible lives in a sunny, excitingly cosmopolitan Ost Berlin and doesn’t seem to grasp the urgency of socialist edification. She is a bit eccentric, whimsical and unable to hold down any of the jobs the authorities 'allocate' her to, each assignment resulting in painful failure and humiliation. More importantly she lives in a crumbling, soon to be knocked down old Mietskaserne that had survived the bombings around the Alexanderplatz and obstinately refuses to vacate the place despite repeated attempts to dislodge her and separate her from her younger sister. Unlike the new, rationally designed blocks of modern flats lining the monumental avenues of East Berlin - the neighbouring Karl-Marx-Allee being the prototype of such totalising designs - the old quarters, an ill-defined geography of bombsites, wastelands and abandoned houses, concealed in the eyes of the regime something shady, ambiguous, conducive to all sorts of deviances and thus potentially damaging to the stability and homogeneity of the political/moral order [11].

In Fräulein Schmetterling we witness the continuous conflict between the realisation of desire in its uncontrollable circulation in the city’s unchartered zones and an increasingly monodimensional, transparent architectural space, a frozen, static monumentality from which there is no escape. A lone woman roaming the city streets, occasionally looking for men (she has a short fling with a boxer she’d spotted and followed around town), or dreaming her life away in sumptuous settings, as in the lovely scene showing her wearing different evening dresses outside Café Moskau or waltzing in the evening sun up the Marienkirche with the said boxer, is clashing with the officially promoted version of the ideologically committed woman, a creature turned into a monosemic, easily identifiable icon of the socialist project [12]. Other women in the film conform to that ideal, the most daunting of whom being the relentlessly intrusive bureaucrat from the Jugendamt who is determined to bring Helene to heel. Eventually the young woman is rehoused in one of the blocks along the Karl-Marx-Allee where she can start a new life in accordance with official values and aspirations (a good wife, mother and worker rolled into one). Encased in glass and concrete she overlooks the grand boulevard - a thoroughfare more suitable for Soviet-style military parades than erotically driven flânerie - seeing everyone and becoming visible to all in her final neutralisation [13]. Errant sexual desire and dreams of romance are nipped in the bud by means of urbanistic concepts devised to consolidate a coercive, omniscient power. But there is love at the end of the road when Helene meets a pantomime in a circus and seems once again to slip out of the State’s clutches by instilling a bit of magic into people’s dreary lives.

After extensive restoration by the Bundesfilmarchiv Fräulein Schmetterling was shown for the first time in Berlin in 2005. The intensely oniric quality of the film was all the more moving as parts of it had been too damaged during the purgatorial years in the vaults to be salvaged, hence its strangely fragmentary, lunar quality. A film intermittently erased with a discontinued soundtrack and an image constantly teetering on the brink of disappearance - when it wasn’t underexposed or complelety blurred - it itself became void and was left so without further intervention, in a state of fragile equilibrium where the disruptions and losses in the visual continuity echoed the shapeless, loose fabric of postwar Berlin, where subversive bodies and fleeting desires could still feel at home despite the regime’s best attempts at reducing identities and social relations to regimented uniformity and mere manifestations of political subservience.

 

Panopticon

Bernauer Strasse - January 2007. The eerie silence and all-pervasive psychosis of its pre-1989 incarnation have given way to a breezy, bustling street life on the edge of the übertrendy districts of Mitte and Prenzlauer Berg. An expanse of derelict land is still visible on the site of the former Death Strip despite timid, peacemeal attempts at giving a modicum of visual coherence to the area. At its Western end a whole section of the Wall has been reconstructed as part of a memorial to those who lost their lives fleeing from the East.

This concern with visual continuity and homogeneity is central to the immediate post-Wende years when Berlin was turned into the largest building site on earth and was set to become - that’s at least how it looked for a short while - the most exciting laboratory of avant-garde architecture and urban intervention imaginable. Debates raged over the shape to give to a city which had for so long been deprived of one and just like Paris or London had a clear, unmistakable identity and confident sense of self, so Berlin would soon be as visually defined and thus regain the metropolitan prestige befitting a newly ’normal’ Germany. The result of such ambitions is probably the biggest U-turn in the history of town planning and a strategy that will mark the city’s development and structure for years to come. The controversial set of theories and practices known as Critical Reconstruction and according to which Berlin was to be rebuilt was promoted and implemented with steely determination by the then Director of Urban Development Hans Stimmann, whose legacy is still hotly debated to this day [14]. To put it simply the concept of Kritische Rekonstruktion involves a total rehabilitation of spatial models inherited from a fantasmagoric golden age in urban history which broadly speaking covers anything from the baroque era to the age of the Mietskasernen, in other words the grand classical past from Frederick the Great to the First World War via Schinkel. The traditional grid-pattern and restrictions regarding height and elevation were to be the two pillars of a stringent set of guidelines that would serve as template for future reconfigurations [15].

The old centre of Friedrichstadt (with Friedrichstrasse as main thoroughfare) was dramatically remodelled with those very principles in mind: voids and absences, a creative use of which could have allowed for infinite poetic possibilities and subtle responses to the complexities of the site, were systematically obliterated in an attempt at recreating what was perceived as Berlin’s ’true’ urbanity and lost essence. However the result did not quite live up to the ambition with the relentless uniformity of smooth stone façades and the unremitting blandess of cubic volumes regimenting space in the crudest possible way. Needless to say there isn’t anything remotely baroque or classical about those buildings which aim to evoke the area’s prewar warren of passages and in many cases only conceal yet another upmarket shopping precinct. This physical saturation and optimal use of space in a stridently mercantile manner and heavy-handed architectural bombast might give an indication of what kind of future lies ahead and the sheer limitation of social practices such a city would allow - a monodimensional environment geared towards consumerism in a generic setting that reproduces predetermined, ’traditional’ ways of experiencing space. More controversially the latter’s normalisation and the entrapment of Berlin in some illusory ideal identity borders on historical whitewashing as it is obvious that the past is here being rewritten and dubiously simplified for immediate consumption. Just like the disturbing parts and dramatic ruptures in German history are cleverly airbrushed out of the whole picture, so the capital city must reflect an unproblematic harmony in a straightforward visual narrative that blatanlty ignores the whole legacy of the XXth century, whether it be Weimar Modernism, National Socialism, postwar reconstruction or the GDR [16].

Like an unstoppable juggernaut Critical Reconstruction strikes wherever it can, whether small residual spaces to fill in or more sizeable swathes of empty land such as the Humboldthafen in the vicinity of Berlin’s new Hauptbahnhof [17]. The station being a resounding success in terms of commercial potential, private developers are beginning to flock in for the next big thing. The project’s blueprint (a glorification of the square in all its forms by O. M. Ungers’s disciple Karl-Heinz Winkens, who drew on XIXth century plans for the area) once again shows the same dry neo-classical perspectives reminiscent of a lifeless De Chirico composition. We are even told it will have a little something of Venice.... Of course this kind of prefabricated urbanity is highly contrived as all it boils down to is a banal office precinct masquerading as a new heart for the city. But does Berlin need any more prestige developments and luxury residential complexes? In fact Berlin doesn’t do luxury very well, at least not as it’s understood everywhere else. Its true luxury lies in its unprepossessing spaces, its fluctuating topography where the imagination can breathe, where unexpected encounters with strangeness and interactions with the past might occur in a continuous search for its soul, its ragged, multifarious, luminous self... At night all the lights are turned on around the Potsdamer Platz and on closer inspection it turns out that most corporate headquarters are vacant, in what looks like a slightly surreal cartoon image of what big business ought to be, a unwitting parody of a global capitalist city - just like Critical Reconstruction is a crude, dangerously nostalgic quest for a lost, ideal order that was never fixed - if it ever existed in the first place.

Leipziger Platz / Potsdamer Tor

Kaisersaal, Hotel Esplanade, Potsdamer Platz

A few months ago the Federal Constitutional Court (Bundesverfassungsgericht) convened over a plea from Berlin’s mayor Klaus Wovereit for emergency funding towards his financially beleaguered city. After backing up their (eventual) rebuttal that the Bund should come to the rescue, the judges added that things weren’t so bad after all as Berlin was ‘poor but sexy’. Beyond the humorous remark it is however easy to see a whole set of implicit associations when it comes to defining the city. It is ‘poor’ as in: incomplete, inchoate, informal, makeshift, do-it-yourself, open to personal intervention. And ‘sexy’ as in: accessible, relaxed, young, experimental, unconventional, inclusive, erotically charged... In any case they are the sort of feelings elicited by a film like Stadt als Beute [18], which tracks the lives of three young aspiring actors on the streets of a treacherous, seductive Berlin, while an eponymous play, whose premiere is due to take place at the Volksbühne, acts as a focal point to those disjointed trajectories. Stadt als Beute deals with the different, personal ways we negotiate urban space and the countless risks, illusions and deceptions underlying human relations in the big city, which in turn becomes a prey through its subjection to external and largely uncontrollable economic factors whose impact is most visible in the spectacular architecture of the rebuilt capital. The effect of such a sudden transformation on a relatively fluctuant urban fabric and its materialisation into a corporate, impenetrable monumentality raises broader questions about the nature of the public realm in the face of brutal redevelopment and rampant social segregation. This is of particular relevance in a place like Berlin where an endemically stagnant economy may still blunt the excesses of the unbridled speculation befalling other major European cities and resulting in gradual ’civic dispossession’. The city seems to be fostering its own human ecosystem (itself quite unique in Germany) whereby a fairly wide range of communities of diverse geographical/social origin and status can still coexist in a relatively inclusive space.

Somewhere in the film something truly magical happens, a sudden alchemy between the city’s streets and the main character, a Iggy Pop look-alike in tight-fitting vest called Ohboy (David Scheller). It is in this scene that the City as Prey is finally revealed in a violent collision with architecture. At the end of a chaotic few minutes on the Potsdamer Strasse full of random encounters - the many frictions and seductions that make up everyday urban life - Ohboy finds himself at the corporate epicentre of the new Berlin, a city reinvested by power, full of noise and reclaimed grandeur, oscillating between Fifth Avenue glamour and Ceausescu-esque glitz [19]. In the middle of the Sony Centre, an oversized, tightly secured panopticon designed for mass entertainment, the final manifestation of an abstract, omnipresent albeit unlocalizable order, a CCTV-monitored simulacrum of public space floating in an elusive centre and yet strangely disconnected from the rest of the city whose heart it purports to be [20]. Such fraudulent pretensions finally dawn on Ohboy, who loses it and kicks up a rumpus in the fountain, splashing around in the middle of the precinct before being chased off by a (private security firm) vigilante. This is Potsdamer Platz in its contemporary guise, the one desperately sought by the old poet in Wings of Desire. Now the remnants of the Hotel Esplanade where Nick Cave performed at the end of the film are encased in glass and incorporated into a totalising environment fundamentally alien to the infinitely differentiated texture of Berlin, a capsule where the past is ripped apart and spat out as entertainment in the general obliteration of historical consciousness, the sterility of the now and instant gratification remaining the only possible experiences in the amnesia wrought by the lure of architecture. As brilliantly formulated in Spaces of Uncertainty [21], "Berlin shows how the identity of a city is not in its architecture, but next to it."

 

""In this sense (...) it is also outside the consumerist onslaught, bombardment and encroachment of meaning, signification, and messages. The void claims a kind of erasure from all the oppression, in which architecture plays an important part."

(Rem Koolhaas, Rem Koolhaas: Conversations with Students) [22]

 

Berliner Schloss reconstruction project, U-Hausvogteiplatz

Every day on Schlossplatz a tiny piece of the past is mechanically removed and discarded. The ruin of the Palast der Republik has become the city’s most poignant sight, its rusty skeleton undergoing a slow, discreet agony - instead of being blown up like a vulgar council tower block before cheering crowds [23]. The Palast, Hans Stimmann’s bête noire, is irreversibly dematerializing, its bulk full of air and unfulfilled promises, its grand staircase hanging in the air and tarnished copper-tinted glass reflecting fragments of sky. In the heart of Berlin a particularly selective enterprise of critical memory reconstruction is in full swing. The Palast’s demise, voted by the Bundestag in July 2002, was motivated by a number of reasons: it was an eyesore (Berlin’s very own carbuncle) and a health hazard (an asbestos-ridden nightmare), whilst there was a pressing need to make a strong architectural statement more in tune with the vision modern Germany had of itself, a new symbol for a newly found normality. What should take its place had been hotly debated since reunification but the proposed rebuilding of the Berliner Schloss (renamed Humboldt Forum to give it a veneer of openness) came to embody this quest for the ideal symbol and found great support from a variety of quarters who weren’t remotely perplexed by the strange concept: a replica of the Hohenzollern imperial palace with its ornate stone façade, an orgy of cupolas, pilasters and grand courtyards, whose original had survived the war before being blown up by the GDR regime to make way for military parades and other displays of mass adulation [24]. Although it may seem baffling that a modern, innovative and in so many ways progressive country should consider rebuilding a baroque pile as the symbolic centre of its capital city, it is symptomatic of the current cultural climate and the direct result of protracted disputes engulfing politicians, historians and architects alike over a contested, highly sensitive past (a tortuous process encapsulated in the concept of Vergangenheitsbewältigung, or ’struggle to come to terms with the past’). With the Schloss’s return, its supporters claim that harmony, beauty and a strong sense of identity will revisit Berlin, a bit oblivious of the fact that ’beauty’ and visual continuity have long ceased to apply in a city whose very nature lies in extreme contrasts, strange juxtapositions and violent disjunctions in ever-changing, sometimes conflictual identities.

The impact the Palast had on public imagination when it opened in 1976 must have been phenomenal, something akin to the thrill and wonderment visitors had experienced when first entering London’s Royal Festival Hall, the masterpiece of 1951’s Festival of Britain: a spacious, modern, multipurpose building opened to all, a true People’s Palace offering a wide range of cultural activities and where informal socialising could take place in its public areas, foyers and cafés - at least as much as was permitted by norms dictating public behaviour. Everything, from the swirly carpets to the plastic furniture and space-age artwork exuded a cool modernity, a glamorous otherworldliness made all the more alluring by the thousands of little lights that literally caused the place to glow in the otherwise gloomy East Berlin night. Friends met there at weekends and the little children of the Democratic Republic rang home full of pride and excitement at the idea of being AT the Palast der Republik. That the complex had also housed the GDR Parliament (the Volkskammer) certainly did not endear it to a unified Germany’s ruling elite hellbent on eradicating this conspicuous blemish on Berlin’s desired historical harmony [25]. Its association with a discredited regime contaminated the whole building which - unllike others dating from the Nazi era which were easily reappropriated and dissociated from their ideological origin - deserved an exemplary treatment in the systematic erasure of whatever vestiges of the GDR still littered the capital. In the destruction of the Palast der Republik it is hard not to see first and foremost a political act through which power relations and selective readings of the past are laid bare, a reluctance to acknowledge the bewildering complexity of history in favour of an unproblematic narrative that precludes more in-depth discussions around the (admittedly difficult and intricate) issues of memory and identity, and hence an informed, progressive debate on the architectural future of Berlin [26].

However the Palast left with a bang. In the couple of years preceding its final closure the building was taken over by various cultural organisations which temporarily used its gutted shell to stage a whole range of exhibitions and performances (Einstürzende Neubauten played there amongst others). The Zwischennutzung (’intermediate use’) programme of events was immensely successful and for a while it looked as though the building, devastated, humiliated and on the brink of impending disappearance, had single-handedly become the coolest and most cutting-edge venue in town, reappropriated by its inhabitants and responsive to the breathing city that lay beyond its porous envelope, intimately integrated into the fabric of a living whole [27]. Fundamentally a void at Berlin’s core (in ideological - the GDR was for many merely a blip in the historical continuum which had to be blotted out - as well as physical terms - there was hardly anything left of the structure), poised between a minimal existence and near absence (the word ZWEIFEL - ’doubt’ - spelt in huge letters on the roof emphasizing its uncertain future and tenuous presence), its dismantled spaces proved the most flexible, resilient setting for interactive events and raised vital questions about openness, transparency, the impact of art in society and its relation to the surrounding city. In fact it is certainly in its ephemeral and inclusive quality the closest one ever got to the mythical but never realized Fun Palace designed by Cedric Price for London’s East End in the 1960s [28]. What will happen behind the opaque, massive stone walls of the Schloss pastiche (the latest plan incorporating a new museum for the city’s non-European art collections with ’entertainment’ facilities attached), in its all too imposing materiality, symbolic overdetermination and overweening claim to a fixed, all-encompassing ’identity’, will certainly turn its back on the ciy whilst pretending the opposite and condition formatted, predetermined social practices (a visit to the museum with maybe a look into the shops at the end of it in a cosy, hypercontrolled, hyperprivatised and hypersponsored environment).

In the sanitization of history and its recycling into a smooth, unproblematic narrative - regardless of the emotional significance of the place and its enduring power in personal memories - the Palast, reduced to its most humble, transparent self, could have mutated into new, open-ended architectural forms and initiated experimental interactions with a city whose heart is doomed to be entombed in a bombastic XVIIIIth century wedding cake and antiquated urbanistic concepts. In a horrifying future development Berlin would probably then stop becoming, to finally be [29]. As we speak the Palast’s ghost is slowly vanishing, maybe already transformed beyond recognition, ready for the big leap. There is however a slight twist to all this. As the required funds are currently unavailable for the Humboldt Forum (the project largely relies on private generosity as the State simply cannot afford such a folly) Berlin’s true nature has returned with a vengeance. On the site of the Palast, there will until then be... nothing. Just a vast expanse of green nothingness, a slightly better tended version of the innumerable wastelands otherwise gracing the city’s forgotten corners.

 

[1] Walter Benjamin, Illuminationen (Frankfurt am Main: 1961), 273 [Illuminations, English trans. Harry Zorn (London: 1970)].

[2] Brian Ladd, The Ghosts of Berlin. Confronting German History in the urban Landscape (Chicago, London: The University of Chicago Press, 1997), 7-39.

[3] On the Wall as anti-architecture: Neil Leach, ’Berlin 1961-89. The bridal Chamber’, in Neil Leach (ed.), Architecture and Revolution. Contemporary Perspectives on Central and Eastern Europe (London, New York: Routledge, 1999), 209-218.

[4] After Philipp Oswalt, Berlin. Stadt ohne Form. Strategien einer anderen Architektur (Munich: Prestel Verlag, 2000).

[5] On Berlin’s interstitial spaces and a critique of architectural intervention: Kenny Cupers & Markus Miessen, Spaces of Uncertainty (Wuppertal: Verlag Müller + Busmann KG, 2002).

[6] Der Himmel über Berlin (France/West Germany, 1987), director: Wim Wenders; script: Wim Wenders, Peter Handke; cast: Bruno Ganz, Solveig Dommartin, Otto Sander, Curt Bois, Peter Falk.

[7] Official website of the Topographie des Terrors.

Ladd, 1997, 154-167.

Stefanie Endlich, ‘”Grands Projets”: un nouveau Paysage des Lieux de Mémoire’, in Les Temps Modernes n° 625. Berlin Mémoires (Paris: 2003), 97-99.

[8] Ibid., 103-106.

[9] Possession (France/West Germany, 1981), director: Andrzej Zulawski; cast: Isabelle Adjani, Sam Neill, Margit Carstensen, Heinz Bennent. This part of the essay is a reworking of a piece included in the website I devoted to Possession and its Berlin setting on Kosmospalast.

[10] Fräulein Schmetterling (East Germany, DEFA-Studio für Spielfilme, Künstlerische Arbeitsgruppe “Heinrich Greif”, 1965-66), director: Kurt Barthel; script: Christa und Gerhard Wolf, Kurt Barthel; cast: Melania Jakubiskovà, Christa Heiser, Carola Braunbock, Milan Sladek, Lissy Tempelhof.

[11] On the presence of women in the socialist city and the possible emergence of a flâneuse figure in this new context: Astrid Ihle, ‘Wandering the Streets of Socialism: a Discussion of the Street Photography of Arno Fischer and Ursula Arnold’, in David Crowley & Susan Reid (eds.), Socialist Spaces. Sites of Everyday Life in the Eastern Bloc (Oxford, New York: Berg, 2002), 85-104.

[12] On the official representation of womanhood in the GDR: Astrid Ihle, ‘Framing socialist Reconstruction in the GDR: Women under Socialism - a Discussion of the Fragments of a Documentary Project by the Photographer Evelyn Richter’, in Paul Cooke & Jonathan Grix, (eds.), East Germany: Continuity and Change (Amsterdam, Atlanta: Rodopi, 2000).

[13] On the portrayal of women and sex in the context of modern urban transformations and their exposure to the male gaze: Katherine Shonfield, Walls have Feelings. Architecture, Film and the City (London, New York: Routledge, 2000). Of particular interest are the chapters on Polanski’s Repulsion and Godard’s Two or three Things I know about Her.

[14] Andreas Tzortzis, ‘Berlin’s Post-Wall Master Builder retires’, The New York Times, 27 September 2006.

[15] For an exhaustive presentation of Berlin’s new architectural projects, critically reconstructed or not: Philipp Meuser, Vom Plan zum Bauwerk. Bauten in der Berliner Innenstadt nach 2000 (Berlin: Braun, 2002).

[16] Ladd, 1997, 108-110, 231-235.

[17] Steffen Pletl, ‘Humboldthafen: neuer Statdtteil geplant’, Berliner Morgenpost, 21 October 2006; Ralf Schönball, ‘Zugkräftige Umgebung’, Der Tagesspiegel, 3 January 2007.

[18] Stadt als Beute (Germany, 2005), directors: Irene von Alberti, Miriam Dehne, Esther Gronenborn; cast: Richard Kropf, Inga Busch, Stipe Erceq, Julia Hummer, David Scheller, René Pollesch.

[19] Ladd, 1997, 115-125.

Cupers & Miessen, 70-71.

[20] On the privatisation of the public realm in the ubiquitous shopping mall: ibid., 12-18.

Lieven De Cauter, The Capsular Civilization. On the City in the Age of Fear (Rotterdam: NAi Publishers, 2004).

[21] Cupers & Miessen, 2002, 99.

[22] Rem Koolhaas, Sanford Kwinter (ed.), Rem Koolhaas: Conversations with Students (Architecture at Rice) (Princeton Architectural Press, 1996), 63.

[23] For a detailed history of the Palast der Republik: Anke Kuhrmann, Der Palast der Republik. Geschichte und Bedeutung des Ost-Berliner Parlaments- und Kulturhauses (Petersberg: Michael Imhof Verlag, 2006).

[24] On the debates surrounding the rebuilding of the Berliner Schloss: Anna-Inés Hennet, Die Berliner Schlossplatzdebatte im Spiegel der Presse (Berlin: Verlagshaus Braun, 2005).

Mathis Winkler, ‘The Struggle to shape the Heart of Berlin’, Deutsche Welle, 21 August 2006.

For details on the Humboldt Forum project and the significance of the Schlossplatz site from an institutional perspective, see Berlin’s Senate Department of Urban Development website.

[25] On the treatment of the GDR after unification: Paul Cooke, Representing East Germany since Unification. From Colonization to Nostalgia (Oxford, New York: Berg, 2005), 27-59.

Régine Robin, Berlin Chantiers. Essai sur les Passés fragiles (Paris: Stock, 2001), 168-245.

[26] On the Berliner Schloss in the context of Critical Reconstruction and the related conception of history: Ladd, 1997, 47-70.

On the vicissitudes of national identity and the construction of history in postwar Germany: Mary Fulbrook, German National Identity after the Holocaust (Cambridge, Maldon: Polity Press, 1999).

[27] On the various artistic interventions in the Palast during its Zwischennutzung phase: Amelie Deuflhard, Sophie Krempl-Klieeisen, Philipp Oswalt, Matthias Lilienthal & Harald Müller (eds.), Volkspalast. Zwischen Aktivismus und Kunst (Berlin: Theater der Zeit / Recherchen 30, 2006).

A more general essay on alternative, temporary uses of existing places: Florian Haydn & Robert Temel (eds.), Temporary Urban Spaces: Concepts for the Use of City Spaces (Basel, Boston, Berlin: Birkhäuser, 2006).

[28] On possible future mutations of the Palast and a parallel with Cedric Price’s Fun Palace: Philipp Misselwitz, Hans Ulrich Obrist & Philipp Oswalt (eds.), Fun Palace 200X. Der Berliner Schlossplatz. Abriss, Neubau oder grüne Wiese? (Berlin: Martin Schmitz Verlag, 2005).

[29] After Karl Sheffler’s famous phrase: “the tragedy of a fate that... condemns Berlin forever to become and never to be.” Karl Scheffler, Berlin - ein Stadtschicksal (reprint, Berlin: Fannei und Walz, 1989), 219.

09 October 2007

Kultur Kampf

English version

Frauenkirche, Dresden Altstadt

Au milieu d’un terrain vague de Dresde une tente de cirque avait été dressée et accueillait une after-party de gens chics de la région, une structure faite de tout et n’importe quoi visant à inspirer à l’assemblée hupée une impression d’exclusivité et de luxe. Tout ce petit monde en provenance d’un concert à l’opéra semblait volontiers s’accommoder de l’illusion à peine maintenue, ce qui ne laisse de rendre perplexe sur le rapport communément accepté entre classe sociale et l’infiniment élusif concept de goût. À l’extérieur la nuit était glaciale, une veille de week-end dont on ne voyait pourtant que peu de signes tant la ville semblait déserte et recroquevillée sur elle-même. Autour du terrain vague un groupe de tours dont des quartiers entiers de Dresden sont constitués autour d’un centre historique bichonné à outrance brillaient de la même lumière blanche au néon de haut en bas de cages d’escaliers ouvertes à tous les vents. L’indicateur électronique annonçait le premier tramway à douze minutes, par chance la ligne conduisant aux quartiers informes à l’arrière de la gare centrale où se trouvait l’hôtel. Au loin j’apercevais un groupe d’hommes jeunes, agités et fortement éméchés, s’avancer vers l’arrêt, discernant malgré l’obscurité ce type de masculinité si caractéristique de l’Est dans son uniformité vestimentaire, crânes rasés, vestes à capuche et skets blanches. Ils me frôlèrent en vitesse pour se poster à l’extrémité du quai, hurlant sans discontinuer des choses incompréhensibles, bondissant de tous côtés et se provoquant les uns les autres dans une surenchère permanente. Dans le froid leurs voix rauques et enflammées par l’alcool n’en étaient que plus pénétrantes. Aucun mot précis ne se laissait discerner dans ce flot d’invectives, comme si le langage lui-même était devenu une aberration superflue dans cette explosion anarchique de pulsions, cette vitalité belliqueuse réfractaire à tout discours structuré. Durant les douze minutes d’attente (selon une conception élastique du temps propre aux compagnies de transports publics) les cris n’ont pas faibli un seul instant et je me tenais là, étrangement convaincu de l'idée qu'ils ne me porteraient pas atteinte, avant de finalement traverser la rue. Plus que l’inarticulation et la violence incontrôlable des éructations c’était leur capacité purement physique à crier sur un laps de temps si long qui était purement terrifiante. Était-ce leur jeune âge, des taux de testostérone supérieurs à la moyenne se combinant dans une chimie désastreuse ou tout simplement la norme comportementale du monde extérieur dont je n’aurais plus idée dans mon retranchement? Ces hommes étaient-ils capables d’une vie sociale normale hors de la nuit? Comment le langage pouvait-il réémerger après une telle brutalité? De l’autre côté du carrefour je les voyais monter dans le tram que j’avais volontairement dû laisser passer. Leurs cris retentissaient de l’intérieur de la rame, capsule cauchemardesque lancée dans le noir vers leur monde de chambres à peine meublées, de chaussettes sales et d’écrans plasma géants. Je venais de voir l’authentique recréation d’un temps où la loi de la meute était la seule concevable, où dans sa dénaturation terminale l’Allemand ne pouvait plus qu’être hurlé. Pour la première fois j’ai précisément senti ce que le nazisme a pu être - et doit continuer à être - dans les rues de bourgades somnolantes où les traques s'organisent tard le soir. Mais c'est par centaines de milliers qu'ils s'étaient alors mis à bondir comme de jeunes chiots détraqués.

 

Ce week-end Dresde est luisante de pluie, un début d'automne triste surprenant les touristes qui ne savent plus quoi faire de leur temps une fois visitées les merveilles architecturales de la Vieille Ville. Ils s’entassent dans les cafés décorés à l'ancienne en attendant une embellie qui tarde à venir. Le centre historique consiste en une collection de quelques objets sauvés du désastre et flottant au mllieu d’une immensité socialiste faite d’autoroutes démesurées et de blocs d’habitation lisses et identiques à tous les autres projets de l’ancienne RDA. Au-delà de cette reconstitution parcellaire ils ne s’aventurent que rarement car l’illusion de la continuité monumentale serait brisée. La reconstruction des quelques volumes environnant la Frauenkirche - elle-même réédifiée fragment par fragment sur le tas de ruines qui du temps du socialisme faisait figure de mémorial pacifiste - a très rapidement progressé, des immeubles hauts à l’enrobage pastel néo-baroque fermant un à un le vide informe du Neumarkt. Là comme ailleurs la bataille fait rage entre les tenants d’un conservatisme à tous crins et ceux qui voient en ce site une chance inespérée d’innovation et de juxtapositions audacieuses. Le climat culturel actuel ne se prête toutefois guère à ces prises de risque et l’option consistant à flatter le touriste par le dénominateur commun de la nostalgie immédiate et de l’enchantement de conte de fée a raison de toute objection et finit par l’emporter partout sans aucune alternative possible.

Dans toute la ville l’affichage publicitaire glorifie inlassablement cette grandeur peu à peu retrouvée. Dans les hôtels et les centres commerciaux l'âge d'or de Dresde est une valeur sûre, une période suffisamment éloignée pour ne pas être contaminée par les turbulences d’une histoire plus récente. Et on en fait vraiment des tonnes autour de ce patrimoine miraculeusement rescapé, une sorte d’inflation émotionnelle s’exerçant sur ces quelques pièces maîtresses d’un passé à partir desquelles toute beauté à venir doit s’articuler. C’est comme si le modernisme était à ce point discrédité qu’il est d’emblée exclu de toute reformulation future. Le résultat inspire une sorte d’étrangeté (ce qui en Anglais se traduit à merveille par le concept d’uncanny) flottant entre l’apparence d’une harmonie qui tire son évidence d’une familiarité ancestrale et la certitute lancinante de l’imposture d’un tel procédé qui ne peut que perpétuer le conservatisme ambiant et invalider toute chance de radicalité formelle. Sous la pluie les chantiers étaient submergés de boue, le centre-ville étant constellé de vides immenses en attente d’une mise en forme et du retour du sens. Je venais de revoir incidemment T. pour la première fois depuis Wannsee, et c’était là qu'il avait grandi dans un État maintenant disparu et dont il ne savait lui-même presque rien. La pluie incessante et le souvenir de ce soir d'été sous les guirlandes d'ampoules du Tiergarten ont imprégné ces deux jours. Une promesse de jeunesse à son contact, tout comme Dresde et sa cure de jouvence.

Autour des immeubles de la Prager Strasse et dans la gare centrale quelques groupes d’hommes jeunes, même dégaîne Proll que ceux de l'autre nuit, passaient leur dimanche comme il le pouvaient. Avec M. on s’amusait de leur style vestimentaire standard, non sans un désir certain pour eux et leur désinvolture, les appelant les Marcels, un nom très populaire à l’Est. Dans ses nombreux chantiers déserts sous le ciel gris Dresde était toute entière vouée à la recherche de son harmonie passée dans l'interchangeabilité de ses monuments historiques et de ses nouveaux centres commerciaux rivalisant de gigantisme. Une nouvelle osmose se constituera entre les deux mondes, la consommation à outrance alliée à une ringardisation programmée, une totalité rêvée de laquelle un semblant d'identité devra émerger. Au musée de la ville il y avait une exposition d’art russe. Rien de très nouveau mais dans son graphisme strident une confirmation de la violence que je venais d’entrevoir à Moscou. Lorsque en milieu d'après-midi le train quitta la ville croulant sous l’immobilité muette de ce jour mort et entra en gare de Neustadt je pensai à un tableau de Hans Körnig que je venais d'y voir, une scène intensément mélancolique du pont de chemins de fer avec un tramway s’éloignant lentement dans une lumière verte. Tout y trouvait résonance: le désir enfantin de Dresde de revivre sa jeunesse perdue, tout comme moi face à ces jeunes mecs en parfaite équation avec leur lieu.

Dresden Altstadt

Proll Boys, Dresden Hauptbahnhof

Filmtheater, Dresden Hauptbahnhof

 

It was a dreary weekend in Dresden. The rain hardly stopped and the groups of tourists visiting the architectural gems of the old town were at a loss for something else to do. After circulating around the few remnants of an organic continuity that had been destroyed in one night and that an ambitious rebuilding programme was painstakingly aiming at recreating - the centre piece of which being the recently re-erected Frauenkirche that had lain in ruins since the bombings - they flocked into shopping arcades and themed cafés to perpetuate the magic of the baroque past. Beyond the enchanted island it’s a very different story what with oversized highways and standard GDR Plattenbauten that bear little resemblance to the chocolate-box cosiness of the centre. The reconstitution of the Altstadt 'as it was’ is a deeply divisive issue as proponents of a traditional stage set of stuccoed fronts and pastel colours battle it out with more progressive minds that see in the site a chance to imaginatively confront old and new. The current cultural climate is such however (the planned rebuilding of the Berliner Schloss is yet another evidence of this highly reactionary approach to city planning) that the most conservative instincts are invariably pandered to with a mixture of fairy tale wonderment, fake luxury and instant nostalgia for a past that was necessarily more civilised, genteel and engaging in comparison to the upheavals and unpalatable uncertainties of the present.

Everywhere in the city advertising hoardings invite tourists and natives alike to sample 'the beautiful side of Dresden’ with an overemphasis on its opulent quaintness and emotional investment in those few precious architectural objects, blotting out any hint of modernism, let alone the terminally discredited kind inherited from the GDR. The Kulturpalast looms on one side of the unfinished Neumarkt but its uncompromising, cubic bulk will soon be concealed by rows of more humane, sugar-coated (and of course 'exclusive’) Bürgerhäuser. The fate of its big brother, Berlin’s Palast der Republik, might ultimately await it as the all-encompassing obsession for authenticity and homogeneity looks set to dominate the future architectural agenda. In hotels and shopping malls the golden age of Dresden is reaching overkill as an ideal time of refinement, glowing in an unproblematic past as detached as possible from the present. The result is an uncanny mixture of familiarity and discomfort stemming from the intrinsic fraud of such a blatant lie whilst huge vacant plots dotted around the city centre are waiting for a future meaning that precludes any new, challenging concepts. Looking at those muddy voids I was thinking of T., whom I’d just seen again for the first time since the afternoon at Wannsee. Dresden, in its search for a mythical beauty, bore the face of that man whose youth deeply moves me.

He’d grown up in what was still another country, now a distant memory for the youngest generations. T. is only slightly older than the young men hanging around the precincts of the Prager Strasse or the Hauptbahnhof’s concourses, not really knowing how to spend their endless Sunday. With M. we always comment on their unmistakable dress sense and call them the Marcels - after an extremely popular name in the East. It even borders on fetishization as they somehow embody for us, western, pampered sissies, the kind of undiluted masculiniy that seems to have survived only in former Ostblock countries, which have thus become our very own Orient. Around the station new shopping complexes competing in size aim at recreating an illusion of coherence in a hitherto extremely fractured urban fabric, and maybe Dresden’s quest for a lost unity will be resolved in this merger of mass consumerism with the sort of commodified pretiness that’s engulfing everything. Only then will it probably be able to get on with its new life... The city was oozing an eerie sadness as the train left. As it pulled into Neustadt station I thought of a Hans Körnig painting from the fifties that I’d just seen at the City Museum, an intensely melancholy view of the railway viaduct with a yellow tram vanishing in the distance. Just like youth itself. A youth Dresden is busy recapturing in the giddy exhilaration of reconstruction, just as I long for mine as I get past gangs of youths who've only ever known this place.