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26 May 2005

Les Absences d'Erika

English version

 

WIEN

Lange Gasse, Josefstadt, Wien

  Gay sex shop, Schöneberg

À Vienne, sur l’esplanade du Museum Quartier, les corps sont étendus au soleil sur des divans-sculptures d’un vert tendre. Le mien aussi, qui s’est joint aux autres et dénudé à la vue de tous. Je me sens bien dans l’évidence de l’acceptabilité de mon corps. La boxe aura été un événement déterminant dans le retournement majeur de son histoire. Il est exposé au cœur ardent de Vienne et tout se termine là. Il n’y a plus rien à en dire. Il a tout juste commencé à exister et continue de le faire. Ce sont des étés réappropriés qui s’enchaînent, ceux que j’avais peu à peu commencé d’échafauder à Londres avec un succès incertain. C’est à Berlin que son histoire devait s’accélérer et éclater dans l’insouciance, les parcs, le soleil, les hommes des sex-clubs. Mes étés sont les miens. Le cycle est complet depuis les dernières vacances désastreuses passées avec la famille de la honte, dans la station balnéaire de la côte Atlantique où l’on a pris congé de moi. Les sarcasmes pleuvaient sur ce corps qui changeait rapidement et de manière incompréhensible, me tourmentait, n’avait plus de sens. Mes angoisses étaient immenses. La ridicule était le fait de tous – le père, la mère, le frère de concert – et a inauguré vingt ans d’une invisibilité forcée.

À Vienne la sensualité et l’insouciance des jeunes hommes et femmes sont éclatantes, mais qu’en était-il en 1950, quand tout est retombé, dans le silence du cataclysme allemand? L’atmosphère devait y être intolérable. Le non-dit a tout écrasé et aucune question n’a jamais été posée. Contrairement à l’Allemagne qui a tenté dans l’agonie d’apporter des réponses et une posture intellectuelle viable vis-à-vis de son histoire, l’Autriche est restée étrangement déterminée à ne rien soulever – voire même à se poser en victimes de l’Anschluss. Vienne devait être irréellement suffocante et pleine des complots de ceux qui espéraient pouvoir réinstaurer le Reich. L’atmosphère du Portier de Nuit de Liliana Cavani (même si sa sexploitation stupéfiante du nazisme et des camps est discutable) doit être très proche de la réalité, dans la claustrophobie des grands hôtels ou du Karl-Marx-Hof, où les deux amants de barricadent. De même, le monde fantasmatique d’Erika Kohut dans La Pianiste d’Elfriede Jelinek, s’inscrit dans l’étouffement général d’une ville grandiose et devenue trop grande pour un pays atrophié et au climat délétère, que l’on n’aperçoit dans la vision filmée du roman que très partiellement mais de manière terriblement suggestive.

Sauna, Josefstadt, Wien

Au sous-sol de la pension il y a un sauna pour hommes. Il n’est annoncé que par un couloir étroit et la forte odeur de chlore qui envahit le vestibule. Bien qu’il soit ouvert en permanence je n’y ai jamais vu entrer personne. À l’entrée il y a tout l’équipement dévolu au maintien de l’hygiène et au bon déroulement des opérations, des chariots et autres engins à roulettes contenant le nécessaire pour prévenir un possible désagrément. La technicisation du désir, les mécanismes et opérations invisibles permettant la perpétuation du plaisir et du fantasme au cœur du complexe sont rejetés à la périphérie. Comme dans ce sauna de Shoreditch où j’allais souvent le samedi. C’était un bâtiment bas miteux et tout en préfabriqué dont l’entrée avait été flanquée d’un portique antiquisant et de vasques. Voila ce à quoi se résume le désir des hommes: un prefab crade coincé entre deux ponts de chemins de fer et un parking.

Cela me ramène par extension à la New Babylon de Constant où la mécanique de la grande mise en scène devait rester aussi savamment cachée (on ne sait d’ailleurs vraiment où), de façon à ce que les zones de désir mouvant et d’ambiances artificielles soient préservées sans interférences de la technologie sous-jacente. Comme au sauna le monde merveilleux du désir et de la baise ludique auraient été maintenu dans un décor de fantaisie aux limites très faciles à transpercer. Se serait alors révélé l’horrible business de l’ingénierie hygiénique, de la manipulation et de la grosse mécanique. Et les pistes d’atterrissage du toit auraient sans doute été desservies par de grosses bittes en verre dignes de la gare de Prague, et les débits de boisson dont New Babylon devait être parsemée pour stimuler l’humeur de ses habitants avant quelque intervention collective, la scène d’infinies dévastations gastriques. Je pense à ma mère et à ce qu’il en serait advenu dans les labyrinthes de New Babylon. Ma mère, nomade ludique, ecstatique dans sa traversées des secteurs ouverts aux quatre vents, elle qui a toujours craint par dessus tout ce que ‘diraient les voisins’. Aurait-elle même vu la Révolution? Y aurait-elle seulement pris part? La seule expérience qui aurait pu se rapprocher des secteurs de New Babylon est celle des nombreux centres commerciaux de la Région Parisienne, autant de mégastructures dotées d’une ambiance distincte et nettement hiérarchisés en fonction de cela. Ainsi l’Agora d’Evry a-t-elle détrôné La Belle Épine, devenue trop vieux jeu dans la jungle stylistique des années soixante-dix, face à Créteil-Soleil, qui n’avait jamais fait le poids - trop loin et caverneux. Mais New Babylon étant libérée de l’emprise de la commodité, l’idée est irrecevable. Et ma mère, survivante d’un ordre ancien, aurait donc dû suivre la cavalerie, sans bibelots ni babioles, et jouer, jouer, jouer...

À Vienne, un soir d’orage. Àprès la traversée d’Augarten, un parc hérissé de tours de défense en béton brut datant de la dernière guerre, au détour d’une rue, la lumière est devenue très intense au-dessus des toits. La lumière, alliée à la couleur de la pierre, et capturée dans l’ambiance qui régnait là à cet instant précis ont créé un sentiment fugace d’une force extraordinaire. Quelque chose me forçait à rester dans cette rue et à comprendre la nature d’un tel sentiment. Le tramway est ensuite arrivé du coin de la rue dans un éclat de soleil aveuglant... De toutes les voix électroniques des transports publics européens, celle de Vienne m’affecte au plus haut point. C’est celle d’un hommes aux accents lancinants, très expressifs. Un homme que j’imagine tourmenté dans les mélopées sans fin des destinations et interconnections à annoncer. Les voyelles trainent, le ton est presque radiophonique, d’un autre âge. Il donne des instructions d’état d’urgence au cœur d’une insurrection indeterminée, telle celle décrite dans Le Bleu du Ciel de Bataille. J’ai pensé que j’aimerais parler l’Allemand de cette façon, d’une façon à la fois mécanique et lyrique. Depuis j’essaie en public d'imiter le mieux possible l'homme électronique de Vienne. C’est très facile et semble donner à ma voix un timbre, elle que j’ai toujours pensée instable et sans qualité particulière.

 

PRAGUE

Casino, Prague

Train à destination de Prague. La gare de Dresden est immense et recouvre peu à peu toute sa dignité grâce aux spectaculaires verrières de Sir Norman. Je songe au caractère résolument romantique des voyages ferroviaires en Europe et me demande encore comment le Thin White Duke a pu faire tout ça et garder toute son allure, avoir une si belle peau après une nuit en couchette. L’Europe Centrale d’alors, même si sous contrôle communiste, avait-elle encore une aura assez forte pour permettre de telles attitudes de dandy? Sous le coup d’une uniformisation croissante et du déferlement des commodités les plus triviales - y compris architecturales - peut-on encore s’y croire ? Sous la grandeur inerte et superbement mise en scène de Prague, affleure sa réalité contemporaine. La profusion de casinos, de bars non-stop et de sex-clubs en ont fait une ville totalement investie par et réinventée pour les hordes de yobs anglais qui y débarquent pour des itinéraires éthyliques pré-programmés. Prague incarne la prostituée d’Europe de l’Est, docile et prête à l’emploi, suivant un processus de sexualisation de la ville dont la portée est totale. Un court instant je n’ai plus vraiment su où j’étais, tant ma vision était exténuée dans la perfection lisse des rues. Toutes les villes d'Europe se confondaient dans la multiplication ad infinitum des mêmes chaînes internationales et zones pétionnières incontournables, où tout s’abîme dans la même expérience d’hyperconsommation et le sentiment irréel et désagréable de flotter dans un lieu réductible a n’importe quel autre. L’architecture semblait générique et résumer à elle seule l’idée d’Europe Centrale. J’eus le sentiment que ma quête de l’Europe mythique devait s’arrêter là, dans la dilution globale, l’interchangeabilité des sentiments et des visions, une dé-localisation terminale et irréversible. L’échéance cauchemardesque du monde selon Koolhaas.

Gare Centrale, Prague

Gare Centrale, Prague

Ce matin je pensais aux photos de groupes prises à l’école primaire, la fierté des familles. Nous devions comme tout le monde en avoir deux ou trois (les photographes scolaires ne passaient pas tous les ans), que j’ai détruites un samedi après-midi, après l’un de ces retours de Paris dans la banlieue déserte et suicidaire. Porter atteinte à la mémoire familiale était devenu impératif. Les preuves photographiques de mon enfance étant déjà très rares (mis à part les invités de Noël personne n’avait jamais songé à nous photographier) la destruction par le feu a porté un coup fatal à la collection. Puis il m’est apparu que sur l’une des ces photos je portais la raie au milieu - un acte de transformation très personnel destiné à me mettre mieux en valeur. Las, la mode était aux franges pour les garçons, ce qui n’a pas échappé à ma mère, qui me le fit amèrement remarquer. La violence de ses invectives, photo scolaire à l’appui, me réduisait à un silence honteux: sans frange, je n’étais pas un garçon digne. Pire – j’étais une fille. Elle s’empara alors du peigne et avec rage et détermination - l’un des ces gestes de violence portés au fil des ans contre mon visage - me dota d’une frange comme jamais, la frange des franges. C’est sans doute pour cela que j’ai détruit l’image et toutes les autres qui me renvoyaient à cette photo de classe où je m’étais trouvé beau. Et pour cette raison seule je n’ai rien à regretter.

La gare centrale de Prague s’est déplacée en sous-sol au début des années soixante-dix. Une orgie de plastique rouge et de géométries intercosmiques couvre une immense salle des pas perdus. Au milieu se dresse un casino et une pléthore de machines à sous dans les lueurs des néons roses. Aux kiosques les journeaux populaires affichent des scènes de partouzes en première page. Des hommes rôdent le long des terrasses qui surplombent le hall central. Ils viennent de régions lointaines d’Europe orientale, peut-être même des ex-républiques soviétiques. À la suite d’un remodelage radical opéré durant l’ère communiste la gare historique a été dépouilée de toute fonction et gît à l’abandon de l’autre côté de la voie express qui en anéantit la facade grandiose et lépreuse. Le parking qui lui fait face est desservi  par d’énormes bites de verre maculé abritant les cages d’escalier. L’odeur de pisse qui s’en dégage est infecte. Des  nuits de pisse giclant sur le verreterni et les structures rouillées. Une opération future de ré-historicisation du lieu aura sans doute raison de l’ensemble.

 

DRESDEN

Des villas immenses surplombent Dresden. Elles sont de style italiénisant, néo-classique ou gothique, et leurs terrasses étagées descendent par degrés vers l’Elbe. Grottes, bassins et balustrades, c’est Marienbad revisité. On se demande quel usage de tels mastodontes ont pu avoir en RDA. Maison de retraite? Club pour les vétérans de la lutte anti-fasciste? Quoi qu’il en soit d’immenses lustres de plastique blanc pendent des plafonds et les orangeries sont encore murées. Sur les terrasses il était facile de de se voir dans Son Nom de Venise, tant la ressemblance avec le château Rothschild était criante... La RDA est partout. Je vis sur son ancien territoire, moi, venu de si loin, et son souvenir infiltre tout. Ses traces physiques sont omniprésentes - textures, matériaux, couleurs. Le système visuel mis en place est constant et universellement appliqué. Il n’y a dès lors jamais aucune surprise de la part d’un monde qui fonctionnait en vase clos et dont toute création architecturale peut si facilement être mise en rapport avec l’état de la production. Il y eut certes une tendance à une certaine baroquisation dans les années quatre-vingt, mais la chute du régime a coupé court à de telles audacités.

Dresden est une collection d’objets architecturaux très précieux perdus dans un vide interstellaire de voies rapides et d’échangeurs autoroutiers. Les cartes postales en montrent toujours les mêmes combinaisons présentées sous les mêmes angles, créant ainsi l’impression d’une totalité baroque. Car tout autour sévit l’héritage architectural de la RDA. Même les abords médiévalisants de la cathédrale sont une interprétation très libre et bétonnée du passé, un peu à la manière du stupéfiant Nikolaiviertel de Berlin. Tout autour on détruit les derniers vestiges de l’ancien régime pour recréer un semblant de cohésion visuelle dans un néo-classicisme à faire se pâmer plus d’un Leon Krier. Mais le boulevard circulaire qui enserre le centre ne peut faire oublier la perte de la ville - perte et absence étant les deux déterminants d’un lieu dont la beauté sacrifiée constitue la ligne essentielle de discours. Dans la Neustadt, relativement épargnée par les bombardements et pleine d’une vie foisonnante, un bloc d’habitation de l’époque paillettes de la RDA (on était presque arrivé à une archi quasi-disco), situé à l’extrémité d’une ancienne perspective baroque, se nommait Nudel Turm (la Tour-Nouille). Un peu d’humour surréaliste après les très fonctionnels et bombastiques Konsum et autres Zentrum dont ce pays avait le secret. Sous un ciel de plomb j'avais un sentiment de confort et d’appartenance, une sorte de contentement hanséatique déjà éprouvé dans d’autres grandes villes allemandes.

Reconstruction of Dresden-Altstadt

Derelict shop front, Görlitz

Görlitz, une ville épargnée par les bombardements, coupée en deux après la guerre. Je devais y aller avec C. il y a un peu plus d’un an. Il m’avait parlé de cette ville très belle chevauchant la frontière germano-polonaise. C’était l’été, nous venions de nous rencontrer. J’étais revenu à Berlin quelques mois après avec l’idée d’emmener C. à Görlitz, qu’il rêvait de revoir, pour un voyage d’un jour. Il s’était dit très occupé. Arriver à la gare centrale de Görlitz, c’est comme arriver à T.Beach: la fin d’un monde. Comme T.Beach, la ville est monumentale, déserte et très blanche, ses ordonnances d’un classicisme gracile. Les avenues étaient bordées de boutiques désaffectées. Görlitz est aussi pleine d’hommes en errance, les stormtroopers d’un ordre réactionnaire résurgent que de Berlin on espère outrageusement déformé ou fantasmatique. La ville poussiéreuse et endormie me faisait songer au cadre de Werckmeister Harmóniák, une ville ancienne où la violence éclate de façon arbitraire. Görlitz continue au-delà de la frontière mais sous un autre nom, un autre déroulement du temps. M’est revenu le sentiment que j’avais eu à Wroclaw/Breslau. Des formes architecturales vides investies par d’autres vies, d’autres langues, des histoires venues de régions éloignées. Du côté allemand les librairies du centre historique étaient pleines d’une littérature fortement nostalgique des territoires perdus de l’Est.

 

Erika's Pleasure Box

 

WIEN

In Vienna, on the esplanade of the museum complex, bodies are lying in the sun on light green sofa-shaped structures. So is mine, exposed to all, openly and unproblematically. I feel good in the acceptability of my body, its public presence in the radiant city. Boxing will have been a turning point in its history, its salvation. It's now lying in the sun-drenched burning heart of Vienna and that's all there is to it. The story ends here. My summers are mine as I'm reclaiming them after years of physical alienation in the slow disintegration of youth. The starting point of the journey had been the last holiday spent on the Atlantic coast with my family, by then in the throes of inexorable self-destruction. Sarcasm was heaped upon my body which was rapidly changing in a confusing, incomprehensible way and was a constant source of anguish. The scorn was relentless and widely shared - the father, the mother, the son, all were at it - and inaugurated years of forced invisibility. In Berlin history was to speed up and find its resolution in the parks, the sun, the theatre of sex-clubs.

In Vienna the carelessness and sensuality of young people is striking but what was it like back in 1950, as silence was falling back on the German disaster? The atmosphere must have been unbearable. Everything remained unspoken and no questions ever asked. In stark contrast to Germany, which for decades agonised over its history and attempted to find a suitable intellectual position in front of the unfathomable horror of its past, Austria has strangely opposed a stubborn silence and has since then portrayed itself as the hapless victim of the Anschluss. Vienna must have been terminally stifling, full of Third Man style conspirators and Third Reich nostalgics. The atmosphere in Liliana Cavani's The Night Porter (even though its outrageous sexploitation of Nazism and the camps is somewhat dubious and cringe-inducing) must be fairly close to reality, in the claustrophobia of grand hotels or of the Karl-Marx-Hof where the two lovers end up barricading themselves. Likewise Erika Kohut's phantasmagorical world in Elfriede Jelinek's The Pianist is set against the backdrop of a grand - albeit commercially debased - stifling old city, which has become too large for a tiny country that was once an empire. Its deleterious climate is remarkably suggested in Michael Haneke's filmed version and its relative visual discretion makes its menacing presence all the more unnerving.

Lange Gasse, Josefstadt, Wien

In the basement of the hotel there is a men's sauna. It is indicated only by a narrow corridor and a strong smell of chlorine. Although it's open round the clock I've never seen anyone go in. At the entrance there is all the necessary equipment to the hygienic maintenance and the good running of the place, trolleys and other wheeled contraptions to sort out unexpected bodily mess. The instrumentalisation of desire, the invisible mechanisms and operations enabling the perpetuation of pleasure and fantasy within the complex are carefully kept at the periphery. Like the sauna in Shoreditch I used to go to on Saturdays, a low-rise, shabby affair whose entrance was framed by a fake Greek portico and plastic vases. This is what male pleasure amounts to: a shoddy prefab stuck between two railway bridges and a car park, but masquerading as the Therms of Caracalla.

This takes me back to Constant's New Babylon where the mechanism of the big show were to remain totally concealed (although it was never clear where), so that the streams of shifting desires and spontaneously created ambiances would remain unhindered by the interference of technology. As in a sauna the wonderful world of desire and playful fucks would have been confined to cosy, thematised spaces full of cheap fittings and stained carpets, but the flimsy partitioning wouldn't have hidden much of the horrible business of hygienic engineering. Likewise the stairwells linking the different levels  would probably have resembled the huge piss-corroded glass pricks of Prague's central station, and the watering holes New Babylon would've been equipped with to facilitate the creative cohesion of the free community the scene of ugly bodily upsets and dysfunctions. I'm thinking of my mother and what would've happened to her in the labyrinthine wilderness of New Babylon. My mother, who always feared more than anything what the neighbours would think, as a playful nomad, ecstasy-stricken in her discovery of new sectors. Would she only have seen the Revolution? Would she have taken part? The closest her experience got to the complexity of New Babylon was the string of shopping centres around Paris, each one being a kind of megastructure with its own distinct character and judged according to its ambiance or fashionability. But as New Babylon would've been freed of the tyranny of commodities, my mother, survivor of an obsolete order and deprived of her knick-knacks, would've had no choice but go with the flow and play, play, play forever.

Vienna after a thunderstorm. After a walk through Augarten, a park in the Brigittenau district with two gigantic concrete defence towers in the middle, the light shone brighter over the roofs. The light, reflected by the dark stone of the buildings created a strange atmosphere in the whole street and this sudden event triggered in me a very powerful feeling, affecting my whole perception, an unexpected reading of Vienna, which I didn't recognise. It looked different, darker and from another country. Something compelled me to stay there and understand the origin of this brief transformation. Then the tram arrived from the corner in a blast of white light... Of all the electronic voices in public transport the voice of Vienna affects me particularly. It is a man with a slow, expressive accent. A man whom I imagine to be tormented in the endless litany of destinations and interchanges. The vowels are drawled, the tone of voice is almost that of an old radio programme issuing emergency instructions during a vague, unspecified insurrection, like the one described in Bataille's Blue of Noon. I thought I'd like to speak German in such a mechanical, lyrical way. Since then I've been trying to imitate the electronic voice of Vienna. It seems to give to my voice, which I always thought to lack stability and colour, a distinct tone and a cold expressiveness.

 

BRATISLAVA

Danube riverbank, Bratislava

 

DRESDEN

Gigantic villas overlook Dresden. They are built upon the hills in various styles, Italianate, Classical or Gothic, and their monumental terraces, adorned with grottos, fountains and colonnades - the grandiose pretensions of new capitalism - come all the way down the Elbe. I wonder what usage such piles could have had under the GDR. An old people's home? A social club for veterans of the anti-fascist struggle? In one of them plastic furniture and formica are still very much in evidence and entire wings are boarded up. The GDR is everywhere. Coming from so faraway, from such a different history, I am aware of my presence on its former territory. Its physical traces are omnipresent, in the colours, the textures and fabric of its buildings. The same visual order is systematically applied, which means that there are few genuine surprises here, as architectural creation was so dependent on the state of the national production (one factory churning out concrete panels, another one for ornamental tiling, etc.). In the eighties there was however a tentative drive towards an exuberant home-grown 'modern-baroque' (as evidenced in the blazing folly of the Friedrichstadt-Palast), but such developments were to be short-lived.

Dresden is a collection of precious architectural objects floating in a cosmic vacuum of highways and interchanges. Postcards always show the same combinations of buildings taken from the same angles to give the impression of an organically coherent baroque continuity. For all around the visual legacy of the GDR is unavoidable. Even the improvised, pseudo-medevial surroundings of the newly-reconstructed cathedral are a very personal, streaked-concrete interpretation of the past, similar to the astoundingly free-form Nikolaiviertel in Berlin. In the vicinity the last remnants of the previous regime are being swept away to recreate a modicum of visual coherence in a neo-classicism Leon Krier wouldn't have disowned. But the ring encircling the centre is a constant reminder of the vanished city - disappearance and absence being the two elements of an identity largely based on the (imaginary or actual) reconstitution of a lost unity. In the Neustadt, an area relatively spared by wartime destruction and teeming with metropolitan streetlife, a block of flats from the ultimate flash period of GDR architecture (the closest one ever got to a "disco" archi in the country) and looming into view at the end of an old baroque axis, was called Nudel Turm (Noodle-Tower). A bit of surreal humour amid the self-referential, bombastic Konsum and Zentrum the country coined over its short lifetime. Under a heavy sky I had a distinct feeling of homeliness and belonging, a kind of hanseatic contentment that I'd already experienced in other German cities.

Lingnerschloss, Dresden

Postplatz, Görlitz

Görlitz, a town spared by the bombings but split into two halves after the war. I was meant to go there with C. just over a year ago. One evening by the Spree he'd told me about a very beautiful town on the border with Poland. It was the summer and we'd just met. I came back to Berlin a few months later with the idea of taking C., who wanted to see the place again, to Görlitz for a short trip. He claimed to be very busy... Arriving at Görlitz central station is like arriving in T.Beach: it's the end of a world, beyond which something else must take over, but we don't know what. Like T.Beach the town is, in its straight perspectives and Grecian elegance, monumental, deserted and as white as chalk. The avenues are lined with countless semi-derelict, disused shops. Görlitz is also full of roaming young men, the stormtroopers in bovver boots of a resurgent order which from Berlin we'd like to wish away. The dusty, sleepy streets reminded me of the setting of Werckmeister Harmóniák, an old place where violence breaks out sporadically and engulfs everything. Görlitz carries on across the border but under a different name, in a different dimension of time. I had the same fleeting feeling as when I saw Breslau/Wroclaw. Hollow architectural forms had been filled with a new history brought by other lives, other languages from faraway lands. On the German side tourist shops were bursting at the seams with books lamenting the loss of the eastern territories to Poland.

30 March 2005

Alpha Child

English version

Samuda Estate, Isle of Dogs, London

Cosmos 1999 passait le samedi après-midi dans un programme grand-public. C'était invariablement à l'heure des visites familiales obligatoires, un rite incontournable planifié à la minute près. Nous savions que la fin d'un feuilleton historique d'aventures ou de Titi le Canari marquait le passage d'une grand-mère à l'autre. Dans l'immense périphérie parisienne, jusqu'a l'aéroport d'Orly qui barrait l'horizon de sa masse bleutée, chaque ville était marquée du même ennui. Dans cette atmosphère elles étaient toutes identiques, toutes désertes, toutes pleines de familles réunies devant leur télé et votant pour le meilleur programme à diffuser. C'est cet exercice hebdomadaire de démocratie qui assurait immanquablement le triomphe de Cosmos 1999 et l'excitation mêlée de crainte qui faisait que pour rien au monde sa diffusion n'aurait coïncidé avec le transit inter-grand-mères. Et pour cause, Cosmos 1999 (première saison - je n'entrerai pas dans la polémique) est la meilleure série de science fiction jamais produite, dans son élaboration visuelle, sa poésie et sa portée métaphysique.

Elle se place dans la droite lignée de 2001: A Space Odyssey, et ne souffre aucune autre comparaison. La classe totale. L'ennui qui écrasait la base lunaire, qui ressemblait au labyrinthe de notre cité futuriste où nous étions comme englués dans un temps en décélération, ses couloirs interminables, la dérive à laquelle la colonie humaine était condamnée, sa vulnérabilité face aux terreurs de l'univers, la musique lancinante et mélancolique qui enveloppait chaque episode laissaient dans l'esprit un souvenir tenace et puissant. Il était toujours difficile à la fin d'un épisode de redescendre dans le monde réel et de se réaccoutumer à sa lumière trop forte, à sa sensualité foisonnante. La semaine je passais des heures à dessiner la base de mémoire et élaborais mes propres vaisseaux spatiaux en carton. Je sentais jusque dans ma chair la noirceur glaciale des espaces interstellaires et la solitude d'une humanité propulsée loin de la securité d'une Terre devenue inaccessible.

Abbeyfield Estate, Southwark, London

Les années soixante-dix furent marquées par un changement dramatique dans l'idée du progrès humain, jusqu'alors jugé illimité, une crise de la modernité et une vision dystopique de l'avenir. La catastrophe inauguratrice de la série - la Lune éjectée de son orbite à la suite d'un cataclysme nucléaire - résonnait en moi de facon singulière mais semblait aussi en phase avec l'époque elle-même. Les samedi après-midis étaient dans mon esprit des moments d'apocalypse imminente, dans les centres commerciaux, le long des autoroutes, une électricité dans l'air - ou étaient-ce les tensions intra-familiales?- le sentiment d'un désastre sur la ville. C'est l'époque aussi où j'ai commencé à rêver d'Angleterre. Une Angleterre fantasmée et étrange dont les pôles magnétiques étaitent ma cité du futur désertée l'après-midi, David Bowie et Cosmos 1999, tous trois d'une grandeur plastique et éminemment pop. À Londres aussi le temps semblait s'embourber dans le calvaire sans fin des coupures d'électricité et des grèves d'éboueurs. Là-bas plus que nulle part ailleurs a-t-on dû aussi avoir le sentiment de se trouver sur la Base Alpha en pleine dérive intergalactique.

Et là-bas aussi la modernité architecturale s'écrasait dans les gravats encore fumants de Ronan Point. Les tours d'habitation commençaient à se détériorer quelques années seulement après leur ouverture. Des bandes d'adolescents en jeans moule-bittes et coupes à la Sweet (Teenage Rampage) terrorisaient les populations. Les locaux de vides-ordures étaient régulièrement incendiés, on pissait sur les coursives de desserte et quelque chose dans le déroulement de l'histoire s'était à jamais désagrégé, une sorte de violence pernicieuse qui gagnait tous les secteurs de la société, un durcissement de la vie dans un petit pays froid, plongé dans le noir à huit heures du soir et cantonnné les week-ends dans ses tours ruinées et pleines de détritus. On songe immédiatement à A Clockwork Orange, mais je pense que c'est Get Carter, filmé la même année, qui donne véritablement le ton et montre une Angleterre en chute libre, pauvre et miteuse, en proie à un cauchemard dont l'issue sera à la fin de la décennie un cauchemard autrement plus spectaculaire. L'Année Zéro, le Big Bang. Le Breakaway de Moonbase Albion.

 

The Bringers of Wonder

Space 1999 was shown on Saturday afternoon on the first channel. It would invariably happen during the obligatory family visits, which were timed to the minute. We knew that at the closing credits of some period drama or of Tweety Bird we had to switch from one grandma to the other. In the Paris peripheral zones, up to the gigantic, blue mass of Orly airport that stood on the horizon, each town was afflicted by the same boredom. In such an atmosphere they all looked the same, all deserted and full of families gathered around TV screens, voting for the best series to be broadcast. It was this weekly exercise in democracy that guaranteed the triumph of Space 1999 and our excitement tinged with secret fears ensured that its screening wasn't to fall into the crack of the inter-grandma thirty-minute transit. The reason was simple: Space 1999 (at least its first incarnation - I won't enter into any polemic) is by far the best sci-fi series ever produced in terms of visual sophistication, poetry and metaphysical scope. It is right in the lineage of 2001: A Space Odyssey and doesn't allow for any other comparison.

It truly has a class of its own. The crushing boredom afflicting the lunar base, which looked like our own futuristic town where we were getting caught in an ever decelerating time, its endless corridors, the perpetually drifting, doomed humanity, its vulnerability in the midst of a terrifying, unfathomable universe, the music, whose haunting beauty suffused each episode, left a lasting, overpowering impression. After the rarefied atmosphere and dimmed lighting of the prefabricated base it was always difficult to readjust to the normal, sensually teeming world we were inhabiting. During the week I would from memory recreate the set on paper and design my own spaceship out of cardboard cut-outs. The fate of the lonely community drifting into the freezing interstellar infinity far away from the safety of Mother-Earth shook me to the core and provided a powerful visual metaphor to deep-seated anxieties. These fantasies re-emerged and expanded whenever Space 1999 was rescheduled by TV networks over the years.

Stifford Estate, Stepney Green

The Seventies were marked by a dramatic shift in the conception of human progress - hitherto considered boundless - a crisis of modernity and an ubiquitously dystopian vision of the future. The original catastrophe - the moon blasted out of orbit by a nuclear disaster - awoke in me something powerful as it also seemed to tap into the decade's general unease. Saturday afternoons felt like the the apocalypse might happen any time. In the regional shopping-centres ringing Paris, along the motorways, there was electricity in the air - or was it family tensions between two grandma visits? - exacerbating the anxiety of an impending disaster in the city. It was also the time when I started dreaming about England. A strange, idiosyncratic, phantasmagorical England whose sources of inspiration was the loneliness of my futuristic town, David Bowie and Space 1999, all eminently plastic and pop artefacts. In London time also seemed to sink into the endless ordeal of power cuts and refuse collectors' strikes. Over there more than anywhere else people must have had the feeling to be embarked on the interminable intergalactic trek of Moonbase Alpha.

And there too were modern architecture's social ambitions pronounced dead, buried as they were under the smoking rubble of Ronan Point. Tower blocks started to fall apart only a few years after completion. Teenage gangs in crotch-hugging jeans and Sweet hairstyles (They're out in the streets, they turn on the heat) terrorised beleaguered populations, set ablaze rubbish chute closets and pissed all over the decks and streets in the sky. Something in the course of history had irredeemably disintegrated and from it oozed a dull, all-pervasive violence affecting all levels of society, the hardening of the life of a small, cold country where it was total blackout at eight o'clock and where families locked themselves up in rubbish strewn, ruined towers at weekends. A Clockwork Orange immediately springs to mind but I think that Get Carter, which was made the same year, really sets the tone in its depiction of an England in free fall, poor and shabby, tormented by a nightmare whose end a few years later was to result in a nightmare of much greater amplitude. Its Year Zero, a Big Bang, Moonbase Albion's very own Breakaway.

11 March 2005

Place de l'Apocalypse

Grigny, La Grand Borne

L'arrivée des familles ouvrières des arrondissements du sud parisien s'était faite dès 1969 dans l'émerveillement d'un univers urbain étrange et coloré. Chaque secteur de La Grande Borne avait en effet son ambiance propre assortie d'une thématique de nature cosmique ou mythologique. Ils abritaient des places tranquilles ponctuées de folies et d'obélisques, tandis que leurs gammes chromatiques se déroulaient à perte de vue en modulations raffinées, car personne ne savait vraiment jusqu'où elle s'étendait, cette ville 'en forme de coquillage'. À l'époque ces familles faisaient figure de pionnières dans le projet global d'aménagement de la région parisienne. Elles prenaient possession d'une architecture inédite qui, par son pouvoir de suggestion, devait, selon son équipe de concepteurs placée sous la houlette d'Émile Aillaud, les mener à une conscience esthétique supérieure. Il y était surtout question de mettre l'enfant au centre de la production urbaine, et donc par extension de réveiller celui resté enfoui en chaque adulte par le biais d'un urbanisme stimulant et hautement ludique, le principe de base du projet étant d'injecter du rêve, de la fantaisie et du palatial dans le quotidien ouvrier. L'arsenal conceptuel, très années soixante, était empreint d'un onirisme vaporeux multipliant les références littéraires et plastiques, d'un appel à l'émerveillement perpétuel et d'un soupçon de drift situationniste. Plus prosaïquement ce n'était ni plus ni moins qu'un projet d'ingénierie sociale sous couvert d'esthétisme ayant pour mission la création hors les murs de Paris de l'ouvrier de demain, d'une génération d'enfants solaires en dérive dans un univers fantastique de couleurs et de formes, la formation d'une communauté futuriste de prolétaires éclairés.

La population était dans une certaine mesure appelée à contribuer directement à la grande création - du jamais vu en termes de démocratie participative -, comme en témoignent les mosaïques ornant les accès aux bâtiments, fruit des efforts de quelques ouvriers du chantier. Cette sorte de philanthropisme paternaliste, en invoquant l'image du travailleur ébloui par les formes nouvelles et se jetant à corps perdu dans l'exploration de ses désirs et de son milieu, paraît maintenant tristement naïf, sinon révélateur d'une absolue condescendance. Ces admirables idéaux n'ont en tout cas pas longtemps tenu la route face à la population réelle qui habitait là et les impératifs, pressions et besoins qui constituaient son quotidien. Se pose dès lors la question des disparités socioculturelles - cruciale dans les domaines de l'architecture et de l'art public - quand le système de référence culturel propre à une classe sociale entre en collision frontale avec celui d'une autre largement considérée comme inférieure. De quoi relève le projet de loger une population principalement ouvrière et en partie démunie dans l'extravagance baroque d'un rébus urbanistique? D'une entreprise d'édification et de libération par l'architecture, ou d'un mécanisme supplémentaire de contrôle? Il existe une anecdote selon laquelle un portrait représentant Rimbaud sur un pan de mur avait été pris par les habitants pour Alain Delon (un documentaire de l'époque produit pour l'ORTF montre une bande de jeunes bombardant la mosaïque de projectiles, le genre de scène outrageusement orchestrée qui ne fait que perpétuer des préjugés séculaires: les loulous de banlieue, intoxiqués de trash pop en proie à un lynchage en règle de la haute culture apollinienne de la Ville-Lumière).

Les étés se succédaient ainsi sur les collines cernées aux quatre coins de blocs onduleux, leurs herbes brûlées et aussi sèches que de la paille. Nous dévalions les pentes à toute vitesse et parfois je tombais et me blessais les genoux sur le dallage d'ardoise de l’axe central qui menait à un grand hémicycle de béton. La nuit tombait tard. Nous devions pourtant rentrer tôt quand d’autres avaient encore la permission de jouer. Du haut de ma chambre je les voyais qui continuaient sans moi dans la promesse et la douceur du soir alors que le soleil transperçait encore les volets. Ma mère était seule dans sa chambre meublée de plastique blanc et d’armoires à miroirs, la modernité de masse, la dernière mode des catalogues. En l'absence presque permanente du père, je crois qu’elle s’endormait en écoutant à la radio les chansons, les nouvelles d'une décennie violente ou les programmes destinés aux chauffeurs routiers. Le jour, les stratégies improvisées d'appropriation de la cité par ses habitants (avant tout les femmes et les enfants, les hommes ne faisant que la traverser du fait de leur éloignement quotidien par le travail) réactivaient des liens sociaux et satisfaisaient des besoins fondamentaux, tant matériels qu'affectifs ou culturels, ce qui semble ne pas avoir toujours coïncidé avec les visions personnelles de l'architecte, qui rêvait d'harmonie et d'édification - donc de tout sauf de bandes de jeunes colonisant les cages d'escaliers et réservant le local à vélos à l'amour. On peut alors se demander qui cette énorme mise en scène devait véritablement servir. Curieusement la monumentalité épique et classicisante du projet est en contraste marqué avec les franges les plus avant-gardistes de l'époque qui questionnaient le principe même d'architecture et tendaient à la faire disparaître, antithèse de cette affirmation optimale du geste architectural et de sa pléthore de références à tiroirs.

Les violences à venir serait aussi une réaction contre l'infantilisation flagrante à laquelle le projet réduisait ses habitants. Car la cité, repliée sur elle-même autour d'un désert de pelouses pelées, sans structures à même de soutenir une quelconque vie sociale, étaient composée de familles nombreuses et modestes prises en étau entre les vieilles certitudes et principes inébranlables de la vie ouvrière et l'angoisse grandissante du chômage et de la destitution dont le spectre commençait à prendre forme dans des discours élémentairement racistes. Il serait bientôt trop tard pour eux car trop vieux ou trop jeunes, trop sous-qualifiés, trop couverts de méchants tatouages, trop zonards, trop de là-bas. La politique sociale irresponsable menée alors et la concentration extrême de populations délaissées, doublées d'un mépris inné des élites s'arrogeant le droit de jouir de Paris ont eu des conséquences catastrophiques. La dégradation rapide du climat social dès la seconde moitié des années soixante-dix, où une population déjà fragilisée s'est vue propulsée dans le vide, s'est manifestée de façon très visible sur l'enveloppe extérieure du rêve de l'architecte - le démiurge et le père. En plus de défauts structurels graves qui exposaient les appartements à de constantes infiltrations d'eau, les minuscules carreaux de pâte de verre translucide avaient perdu de leur éclat et des inscriptions de plus en plus visibles se multipliaient partout sur les murs. Il y était beaucoup question de puissance financière et d'héroïsme pornographique. Des bittes ou des dollars on ne sait lesquels l'emportaient.

L'effondrement des relations sociales a eu pour premier effet une attaque forcenée de l'architecture et de l'esthétique qui lui avait donné forme, expressions en dernier ressort du système de domination socioculturelle qui les sous-tendait. Cette atteinte à l'architecture a été pour moi l'événement le plus choquant de mon enfance - et en a marqué prématurément la fin. La tension était dans les dernières années devenue insoutenable comme dans le dénouement douloureux des Werckmeister Harmoniak de Béla Tarr, alors que l'atmosphère s'est dégradée à un point tel après l'arrivée du Prince que les habitants se livrent aveuglément à la destruction systématique de leur ville - la scène du saccage de l'hôpital et du massacre des malades est d'autant plus insupportable qu'elle se déroule dans le plus complet silence. Dans la cité des incendies se déclenchaient un peu partout, dans les caves, les écoles maternelles, le peu d'équipements publics qu'on y avait bâtis. L'accélération de la descente se poursuivra de façon effrénée dans les émeutes de la décennie suivante. La famille est rapidement partie, oblitérant pour toujours le souvenir de ce qui n'était devenu ni plus ni moins que la zone à laquelle on n'aurait jamais supporté d'être identifié, et me privant de visions de couleurs intenses, de formes futures, de lumières et d'ambiances étranges aux antipodes de l'ignoble cauchemard pavillonaire dans lequel nous nous trouvions désormais. Je ne puis pardonner au pouvoir en place, surtout lorsqu'il se prétendait de gauche, d'avoir dévasté mon rêve, de ne s'être laissé guider que par l'arrogance qu'il avait en commun avec le reste de la classe dominante. Vingt-cinq ans plus tard, la trahison est consommée et le désastre définitif.

20 February 2005

Cité des Enfants Rouges

Grigny La Grande Borne, Place du Quinconce

Cela m'est revenu une nuit, brutal et entier. C'était un mercredi après-midi pluvieux juste après l'école. Ma mère nous avait envoyés, mon frère et moi, voir le nouveau film de Goldorak qui passait au cinéma local. C'était un événement rare, que pareille nouvelle nous parvienne au point que quelqu'un se fût donné la peine de vérifier l'heure du spectacle. En chemin nous étions passés chercher une amie de classe qui habitait au centre de la cité, là où commençait l'enchaînement des esplanades. Celles-ci étaient disposées à angle droit et bordées de boutiques, chacune ponctuée d'aimables folies multicolores et autres structures oniriques destinées à stimuler le pouvoir créatif et le désir de dérive urbaine des ouvriers logés là. Il fallait toutes les traverser pour arriver au cinéma, qui se trouvait à l'autre extrémité de la dalle commerçante. C'était une sorte de bunker en colimaçon aux parois de béton cannelé bâti au-dessus d'un parking souterrain. Il avait été construit après-coup, car auparavant il n'existait rien dans la cité interplanétaire où les familles déshéritées des taudis parisiens avaient été déplacées par milliers quelques années plus tôt. Pas même une église. Un désir de sociabilité permanente devait supplanter les besoins d'un autre âge.

Nous attendions le début de la séance à l'extérieur du cinéma. Des deux côtés, les dégagements des esplanades où la population était invitée à se rencontrer dans des échanges jouissifs et infinis. Soudain quelques garçons que je ne connaissais pas sont venus de loin et une fois arrivés à notre hauteur m'ont agoni d'injures. Devant mon frère et l'amie d'école la terreur et la honte m'ont achevé. J'ignore s'ils passaient par là ou si comme nous ils venaient voir Goldorak-Le Film, qui ne devait d'ailleurs être qu'une version distillée du dessin animé. S'imagine-t-on seulement ça? Un film DE Goldorak. Nous n'allions jamais nulle part et notre seule concession à l'essor de l'industrie cinématographique était d'aller voir Goldorak. Nous remontions les places les unes après les autres en sens inverse. Il n'y avait toujours personne. C'était un mercredi après-midi maussade et les ensembles monumentaux semblaient dégradés par les traînées noires de pluie, une sorte de composition lugubre à la de Chirico de chaque recoin de laquelle émanait une âcre odeur de pisse. Nous laissions l'amie en route et je me retrouvais seul avec le frère, un peu plus changé, un peu plus tremblant. Nous sommes rentrés rapidement vers la mère qui attendait. Juste à temps pour Candy.

 

Cela encore m'est revenu il y a quelques jours à la descente du train. Quand j'étais enfant j'avais une bicyclette rouge. Je ne sais plus à quel âge on me l'avait offerte mais je sais que je l'ai gardée longtemps. Mon frère avait la même en bleu. Alors que j'approchais de l'adolescence nous avons déménagé vers une banlieue soporifique du sud de Paris. Mon nouveau collège se trouvant à environ une demi-heure de marche nous avions pensé qu'un vélo serait le bienvenu. Comme dans ma famille rien ne se perd, le petit vélo rouge a donc repris du service. Mais à quatorze ans cela paraissait un peu incongru de circuler sur une bicyclette visiblement conçue pour un enfant de six. La chose n'a échappé à personne et le vélo, d'un rouge de plus très vif, est vite devenu une célébrité. Il avait 'Miniped' inscrit en grosses lettres blanches et argent sur le cadre, ce qui d'emblée mit la puce à l'oreille de certains. Mes jeunes voisins, deux beaux gosses dont le sens fraternel nous faisaient envie, à mon frère et moi, s'en gaussaient ouvertement: imaginez-vous, un gamin un brin efféminé juché sur un vélo nommé 'Miniped'. L'ironie me semblait aussi cruelle que brillante.

Parfois, lorsque la pause du déjeuner était trop courte pour faire l'aller-retour à pied, ma mère venait me chercher sur 'Miniped' - dont elle devait avoir elle aussi besoin. Je m'installais donc sur le porte-bagages et nous nous frayions tous deux un passage au milieu des groupes d'écoliers qui n'en perdaient pas une miette et parfois même nous invectivaient: la pédale et sa mère dans leur numéro hebdomadaire d'équilibristes sur le 'Miniped'. Un 'nouveau' vélo a par la suite fait son apparition d'on ne sait où. Il était blanc, un peu plus grand que l'autre mais tout aussi pourri, et encore une fois fait de toute évidence pour un gosse. Comme mon lycée se trouvait encore plus loin je pus disposer du vélo blanc, qui pour un élève de seconde faisait un peu anachronique. Il ne resta pas longtemps dans la famille puisqu'un mercredi on me le ravit. C'était à l'un des gymnases municipaux qui faisaient partie du complexe de terreur sportif de la ville. Je sais qu'il n'a jamais été véritablement volé et qu'il ne s'agissait que de rigoler un peu aux dépens du propriétaire d'un si petit vélo. Je rentrai en tout cas à pied ce jour-là, écœuré de la méchanceté des hommes. Ma mère en fut elle aussi dégoûtée.

Plus tard elle acheta un grand vélo noir, dit "Hollandais" - ou du moins une approximation de l'original qui à l'époque faisait fureur. Il faisait nettement plus adulte et je pus en disposer après avoir décroché un job d'été au centre de tri de la poste. La distribution du courrier était ardue et le deuxième ou troisième jour "Hollandais" le pensa aussi quand, sous le poids de sacoches remplies à rabord et mal fixées il se démantela purement et simplement sous moi, me laissant à terre avec tout le courrier du quartier éparpillé sur la route. Après avoir donné l'alerte du pavillon d'en face ma mère arriva à la vitesse de la lumière et nous achevâmes ensemble la distribution du courrier en voiture avec le reste de la famille. Ce fut le dernier jour à la poste, le dernier vélo et peu après tout le monde partit en vacances sans moi. J'étais seul dans l'été. J'allais à Paris faire l'amour avec des hommes rencontrés sur les berges de la Seine. Parfois j'en amenais même à l'appartement barricadé dans l'ombre. Comme ils l'avaient tous si finement prédit, l'enfant-Miniped était bien l'un d'eux.

04 February 2005

Dimanche à Orly

English version

Toilettes de l'Aéroport d'Orly

Orly n'a presque pas été transformé. Les grands espaces publics ont gardé leur caractère épique, leurs baies vitrées immenses, leurs couronnes de lustres dorés aux arrivées. Le bleu de l'extérieur ponctué de stores jaunes ne s'est jamais affadi. Dans mon enfance Orly avait un air fantastique et puisamment futuriste. Le terminal enjambait la Route Nationale et était d'une élégance unique. On se retournait pour regarder le cube bleu s'éloigner à l'horizon. Il occupait une place primordiale dans la mythologie nationale, avant que Roissy n'usurpe le titre d'aéroport parisien en chef sans jamais parvenir au même statut fantasmatique. Il apparaît dans les premières secondes du Play Time de Tati (du moins sa reconstitution dans l'immensité de Tativille) et de nouveau à la fin au moment du départ des touristes, l'un des moments les plus émouvants du film. Godard y a aussi tourné Une Femme Mariée et la séquence centrale de La Jetée de Chris Marker est photographiée sur la terrasse d'observation où les foules s'amassaient le dimanche. Un jour ma mère m'a raconté ses moments de jeunesse passés là. Avec une amie d'école elle prenait le bus et investissait le grand cube bleu plein d'air pour se mesurer à cette modernité qui avait tout pour émerveiller. Elles grimpaient les escalators en riant et se faisaient tirer le portrait à n'en plus finir dans les photomatons. Parfois il y avait des mouvements de foule quand quelque célébrité débarquait là. C'était le grand aéroport de Paris, le seul, le magnifiquement bleu. Après une journée passée ainsi elles reprenaient le bus en sens inverse, vers sa ville vieillotte de meulière. La jeunesse de ma mère a pour équivalent la jeunesse de la modernité avec laquelle elle coîncide parfaitement. C'est l'image flottante d'une jeune fille blonde à l'aube de la vie riant aux éclats dans les grands salons de l'aéroport et courant dans les espaces en enfilades, une image fragile et solaire que personne - ni Tati, ni Godard - n'a filmée et que je suis seul à pouvoir imaginer.

Arriver à Orly me ramène à tous ces niveaux d'imaginaire, celui des films, celui de mon propre passé et celui du fantasme collectif. Et pourtant j'ai déjà envie de repartir. Je ne sais jamais vraiment pourquoi je viens à Paris. J'ai peur de ne plus savoir quoi y faire tant ma perception est incapable de régénération. Je voudrais tenir cinq jours les yeux grands ouverts sans faiblir, ce qui ne peut être encore possible que dans ses zones flottantes, la Petite Ceinture, le Périphérique, la Banlieue... Je rêve de recréer radicalement mon histoire en ces lieux, déterminée selon mes propres désirs et non plus tributaire d'un passé où ma position face à la ville était empreinte de victimisation et forgée par la certitude de l'invalidité même de mon être. Une telle vision nécessite l'abolition de tout ce qui pourrait continuer à m'embourber dans ce passé, la ré-émergence d'une mémoire revenant sans cesse sur elle-même dans un radotage stérile. Je voudrais raconter ces histoires à ceux qui ont grandi ici en mon absence, créer une seconde mémoire de Paris qui ne nierait pas la première mais la transcenderait dans son élan. Aujourd'hui je me suis lancé à la recherche du 'livre parfait', celui qui refléterait au mieux mes désirs du moment. C'est une habitude dès que j'arrive à Paris. J'en ai trouvé deux: le premier est un essai sous forme de flâneries sur le tracé du chemin de fer de Ceinture; l'autre un volume très sensuel sur les projets de mégastructures d'après-guerre (parmi lesquels New Babylon figure au premier plan). Les deux se complètent dans mon fantasme concentrique du Paris dont je veux posséder la vision, faute de l'avoir fait lors de mes années d'implosion au centre: la Petite Ceinture, le Périphérique, la Banlieue, là où commence l'immensité véritable.

Cité du Mont-Mesly, Créteil

Hôtel, Porte de Montreuil

Chats de la Petite Ceinture

Tour Saint-Blaise, Square Vitruve, Paris

Dimanche à Créteil. La nuit je rêve très souvent que je me lance à l'ascension de ses tours. Il se passe toujours des choses extraordinaires à leurs sommets. J'ai décidé de voir jusqu'où s'étendait la Cité Céleste, son versant opposé, l'envers de mon monde fantastique, chose que j'avais toujours eu peur d'entreprendre. J'ai donc vu sa fin, sa dilution dans la quiétude de la banalité pavillonnaire, le n'importe où de la banlieue parisienne. Elle est bien moins étendue que je ne l'avais pensé toutes ces années, quand on l'apercevait au loin, blanche et infinie dans ses étagements. À présent ses formes paraissaient peu différenciées et sans relief du fait du rose pâle uniforme dont les autorités municipales avaient tout recouvert dans un effort d'adoucicement visuel à fortes arrière-pensées idéologiques. On nage dedans et l'impact formel des origines est purement et simplement anéanti. En ayant entrevu les limites, en rêverai-je toujours autant?... Je suis parti très tard de chez ma tante, enhardi par l'alccol. La station de métro était déserte et au départ du train la cité s'est rapidement volatilisée, entièrement engloutie dans le noir épais d'un dimanche soir d'hiver. Il restait très peu à voir de ce lieu où je viens constamment chercher des bribes de ma propre histoire.

Lundi matin, gueule bouffée d'herpès: je décide de suivre le tracé de la Petite Ceinture de St Blaise à la Place des Fêtes, deux pôles baroques de l'hyper-modernité à la française. Elle est élusive et se laisse facilement perdre de vue, émergeant par intermittences sur des viaducs à colonnes ou profondément enchâssée dans des tranchées. À ce stade de son itinéraire elle se trouve bien au-delà de la limite territoriale de Paris, si bien qu'on ne sait jamais de quel côté la chercher. Je l'ai perdue juste avant mon entrée dans Belleville. J'ai continué jusqu'à la Place des Fêtes, où au milieu des tours amoncelées se tenait un marché, là où j'avais imaginé mes parents venir danser dans leur jeunesse sous les guirlandes d'ampoules... Puis ébranlé l'après-midi par Garçon Stupide du réalisateur suisse Lionel Baier, ses longs plans fixes sur un sourire de jeune homme plein d'un désir émerveillé, l'apprentissage de la dureté de nuits passées à marcher seul, les successions de corps dans les bars crasseux, les voitures stationnées tous feux éteints, les appartements anonymes. J'ai été jeune à Paris, j'y reviens plein du regret de ce que je n'y ai pas vécu, me surprends à l'espérer encore dans le regard des jeunes mecs croisés, eux qui ont pendant toutes ces années pris possession de ses rues. Ma ville, celle où je serais resté si j'en avais eu la force. Face à leur magnifique assurance et la facilité de leur présence, je me sens illégitime.

Dîner au Train Bleu juste pour perpétuer le fantasme d'un départ de cinéma. Je me dis qu'il n'existe rien de semblable dans aucune autre ville européenne. Les termini de Berlin ont été détruits, ceux de Vienne reconstruits, ceux de Londres abaissés à un fonctionnalisme minimal. Les gares parisiennes ont une présence énorme dans la trame de ma jeunesse. Je me souviens d'amants quittés sur les quais des jours ensoleillés et de mon retour seul en banlieue dans l'appartement abandonné pendant les vacances. Les tunnels interminables de la Gare de l'Est débouchaient sur une ville désertée et inondée de lumière blanche, les enchaînements d'immeubles le long des voies, les immenses viaducs en treillis, la désorientation de se sentir arrivé autre part l'espace de quelques secondes. C'est de Paris que toutes les grandes capitales européennes se profilent de loin en loin. C'est de là que naissent les désirs surhumains de simultanéité des mémoires, d'ubiquïté urbaine. J'ai voulu que ma vie soit vécue à cette échelle. Un romantisme un peu désuet de chambres d'hôtel, d'élégance immuable, d'histoires d'été devenues amères et de voyages interminables au coeur de l'Europe fantasmée.

 

Orly, Siebzehn Uhr

 

"Orly in its first year - was it 1963? - with its gleaming high steel-blue outline, pure and clean, standing alone at the end of the motorway rushing towards it, into it, under it; he used to finish work at midnight and drive from the centre of Paris to Orly; the inside of the airport was huge and brilliantly lit, the echoes crystal-clear (...)"

(François Maspero, Roissy Express: A Journey through the Paris Suburbs)

 

Aéroport de Paris-Orly

A five-day exploration of the concentric outer zones of Paris and the demise of the relationships of my youth. Orly airport has regained the transparency of its early years. The great public spaces have kept their epic quality with their tall plate-glass windows and rows of golden, modernist chandeliers in the arrival hall. The outside blue cladding, set off by bright yellow blinds, is still as I remember it. In my childhood Orly exuded something fantastic and otherworldly. The main terminal building spanned the highway and had a structural elegance that was unique and immediately identifiable. We couldn't help looking back to see the blue glass box vanishing into the distance. In a rare moment of heightened coincidence between architectural experimentation, collective self-representation and historical awareness Orly captured the imagination of the entire nation as soon as it was completed. It would take more than another decade for  Roissy to usurp the title of premier Paris airport, but without the mythical, fantasy-inducing status of its forerunner.

The airport was a prime location in French cinema as new ways of seeing film-making would seize on the mythical power of the place, either as a locus of the dynamism and optimism of the times and a cipher of modernity, or as the recipient of a sharper critique of modernism's worst technocratic excesses. The building appears in the opening scenes of Tati's Play Time (at least its reconstruction in the gigantic set of Tativille) and again at the end in one of the most moving scenes of the film, when the busload of tourists leave Paris. Godard also filmed parts of A Married Woman there. The central sequence of Chris Marker's The Jetty was photographed on the observation deck where plane spotters would gather in their hundreds on Sundays, picnic sets and families in tow. Being in Orly sets me at the confluence of different strands of imagination, the one informing films, the one from my own past and the one of collective myth-making.

Before my flight back my mother incidentally recalled the time she'd spent there in her youth. With a schoolfriend she used to take the bus to the newly-completed airport. She took possession of the blue cube full of air and transparence to absorb the allure of the emerging modernity of Paris. They climbed up and down the escalators laughing and kept on pulling faces in the photo booths. Occasionally there was a commotion due to the imminent arrival of some celebrity or other. It was the great airport of Paris, the only one in its blue magnificence. In late afternoon they would get the bus back towards the peripheric towns they inhabited. My mother's youth is equivalent to the youth of modernity, with which it perfectly coincides. It is the fragile, fleeting image of a young, blond woman on the cusp of adulthood, bursting into laughter along the concourses and running exultingly through the great spaces of a radiating futurity. It is a recurring, dazzling image that no one filmed - either Godard or Tati - and to which I am alone to give shape.

 

fast forward A compelling account of Orly's cultural significance in: David Pascoe, Airspaces (London: Reaktion Books, 2001).