Dirty Boys
Fanny Zambrano était fin prête, comme chaque mercredi après-midi, pour sa sortie au supermarché des Cascades. C'était l'étape alimentaire de milieu de semaine pour parer au plus urgent, en attendant la grande virée du samedi matin flanquée du père, muré dans un silence dont elle ne parvenait plus à localiser l'origine, et de ce petit con de Lucas qui venait de redoubler deux classes de suite, ce qui la désolait dans son impuissance face à un système éducatif implacable, ce rouleau compresseur indifférent aux difficultés des gosses de banlieue. Parfois elle profitait de l'occasion pour s'accorder un petit plaisir comme passer chez le coiffeur se refaire une couleur. C'est que les racines qui repoussent sous le blond platine, ça fait pute, comme elle aimait à le répéter quand celles-ci commençaient à devenir trop apparentes, et pour rien au monde n'aurait-elle voulu donner prise aux voisines dont elle ne connaissait que trop le penchant insatiable pour les ragots juteux. C'est qu'elle avait une réputation à défendre, une image à maintenir et qui faisait toute sa fierté dans un monde déclassé qu'elle voyait sombrer toujours un peu plus chaque jour, et elle se targuait d'être unanimement admirée dans cette partie de la cité pour son style impeccable et son instinct unique pour la juste coordination des coloris. "Fanny, elle est super belle, elle pourrait faire Secret Story", roucoulaient à l'envi les sœurs d'Hocine, qui rêvaient de pouvoir elles aussi se payer au marché les mêmes fringues dégriffées tombées du proverbial camion. Aujourd'hui elle avait sorti le grand jeu avec sa robe préférée du moment, la mauve affriolante à strass avec les fines bretelles nouées aux épaules et fendue sur le côté. David trouvait ça un peu too much pour juste aller faire ses courses mais c'était pour cette femme tombée jeune dans le devoir matrimonial l'une des rares occasions de se montrer au monde et revivre un peu, un après-midi de liberté rien qu'à elle entre ses shifts au magasin d'ameublement où les clients à conseiller ne lui laissaient aucun répit et les week-ends claquemurés dans l'appartement avec le père, ce monolithe obscur d'autorité usurpée, effondré devant la télé.
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