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10 May 2007

Ère glaciaire

Sarkozy/Act Up - Reichstag

Le durcissement politique a été voulu par une grande partie de la population française. Il a été ardemment désiré par ceux qui voient en lui un rêve nouveau capable de porter la France vers une grandeur auparavant décriée et battue en brèche par le doute et le repentir. C’est une rhétorique d’un autre âge, pleine d’emphase et d’ardeur conquérante, qui les a éblouis au point de les pousser vers celui le plus à même d’incarner ce renouveau historique. L’idée de nation, coulée dans le béton et simplifiée au point de devenir aussi obsolète que risible (La France, aimez-la ou quittez-la), émeut donc encore les masses bercées par le parler onctueux et hypnotique de l'homme providentiel. Le premier ennemi à abattre dans ce climat de ferveur retrouvée est bien l’héritage de Mai 68 et son relativisme mortifère, ce qui laisse mesurer la mégalomanie du programme. La France a été trop ébranlée et régénérée en profondeur par ces événements pour revenir à un quelconque état antérieur, car ce que les forces de la réaction proposent dans ce démantèlement fantasmé n’est ni plus ni moins qu’un retour vers la France de papa, infantilisante et autoritaire à souhait.

Il a été dit dans la même foulée que l’éducation avait été la première victime de cet étiolement des valeurs, ce qui ne concorde pas vraiment avec le souvenir (très net) que j’ai de mes premières années à l’école républicaine. Certes les classes étaient mixtes (ce qui m’épargna sans doute des pensées suicidaires prématurées), on ne portait pas l’uniforme (fini le col Claudine, bienvenu aux synthétiques criards) et l’on ne se levait pas à l’arrivée de la maîtresse - nul besoin puisque ces femmes d’une force et d’une intelligence formidables savaient parfaitement allier douceur, compréhension et fermeté. Donc on aurait pu en 1972 s’attendre au bordel généralisé dans l’expérimentalisme à tous crins dont nous aurions été les cobayes sans défense, mais c’est plutôt le contraire qui se produisit dans une sorte d’ordre paisible où la brutalité de pratiques dépassées avait laissé place à une douceur et une facilité propices au développement de facultés personnelles, un juste milieu entre une culture générale d’un niveau très élevé (y compris dans les écoles de cités HLM) et des méthodes éducatives plus progressistes (ce que l’on appelait l’éveil). Au lieu de me contraindre à la gymnastique collective pour laquelle je n’était pas fait, on préférait me laisser seul dans le bâtiment où je pouvait penser et peindre à mon aise. Tous ces clowns dont je recouvrais les murs (menant au premier prix d’un concours de coloriage au supermarché local), ces instants précieux de solitude, l’approbation de mes pairs devant les œuvres achevées, tout cela était-il le résultat de la permissivité délétère d’une aberration historique condamnée à la déroute comme on voudrait nous le laisser croire? Et en serais-je l’enfant hideux et asocial?

Cette affirmation tonitruante du renouveau national est récemment allée de pair avec quelques déclarations pour le moins ’malheureuses’. Déplorant la tendance excessive à l’auto-flagellation de la France d’aujourd’hui, le futur nouveau président pensait ces mauvaises habitudes infondées puisque ce n’était pas la France qui avait après tout inventé la solution finale - l’argument étant réitéré à plusieurs reprises lors de la campagne. Voilà de quoi ravir ici en Allemagne, mais surtout imagine-t-on Mitterrand (ou même Chirac) capables de tels arguments pour proclamer leur amour du pays? C’est non seulement sidérant de ringardise mais aussi indigne de la fonction d’homme d’état qui exige au minimum une appréhension sereine et raisonnée des réalités historiques. Tout cela est arrivé au moment ou j’amorçais la lecture de ce recueil d’essais fabuleux intitulé Mémoires Allemandes [1], qui met précisément l’accent sur le partage et l’imbrication inextricable des mémoires nationales françaises et allemandes alors qu'un esprit d’ouverture toujours plus fructueux mène à la convergence profonde des deux destinées. Ce que ces déclarations lamentables imposent en revanche dans leur évidence péremptoire c’est le clivage entre histoires et l’affirmation d’une identité par la négative, donc tout l’inverse de ce qu’un vériatble statesman avec un peu de hauteur se doit d’incarner. Et pour reprendre Marc Bloch repris par Fernand Braudel - cités en introduction de l'ouvrage et dont les propos ne feront pas plaisir à tout le monde: "Il n’y a pas d’histoire de France (ou d’Allemagne), il n’y a qu’une histoire d’Europe." [2]

Enfin reste la question pas si accessoire que ça de l’’esprit’ (on pourrait dire de la Zeitgeist esthétique) de la nouvelle France. Considérant l’ultra-libéralisme décomplexé de la droite au pouvoir, son culte de l’enrichissement et de la ’valeur travail’, peut-on s’attendre à une nation élevant l’individualisme compétitif au rang de vertu suprême au détriment du bien commun, un mélange très bling de petits propriétaires dans leur HLM décrépit et de Golden Boys en lotissements ultra-sécurisés, montre de luxe au poignet comme le boss et grosses pétoires? Le pays est-il prêt pour tout ce tape-à-l’œil qui caractérisa si intégralement les années Thatcher et dont l’électrochoc idéologique semble sur le point d'être infligé à une France moribonde? En contrepoint au gonflage de biceps national que compte montrer la nouvelle présidence, verra-t-on ainsi la fin de ce mélange d’élégance discrète et de distinction indicible hostile à toute forme de vulgarité ostentatoire dont la France se targue depuis toujours et que l’on appelle, sans pouvoir le définir véritablement, le goût. Les premières heures de la nouvelle ère le laissent bien craindre.

Poster: Act Up-Paris

 

[1] Étienne François & Hagen Schulze (eds.), Mémoires Allemandes (Munich: Verlag C.H. Beck oHG, 2001; Paris: Gallimard, 2007 pour la traduction française).

[2] Fernand Braudel, L’Identité de la France: Espace et Histoire (Paris: Arthaud, 1986), 14.

25 April 2007

Le Temps du Loup

Grigny La Grande Borne

Dans mon enfance il y avait eu un temps bref et fugace d’occupation de l’espace public par les femmes. Dans le grand ensemble de G., qui était totalement dénué de toute structure associative, les mères avaient spontanément investi l'extérieur, les multiples placettes, monticules artificiels et autres interstices du plan complexe et enveloppant voulu par l’architecte avec ses folies et accidents de terrains soigneusement arrangés sur les étendues d’herbe maigre et éparse. Les bancs étaient disposés en arcs de cercle à l’ombre de jeunes arbres et les après-midi d’été des groupes de femmes s’y asseyaient pour converser des heures durant d’elles et de leurs vies. Il s’agissait de jeunes mères nouvellement arrivées dans la cité qui venait d’être achevée, ses mosaïques multicolores rutilant dans la lumière, ses halls d’entrée somptueusement plaqués de carrelage rose et de bois sombre. Parfois aussi à leurs côtés se trouvaient leurs propres mères venues les voir de la vieille ville où elles résidaient encore. Les jours d’école les cages d’escaliers faisaient office de rues en hauteur et les conversations là aussi allaient bon train sur les pas de portes, alors que les enfants des différentes familles dévalaient bruyamment des étages, comme dans une grande fraternité aux origines multiples à laquelle appartenaient tous dans une égalité fondamentale l’Algérien, le Portugais, le Polonais, le garçons-fille en shorts éponge et sandales blanches. Les marches en colimaçon étaient attachés dans le vide à une colonne centrale et résonnaient des piétinements de hordes de gamins en route vers l’extérieur, qui n’était que la continuation naturelle et poreuse des appartements où il était encore trop tôt pour s'enfermer. Cela viendrait plus tard, quelques heures ou quelques années, dans une peur diffuse et insidieuse poussant à la réclusion et à l’angoisse d’un pourrissement irrémédiable du corps social.

Les espaces se vidaient et le silence retombait à l’heure du dîner, celle où les pères rentraient d’un travail souvent situé à des kilomètres vu qu’à G. rien n’avait été prévu à cet effet. Ils venaient des parkings extérieurs par-delà les derniers logements donnant sur l’autoroute. De la fenêtre de la cuisine nous le regardions marcher vers nous, sa sacoche à la main et la chemise déboutonnée, tel un héros hâlé revenant d’un pays inconnu. Le temps changeait alors qualitativement: d’élastique et d’informel, il devenait concret et fixe; d’anarchique et de social, il se transmuait en quelque chose qui tenait du repli sur soi et de l’austérité d’une famille redevenue structure inamovible. La mère servait le père qui ne disait pas un mot. Nous restions là en silence dans une sorte de crainte perplexe pour cet être qui, même s’il revenait des décharges municipales, n’en conservait pas moins toute sa mystique. Parfois il nous ramenait des friandises ou des boissons aux couleurs chimiques qui avaient été jetées par cartons entiers sur les tas d’ordures. Parfois aussi des cassettes choisies par ses soins sur les présentoirs de stations-service. Un soir je voulus lui montrer un livre que ma mère m’avait acheté au tabac de la cité. C’était une édition illustrée de La petite Marchande d’Allumettes d'Andersen, ce qui le fit hurler de colère face à la dépense scandaleuse. Ce père, qui préférait nous voir abreuvés de jus frelaté plutôt qu’avec un livre entre les mains, revenait dans la nuit, de ces espaces pleins le jour de femmes qu’il qualifiait de commères car elles parlaient toujours trop et créaient des histoires. Dans son imaginaire ils se transformaient et devenaient dans ses mots un repère de loups errants. Dans le noir les interstices entre les pans d’immeubles étaient opaques et impénétrables, et ses images prenaient alors corps car lui aussi avait sa propre mythologie du lieu, celle de la peur et du monstre prêt a mordre.

Il se peut qu’il ait existé un moment flottant et insaisissable où la société française, malgré les traumatismes et mutations extrêmes de l’après soixante-huit, connut une sorte de quiétude, de douceur même, avant d’ètre irrémédiablement mise à mal dans la dégradation subite du climat social à la fin de la décennie, une sorte d’été indien des Trente Glorieuses où l’on aurait peut-être eu un peu moins peur, où tout étranger n’était pas encore désigné comme criminel en puissance. Où les places ombragées étaient des lieux de contact et d’échange entre femmes des grands ensembles atterries là au hasard de leurs pays lointains, où une nouvelle forme de sociabilité émergeait dans les espaces laissés vacants par la normalisation et les limitations de leurs vies d’épouses en milieu ouvrier. Je hasarderais l’année 1977 comme celle de la rupture irréversible. Avec le recul cette impression me semble toujours plus pertinente: le chômage de masse devenait une réalité très tangible alors qu’un durcissement du discours sur les ’étrangers-mangeurs du pain des Français’ rendait les parents de plus en plus hargneux. Cela, on le sait, n’a depuis jamais cessé. La création annoncée d’un Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale par Nicolas Sarkozy en serait l’ultime couronnement. Cela c’est l’histoire de mon enfance, ou plutôt de sa fin dans la césure soudaine d’une crise sociétale vertigineuse et la faillite absolue du monde qui l’avait portée. La consécration de Sarkozy, aux yeux de qui ’social’ est un gros mot comme aux pires heures du thatchérisme, marquerait la mort de ce reste d’humanité qui brille encore dans mon souvenir et l’instauration d’une brutalité entière et cinglante: le temps du loup, celui qui rôde dans les terrains vagues de cités passées au Kärcher, à l’herbe brûlée et imbibée de pisse. Et pour assister à cette victoire sur TF1 le dimanche fatidique le père dispose depuis peu d’un écran plat, ultime satisfaction d’un homme que l’on n’attend plus le soir et dont le temps est à jamais pétrifié dans le soleil cathodique.

05 April 2007

Sacrée Soirée

Il y a quelques semaines Nicolas Sarkozy, dont l'obsession pour une France dite 'éternelle' devient très alarmante, appelait de ses vœux la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Outre les relents particulièrement sinistres de l’affaire on a peine à imaginer comment une telle structure fonctionnerait: quelle serait la tâche de ses nombreux fonctionnaires? Selon quels critères précis l’identité nationale serait-elle circonscrite et son essence distillée dans le corps social? Quelle sanction pour qui contreviendrait à ces commandements? L’intitulé a quelque chose d’aussi anachronique que de monstrueux. Vient immédiatement à l’esprit l’image d’une forteresse colossale et aveugle semblable à celle du ministère de la Vérité de 1984 qui, dans sa carapace de béton craquelé et percé seulement de quelques meurtrières, surplomberait le Périphérique. Voilà ce dans quoi la France est à deux doigts de se jeter et nul doute qu’elle le fera en toute confiance et sérénité tant son désarroi est profond. La question de ce qui constitue l’identité nationale n’a jamais été aussi douloureuse qu'actuellement et dans le but de se l'approprier on n'hésite pas à recourir aux symboles les plus éculés et convenus tout en prenant littéralement la langue en otage, gage jalousement accaparé de l'appartenance à la communauté et instrument d'exclusion - Sarkozy a même parlé du Français comme de la langue humaine. Un manque flagrant d’imagination et une ringardise endémique de la part de la classe politique l’empêchent de voir qu'une gamme chromatique largement plus étendue que le tricolore rendrait compte d'une France en recomposition constante et qu’une autre musique, moins martiale et belliqueuse que la Marseillaise, pourrait en devenir l'expression autrement plus éloquente que cet hymne meurtrier. La France, longtemps à l’avant-garde des courants artistiques et intellectuels, se recroqueville sur une image d'elle-même aussi idéalisée qu'illusoire. Crispée sur des mythes aussi étouffants que réducteurs, tétanisée par la différence qui sévit en son sein et qu’elle ne voit autrement que comme une menace à extirper, elle est consumée par des peurs et des fantasmes qui l'éloignent toujours plus du XXIème siécle, comme l'énormité sidérante de l'extrême droite dans sa vie politique en temoigne. C’est non pas dans l'obnubilation funeste pour une sorte de paradis perdu mais dans son dépassement et sa transcendence, l’acceptation de mouvances et de mutations polymorphes, de glissements vers des constellations d'autres possibles que se situe le futur viable d'une identité partagée. Non seulement un tel ministère renverrait-il purement et simplement à Vichy, il ne manquerait pas de faire aussi du pays la risée du monde civilisé.

 

Rond-point fleuri à pergola en banlieue sud

C’était un dimanche ensoleillé de février. Le père n’avait pas tenu à nous balader dans Paris, que nous avions quittée commes des malpropres. Après quelques avenues descendues en trombe nous étions déjà engagés dans les tunnels du Périphérique lorsque l’atmosphère se dégrada subitement. Le père hurlait pour des raisons triviales tenant essentiellement à ma présence, tandis que la mère, assise à l’arrière, ne pipait pas. Un silence empoisonné coupa court à toute interaction jusqu’à notre destination, la ville de banlieue endormie dans le soleil déclinant, ses fontaines gasouillant aux carrefours fleuris comme seule forme de vie encore visible. Il était encore tôt et déjà un sentiment d’enfermement inéluctable mit définitivement fin à ce dimanche en famille, qui certes ne mit pas longtemps à reprendre son cours devant TF1. C’était un programme de divertissement, avec des séries de gags type caméra cachée. Le père semblait fasciné et souriait fixement d’un air bienveillant, conforté par la bonté fondamentale du monde présenté là et de ses gens normaux, blancs, français. La mère s’était jointe aux réjouissances et entre deux éclats de rire racontait ce que nous étions en état de voir nous-mêmes. Une musique joviale et racoleuse soulignait l’hilarité des situations et je pensais aux monteurs chargés d’élaborer ça, des gens que j’imaginais très éduqués et qui dans un infini cynisme servaient cette soupe aux millions de Français dont le week-end s’était échoué là, ces Français dotés d’une culture universelle et d’une langue humaine, qui dans quelques jours iront de leur propre chef droit dans le mur... Pour une raison que j’ignore la table avait été dressée dans le salon, chose qui n’arrive d’ordinaire jamais. Seul l’alcool me donnait encore la force de poursuivre et c’est dans mon manque de vigilance que je me laissais entraîner sur le terrain miné des troubles en banlieue. Désireux de savoir si l’Allemagne connaissait le même phénomène de déliquescence sociale mais semblant tout de même avoir une idée bien arrêtée de la chose grâce à la télé, on me fit comprendre que je n’avais aucun droit de porter de jugement sur l’état de la France vu que je n’y habitais pas et que dans mon inconscience de cosmopolite évaporé je n’avais aucune idée de l'étendue de son malheur. Sans se faire prier le père se laissa alors aller à un exposé plus noir que noir sur la fourberie intrinsèque des étrangers présents sur le sol national. Dans sa longue vie d’ouvrier il en avait cotoyé de ces Portuguais et de ces Arabes, et c’est fort de cette expérience qu’il était en droit d’en dresser le portrait réel. Le discours, fortement racialisé et bétonné comme un bunker, était d'une virulence entière qui ne laissait prise à rien et å laquelle il était péniblement impossible de riposter quoi que ce soit. C’était aussi un discours qu’il me semblait reconnaître de l’enfance, identique à lui-même par-delà les décennies, seulement renforcé au fil des ans par l’accumulation d’observations concordantes. Loin de l’attendrissement affiché devant les gags de TF1 et sûr de son fait, il montrait même de la défiance et opinait du chef de l'air de celui à qui on ne la fait pas. C’était un homme pour qui le doute n’existait pas et qui, dans le discrédit jeté sur l'utilité de tout débat public, n’avait jamais dévié de ses vues, qui marinait depuis toutes ces années dans ce ressentiment et cette haine muette et qui sans nul doute emportera ses certitudes avec lui. J’étais sidéré et épuisé devant la puissance de feu dont était encore capable cette France éternelle-là, ma belle culture humaniste fondant à son contact comme neige au soleil.

Il faisait encore nuit quand on me reconduisit à la gare. C’était un matin pluvieux et lugubre, un matin parcouru de gens qui se lèvent tôt. À proximité de G., dont l’état de dégradation semblait encore plus prononcé dans les traînées laissées par la pluie, des gens se tenaient à l'arrêt de bus. C'était un groupe hétéroclite de grands blacks, de vieux ouvriers, une femme atemporelle en imperméable beige qui aurait aussi bien pu attendre là le même bus en 1972. À travers les gouttes de pluie qui faisaient loupe et diffractaient la lumière jaune des réverbères, nous les regardions attendre. Le feu rouge s’éternisait ainsi que notre confrontation silencieuse devant un lieu que nous avions tous investi à des moments différents. La radio débitait une musique latine pleine d'entrain. La scène, d'une tristesse infinie, me fit penser à ce moment du Septième Continent de Haneke où la mère fond en larmes à la vue d'un accident de la route et des corps étendus sous les baches. Un moment d'illumination insoutenable où elle savait qu'il n'y avait aucune issue que le démantèlement de son existence et sa disparition. Assise à l’arrière la mère ne disait rien, regardait aussi peut-être en pensant qu’elle avait été un jour jeune et insouciante dans cette ville aux mille origines.

18 May 2006

Three Colours: Brown

Concours de dessin au supermarché Radar

La langue française, toute en douceurs et rondeurs, peut sous tant de grâce cacher les réalités les plus inavouables. Ainsi les initiatives gouvernementales les plus frauduleuses s’affublent bien souvent de jolis titres chantants: que l’on pense aux camps Défense Deuxième Chance lancés l’an dernier, structures à la limite du paramilitaire destinées au redressement de jeunes têtes brûlées, au contrat d’avenir dont on a déjà oublié la teneur et bien entendu au célèbre contrat première embauche d'explosive mémoire. Mais ce sont les intitulés de dispositions prévues par les nouvelles lois sur l’immigration qui doivent surpasser en vacuité tout ce florilège. Pour les professionnels étrangers désireux de s’établir en France un titre de séjour compétences et talents doit officialiser leur présence sur le territoire. C’est un joli titre, compétences et talents, que l’on croirait tout droit sorti du cerveau exalté de quelque énarque épris de belles-lettres. Il ne fait pourtant que mettre davantage en relief l’épouvantable cynisme de l’affaire: mépris et précarité, incertitude et exploitation dans une société de moins en moins disposée à tolérer une quelconque présence étrangère en son sein. On imagine des heures d'attente dans les préfectures dans l'espoir de décrocher le fameux titre de séjour compétences et talents, qu’il faudra savoir nommer dans son intégralité, et les refus de fonctionnaires excédés dans la bouche desquels les mots, crachés et interchangeables d’une législation à l’autre, seront vidés de tout sens et du mirage de bons sentiments véhiculés dans leur mensonge. Car pour son obtention il est aussi stipulé que le candidat prouve qu’il est en mesure de contribuer de façon significative au rayonnement économique et culturel de la France dans le monde, notion qui serait presque touchante par son petit côté suranné si elle ne donnait lieu aux pires débordements démagogiques.

N’oublions pas non plus que les supermarchés Carrefour ont mis sur pied une 'École' où les 'étudiants' suivent un parcours gagnant (vers la caisse?) et que les cités les plus pourries portent souvent des noms improbablement bucoliques - le chêne pointu, le vieux moulin, ce genre de mièvreries. C’est cet aspect jovial et onctueux de la langue française qui m'est franchement horripilant. Ayant grandi avec, il est inévitable que j’y associe certaines voix ou situations, sûrement aussi certaines catastrophes, et ce n’est pas Georges-Arthur Goldschmidt (dont les mises en perspective du Français d’adoption avec l’Allemand de l’enfance dans Le Poing dans la Bouche sont par ailleurs magistrales), qui voit dans ses structures mêmes une 'idée de langue’ tant celles-ci sont parfaites, qui dissipera ce sentiment horrible... Tiens, Carrefour justement. C'est dans la commune de mes parents qu'ouvrit il y a près de cinquante ans le tout premier du pays, ressemblant à s'y méprendre au supermarché de la scène finale du Tout va bien de Godard, avec ses rangées infinies de caissières impassibles alors que les rayons sont dévastés par une bande de gauchistes surexcités, et sur le parking duquel les pédés en perdition se font salement tabasser afin que la sûreté des familles soit préservée et l'ordre souverain restauré. C'est aussi à Carrefour que les caissières sont actuellement selon ma mère habillées aux couleurs de l'équipe nationale et ont même le tricolore peint sur les joues. Voilà un parcours de gagnantes qui résume à lui seul une France exposée dans le vide de son projet sociétal: des femmes sous-payées pour un boulot aux horaires merdiques, peinturlurées et exposées sur leurs tabourets au regard de pères de famille bandant dans leurs slips et priées d'arborer les symboles d'une nation épuisée et hagarde. Nationalisme, populisme et hétérosexisme à la caisse, dans une banlieue dont on ne sort pas. Un rêve d'élite parisienne, mais pour les autres cauchemard à perpète.

21 April 2006

Plus Jamais France

Mercredi 19 est paru dans les pages Rebonds de Libération un texte de l’auteure Cécile Wajsbrot intitulé 'Nous sommes un pays perdu', à l'origine une intervention prononcée à la foire du livre de Leipzig au mois de mars. Il y était question de l’enlisement passéiste de la conscience nationale française et l’inexorable déliquescence de ses mythes fondateurs, de l’idée tenace de son insurpassable prestige dans l’épopée humaine et de sa vocation de donneuse de leçon au monde alors que sa propre histoire, reposant sur des certitudes fallacieuses et marquée par un refus obstiné de confronter ses pires errements, est par moments moins que reluisante, une fuite en avant que la situation sociale explosive de ces dernières années ne fait que rendre plus pathétique. C’est un sujet qui me taraude et qui m’est revenu au moment de la mobilisation de masse anti-CPE contre laquelle les officiels invoquaient une idée aussi périmée que décalée du destin national, car comment peut-on à ce point se cramponner à de vieilles gloires (certaines plus fantasmées que réelles comme le prouve le traitement officiel de la 'victoire' de 1945), à une image si caricaturalement héroïque de ses propres accomplissements lorsque histoires passée et récente ne font que mettre en relief des fractures et conflits phénoménaux au sein d’une même société régie par un soi-disant pacte républicain? Cécile Wajsbrot observe justement que la France se complaît dans l'illusion d'une continuité factice mêlée d'eschatologie toc alors que dans d'autres pays d'Europe c'est l'omniprésence des ruptures et cassures historiques qui est incontournable. On pense ici inévitablement à l’Allemagne qui dans l'impossibilité d'une quelconque fierté nationale a dû engager avec le passé un dialogue continu qui, même si le processus fut long et tortueux, et même si le pays n'est peut-être pas lui-même exempt de certaines nostalgies (pour par exemple la periode de prospérité et identitairement moins problématique d’avant la Wende), n'en fut pas moins salutaire pour la redéfinition pragmatique d'un sens collectif dans la construction européenne, et partant l'apprentissage d'une certaine humilité. La France, pétrie de principes aussi abstraits que baroques, donne au contraire le sentiment d’un pays assiégé et désemparé de voir sa stature mondiale s’effondrer, de devoir assister impuissante à la désintégration de son modèle social, dont on découvre effaré le naufrage sur fond de tensions raciales inextricables et d’hystérie sécuritaire, un climat à couper au couteau qui ne manque pas de frapper quiconque arrive à la Gare du Nord de l’étranger. La tension ambiante y est simplement insoutenable.

Topographie de la Terreur - Salon familial

Dans une structure telle que ma famille, dont la conscience historique est d'une élémentarité abyssale, la fierté dans la grandeur de la France se résume à ses vins et fromages, voire à la beauté de ses paysages. On y est si bien que s’aventurer au-delà de ses frontières tient de la gageure, un acte aussi insensé et incertain qu’inepte puisque le besoin en est inexistant. Si bien qu’en douze ans à Londres mes parents n'y ont passé en ma compagnie que deux courtes journées (le billet avait été offert et le train bloqué en rase campagne), et Berlin tient encore moins la route quand on sait son alarmante proximité avec la frontière polonaise. Mais ce qui me fascine au point de devenir une fixation, c’est la situation de deux jeunes enfants actuellement détenus en région parisienne et que l’on nommera commodément 'les neveux virtuels'. Mon frère a rompu tout contact avec moi un jour de 1987 après que j’eus perdu sa bombe lacrymogène de poche, une possession qu’il chérissait par-dessus tout - la multiplication des agressions à mon encontre dans la Topographie de la Terreur m’avait obligé à avoir recours à ce procédé un rien sécuritaire. L'aîné des neveux virtuels est en primaire, l’autre est né il y deux ans. Avec un père militaire de vocation et une mère fleur de banlieue proprette rencontrée au lycée professionnel d’une commune voisine, je sais que la cause est d’avance perdue, mais je voudrais tout de même bien savoir ce qu’on leur met dans le crâne au moment du dîner, et si cela dépasse en ineptie ce à quoi j’ai moi-même été exposé tout au long de mon enfance. Sur les immigrés, les noirs et les arabes, les pédés. Qu’est-ce qu'ils sauront donc des pédés, des étrangers (désignés sous de doux noms que l'on imagine moins obligeants), et surtout que sauront-ils de leur pays, de son passé historique, et quelle conscience auront-ils d’y appartenir, quels sentiment cela leur inspirera-t-il dejà dans leur jeune âge? Les têtes sont sans doute déjà pleines à rabord de vérités inaliénables telles que: Je suis français. Je suis un petit Français de Seine-et-Marne. Dans mon quartier il n’y a que des Français... Quels dégâts ces notions ont déjà causés et avec quel naturel elles ont réussi à faire leur chemin dans un univers à la normalité rassurante (la force inflexible de la loi incarnée par le père, la douceur bienveillante et sagement effacée de la mère), je ne peux que le supposer vu que le danger moral et corrupteur que je représente me les rend à jamais inaccessibles. Je ne puis que faire l’hypothèse d’une répétition sinistre, d’une invariabilité de la connerie au fil des générations, de la banalisation d’un discours à ce point asséné au fil des ans qu’il en devient évident. Ce que j’ai entendu ils l’entendront, et sans doute en pire au vu de l’inglorieux marasme de haines que la France est entre temps devenue. De cette continuité spirituelle comme de cette filiation biologique je ne veux pas. De cette appartenance nationale illusoire encore moins.

19 February 2006

Rêverie Prolétaire

Hier à la Berlinale on présentait Place de la République de Louis Malle, un film prenant la seule rue pour cadre et tourné en 1974 avec un minimum de moyens, caméra sur l’épaule et magnéto en bandoulière. En une sorte de micro-trottoir continu et ouvert à tous les aléas, l’équipe de tounage abordait des badauds autour de la place et sans questions préformulées les laissait deviser d’eux-mêmes, de la vie en général, de leur histoire personnelle, dans la confiance instaurée par un réalisateur à l'écoute et profondément empathique. Les réactions variaient sensiblement d'une personne à l'autre, entre l’inconfort mi-indigné mi-flatté de la vendeuse de billets de lotterie, la bonhomie méridionale d’une perruquière mentionnant ses clients de chez Madame Arthur pour parler à mots couverts des pédés qui venaient se fournir chez elle, aux divagations quasi surréalistes d’une petite vieille obsédée par l’idée de passer clandestinement en Allemagne. Il se produisit même un basculement inattendu vers la fin du film, où une jeune femme blonde séduisante, les joues couvertes de fausses taches de rousseur dessinées au crayon - ma mère avait une copine nommée Annie qui habitait l’immeuble d’en face et arborait les mêmes gros points, rendus avec plus ou moins de bonheur selon les jours - se retrouva après plusieurs passages de l’autre côté de la caméra avec le reste de la bande et entreprit de parler avec d’autres femmes rencontrées sur la place de baise et d’homosexualité féminine. C’était un très beau retournement, une démonstration élégante de la porosité du monde, la pulvérisation du clivage intervieweur-interviewé, acteur-spectateur (qu’est-ce qui fait qu’un film commence à être un film? - sûrement pas le professionnalisme supposé des acteurs, comme on le comprend dès l'ouverture), la fin des spécialisations et le rêve d’une coïncidence retrouvée entre art et vie, préoccupations évidemment omniprésentes à l’époque.

Une des personnes abordées m'a particulièrement intrigué. Il s'agissait d'une jeune femme brune au regard clair et direct, le visage un peu dur rehaussé de pommettes saillantes et de cette coiffure à guiches recouvrant les oreilles qui faisait alors fureur de Ziggy à Annie Girardot. Un ciré brillant noir achevait de lui donner un air très contemporain, une jeune étudiante, pensai-je, en prise avec son temps et encore galvanisée par l’épopée de soixante-huit. Le choc fut d'autant plus violent lorsque son discours - sans doute le plus sidérant de tout le film - se révéla être un fatras de tout ce que la société d’alors - et plus sinistrement celle d’aujourd’hui - pouvait véhiculer de préjugés réactionnaires. D’une voix de 'commère’ (comme disait le père qui méprisait ce genre de femmes) elle se lança sans se faire prier dans une diatribe anti-urbaine et profondément raciste ("il y a trop de Noirs et d'Arabes et ils amènent toutes sortes de maladies" - pour résumer), propos en tous points semblables aux déferlements d'horreurs entendues dans mon enfance. À l’écouter, toute raide d’indignation et certaine de son fait, c’était un peu comme si rien ne s’était passé en France dans la foulée des bouleversements culturels récents, que ce soit sur la question de la condition féminine (il était selon elle du devoir d’une femme de trouver un homme pour la soutenir financièrement) ou tout simplement la réinvention des rapports humains tentée dans l'entreprise révolutionnaire. Là encore j’ai dû penser à mes parents, qui, jeune famille ouvrière vivant en grande banlieue, n’a rien vécu de soixante-huit si ce n’est le contrecoup des pénuries et des grèves. Pour eux comme pour la demoiselle de la République, c’est le refus d’interaction avec la société dans sa complexité politique et de ses confrontations plus ou moins aisées qui s’affirme de façon catégorique dans la méfiance envers et finalement le rejet de Paris. Je l’imaginais dix ans plus tard sans ses guiches et son beau ciré, quelque part dans un trou de l’Essonne, péremptoire, amère et déjà pleine de regrets aux côtés de son homme-providence.

Le même exercice d'extrapolation s'avéra bien plus amer dans le cas des nombreux ouvriers rencontrés tout au long du film, des femmes de ménage à quelques années de leur retraite (certaines ressemblait à ma mémé Madeleine, avec leurs 'lunettes de loup' et leurs robes aux imprimés joyeux), des chômeurs en rade entre logement de fortune et liaisons alcooliques aux ouvriers de la voirie ’montés à Paris’ pour trouver du travail. Pensant à l’hécatombe qui allait suivre sous les effets combinés du chômage de masse et de l’impuissance des gouvernements successifs - 1974 faisant encore plutôt penser aux folies architecturales pompidoliennes et à un RER égayé des compositions ultra-futuristes de Vasarely - on éprouvait un malaise évident dans l'anticipation de ce qui restait encore à venir. C’était une impression de grande vulnérabilité qui se dégageait de ces scènes, d'immense précarité pour user d'un mot passe-partout qui a ces dernières années envahi le discours public. On se mettait à avoir peur pour eux et leur rêves fragiles, à penser à la décimation organisée de la classe ouvrière, aux HLM lépreux où ils auraient échoué entre temps avec tous les miséreux du monde, à leur vieillesse moins paisibles dans un coin de paradis moins idyllique. On pensait à tout le chemin parcouru depuis ces années jusqu’au pouvoir actuel, aussi dénué de vision que de valeurs humanistes, frauduleusement détourné par les ambitions personnelles de ceux qui l’exercent et prétendant remédier au malaise collectif (avec les banlieues en ligne de mire) à coups de mesures cache-misère minables et intrinsèquement discriminatoires. Les souffrances, multiples solitudes et délaissements, la lassitude, l’ennui, la maladie rencontrés autour de la Place de la République par Louis Malle se retrouveraient aujourd’hui intacts et exacerbés, l’espoir en moins. Qu’est-ce que donnerait un projet cinématographique similaire au même endroit trente-cinq ans après? La même chose probablement, mais avec une électricité autrement plus instable. Aujourd’hui encore plus qu’alors ce serait l’image d’un monde que l’on n’aurait pas réussi à changer, d’une société allant droit dans le mur.

Bd Macdonald, Paris XIXe

10 February 2006

The Last of Engerland

Shop front, Invalidenstrasse, Mitte

Yesterday’s Sun front-page looked strangely familiar as it caught my eye at Cologne’s central station. For I’d seen that picture hundreds of times before, the one they invariably resort to as the ultimate expression of the British unwavering spirit and wit:  the iconic still from Fawlty Towers showing Basil goose-stepping and slicing through the air with his long spidery legs in his Hitler impression. The killer headline: Don’t mention the Walk, was superimposed to it rather sloppily in fat, white lettering. What prompted the umpteenth use of this much exploited shot (despite John Cleese's claims that the sketch was a piss-take of British jingoism and fixation on the war) was the German police's avowed determination to crack down on offensive displays of Third Reich imagery and symbols during the World Cup, should it occur to some fans to emulate Basil Fawlty and start giving Nazi salutes whilst mimicking the despotic moustache. As the war is still such a prickly subject to most Germans (National Socialism being strangely enough no laughing matter) the Three Lions, known for their good-natured exuberance and high regard for local cultures, should quake in their boots and expect the harshest punishment for their frivolous treatment of history (irony being a quality that the British are so eager to deny others, especially Germans - who all the same came up with something as devastating and unsurpassable as Dada). The Sun had even sent one of its hacks to inspect the cells at Nuremberg nick and the warning was unequivocal: the boys, who are also feared to fall prey to East German skinheads on the prowl, will have to keep their noses clean if they don't want to find themselves on the wrong side of Hun savagery.

The tabloid’s obsession with all things German is of course not new. Of all targets of its eurobashing frenzy, Germany holds a special place in their heart, France sadly coming a mere second. The reason is quite simple, since the Blitz is still essentially a defining moment in Britain's sense of its historical worth, a climactic narrative around which a modicum of national pride (a notion much mocked and ridiculed in more progressive circles) can still articulate itself: think Vera Lynn, the Queen Mum, Bomber Harris, whose commemorative statue the latter unveiled in Holborn in 1992 to the fury of peace activists. The intervening sixty years of political, institutional, cultural transformations taking place in German society - not to mention the collective, and often tortuous, process of Vergangenheitsbewältigung engaged over the past decades to deal with Nazi crimes - are simply wiped out of the historical record. Never mind the fact that the Federal Republic has in the meantime become one of the most open, democratic societies in Europe, Britain, as fantasised by The Sun’s luminaries, clings on to the handy myth of the repellent other, the face of an enemy who is all the scarier since it has become more difficult to pin down in the EU's diffuse threat to national sovereignty - hence the convenience of an evil, totalitarian figure to keep it identifiable. This tendency transpires even in the most unexpected places. A trip to the German history section at Piccadilly’s Waterstone’s provides a good if very disappointing indication of this selectivity, as nearly all the books available there deal with the Third Reich and National Socialism (hardly anything on Weimar, the GDR, let alone contemporary developments). Borders fares slightly better, though, as far as variety is concerned.

As any British government knows (and this one more than any other), The Sun is still a force to be reckoned with whose potential nuisance remains undiminished. But seen from afar it comes across more as a pathetic anachronism voicing the seething resentment of a tiny, isolated island with a huge chip on its shoulder - in fact all that modern Britain has no longer any reason to be. Like Germany itself the country has over the last twenty years undergone radical changes, becoming in the process one of the most open, vibrant, internationally-minded places on earth. Does the paper still have any relevance in such a context, doomed as it is to be seen as a cringe-inducing embarrassment, the by-product of an era of jingoistic insularity and ignorance of the world, the nasty, little smell that won’t go away. The question is all the more relevant as it seems to have taken an even more reactionary turn under the current editorship (the new depths of recklessness and rabid xenophobia plumbed during the invasion of Irak being but one example). But most of all it’s the question of national identity and of its representation that such nonsense once again brings up, and in this respect Germany, where an impossible return to the past rules out any instrumentalisation of past glories, thus making ordinary forms of patriotism and display of national pride unthinkable, might somehow point the way ahead in the supersession of obsolete notions of collective identity. New forms of post-national consciousness can take shape in the bankruptcy of traditional representations, Habermas’s concept of constitutional patriotism springing to mind for example - a rather complex intellectual formation, but an infinitely more inspiring one than stories of old royalty and pissed football fans. Is it not Britain, with such a brash, antediluvian view of national identity, which is lagging behind in its sheer unwillingness to let go of the past, its reliance on defunct intellectual categories, the impossible questioning of its naff, if cosy, prejudices, its rejection of a certain modernity even?

 

fast forward To illustrate this point, an enlightening article published in The Guardian (07.09.2004) by German-Irish novelist Hugo Hamilton dealing with the issue of (post)national consciousness and the emergence of a 'global identity' in Germany.

30 October 2005

République du Mépris

Promenade plantée, Paris XIIe

De nouveaux incidents violents se sont produits ces dernières semaines en banlieue parisienne. Le 11 octobre un immeuble vétuste situé passage du Gazomètre à Montreuil était évacué par la police. Ayant ensuite trouvé refuge dans une maison de quartier les familles ainsi que les personnes qui les soutenaient se sont vues expulsées de manière extrêmement violente par des CRS qui étaient venus dans leurs plus beaux effets - boucliers, jambières renforcées et tombas - avant de défoncer la porte d'entrée à coups de bélier et de procéder å un tabassage en règle de plusieurs membres du comité de soutien, dont l'écrivain Jean-Pierre Bastid, sévèrement battu et matraqué à plusieurs reprises. Comme cela s'est passé rue de la Fraternité au mois de septembre, les familles jetées à la rue se sont vues offertes l'hôtel (trois nuitées précisément) dans l'Essonne et la Seine-et-Marne, et à nouveau elles ont refusé, sachant bien que se retrouver dispersées en grande banlieue ne ferait qu'exacerber leur précarité et les affaiblirait encore davantage dans une isolation inévitable. On semble actuellement beaucoup tenir à envoyer les gens en Essonne. Seraient-ce ses grands espaces, la fadeur uniforme de ses steppes et son ambiance d'enlisement où tout se dilue dans une indistinction mortifère qui la rendent si attrayante aux autorités métropolitaines désespérées d'en finir avec la mauvaise publicité engendrée par les mal logés? On ne peut non plus s'empêcher de s'interroger sur le fondement juridique des descentes de police dans les taudis et sur le respect du droit dans les procédures d'évacuation. Comme d'habitude le soupçon d'une mise en scène sinistre à destination des médias plane lourdement sur cette nouvelle rafle

Le 25 octobre, décidé à refaire dans le Kärcher, Nicolas Sarkozy visite Argenteuil et sa célèbre dalle. Il est tard et bien entendu ce qu'on voulut qu'il arrivât à une heure pareille se produit sans faillir: la délégation officielle se fait injurier et bombarder de bouteilles en plastique par des hordes de jeunes assemblés au pied des tours. Les caméras tournent et le numéro se met en branle de lui-même avec une perfection théâtrale renforcée par la monumentalité du cadre architectural. Comme à La Courneuve il y a quelques mois certains résidents se trouvent involontairement impliqués dans le show lorsque de leurs fenêtres ils sont directement interpellés par le ministre lui-même qui use d'un langage jugé adapté au contexte culturel (cette bande de racailles). Ainsi chacun devient dans la jubilation de l'agitation artificiellement maintenue et dans une vague ambiance de catastrophe imminente le figurant d'une mise en scène qui aurait eu un impact tout autre - et à coup sûr bien moins cinégénique - à neuf heures du matin, et l'on finit par se demander s'il ne s'agit pas là du frisson subliminal du bourgeois s'aventurant tard la nuit dans les coupe-gorges de la périphérie. Les banlieues ont toujours fonctionné à fond dans l'imaginaire parisien - la zone encerclant les anciens Fortifs étant l'une des premières incarnations du phénomène - et l'attraction du 'monstrueux' social, culturel et sexuel qui y est fantasmé reste d'une puissance indestructible, la forte concentration de jeunes hommes désœuvrés qui y circulent renforçant le mythe d'exactions et d'exploits en tous genres. Ce climat délétère connaît un apogée cataclysmique dans la nuit du 28 octobre lorsqu'une bataille rangée d'une violence inouïe entre jeunes de Clichy-sous-Bois et CRS éclate en réaction à la mort accidentelle de deux adolescents réfugiés dans un transformateur EDF et à laquelle la police est soupçonnée d'avoir contribué, même si le cours des évènements reste encore confus. Les émeutes se poursuivent jusqu'à tard dans la nuit et gagnent une cité voisine dans une sorte d'immense catharsis collective. Les images sont terribles et choquantes: des groupes de CRS armés de mitrailleuses que l'on dirait tirées d'une série de science-fiction arpentent les rues et interpellent les habitant des immeubles qui se sont pressés aux fenêtres - dans un français qui laisse fortement à désirer sur la grammaire et d'une agressivité effarante. Là aussi l'architecture est 'théâtralisée' à l'extrême lorsque les façades sont balayées par les rayons lumineux de projecteurs à forte puissance, dans une esthétique carcérale d'état d'urgence si extrême que l'on vient à se demander si un tel déploiement technologique digne des forces américaines en Irak (et encore une fois une telle exacerbation théâtrale) est réellement de mise.

À travers ces incidents très rapprochés dans le temps et voués à se reproduire au gré des provocations médiatiques du pouvoir et d'une répression proportionnellement intensifiée se révèle dans toute sa clarté la seule réponse dont la France soit capable pour venir à bout du mal abyssal qui la ronge. Le traitement du soulèvement des banlieues n'est qu'un aspect parmi d'autres du régime policier mis en place par l'État et qui ne semble connaître aucun équivalent dans l'Union européenne, ni par sa violence et ni par le degré d'humiliation dont elle est capable, et à laquelle elle peut manifestement donner libre cours en toute impunité (Habib Souaïdia, refugié politique algérien, battu à la station Châtelet et humilié au poste des Halles le 17 septembre). Que l'on pense aux manifestations lycéennes du printemps, à la vague d'expulsions lancée cet été ou à une jeunesse réfractaire intégrant de son plein gré les 'Camps Deuxième Chance' où l'armée s'occupe de tout, c'est à un état généralisé de militarisation que l'on assiste et on ne voit pas comment dans les conditions présentes le processus pourrait s'enrayer et ne pas prendre des proportions proprement monstrueuses. Et comment peut-on dès lors tenir un discours cohérent sur le devenir de la ville quand la police française est dotée de pouvoirs si exorbitants - ce dont tous les précédents historiques devraient nous prémunir - et accumule les dérapages? Au Pavillon de l'Arsenal se tient actuellement une exposition sur le devenir de Paris et, nous dit-on, le parti pris résolument post-haussmannien des projets d'aménagement de la couronne extérieure. Le même discours audacieux préside aux plans d''harmonisation' de la capitale avec sa banlieue immédiate par l'enfouissement du Périphérique en divers points et l'émergence d'une entité urbaine moderne digne de son époque. Face à tant de délicieuse afféterie parisianisante, on aurait presque envie de crier (en riant un peu jaune): "Mais que fait la police?"

11 June 2005

Les Lacets blancs

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Pont du Carrousel

Le soir venait de descendre. Un soir de Paris, d'été, d'air stagnant et de douceur rance venant des bouches de métro. J'étais sorti dans un état de légèreté que je ne connaissais que rarement en ces années. L'achat d'un disque - une nouvelle sortie qui ne pouvait attendre - était un prétexte comme un autre pour sentir mon corps en mouvement dans la ville calme, la regarder et peut-être recommencer à l'aimer. Je remontai la rue Monge et descendai vers la Seine en direction de la Faculté de Jussieu, que je longeai jusqu'à la station de métro. Le campus était désert. De la rue on entrevoyait l'enchaînement infini des cours et des modules d'accès. Le plan originel d'Édouard Albert prévoyait une exposition permanente d'art contemporain dans les espaces extérieurs, des fresques de Braque dans la tour principale et une ouverture totale sur la ville. À part la Forêt Pétrifiée de Stahly, le Paralum de Vasarely, crevé à coup de pierres lancées des fenêtres et quelques autres, aucun de ces projets ne vit le jour et le chantier fut achevé dans la confusion générale tant l'endroit après soixante-huit terrifiait. Ce soir là il n'y avait personne à part quelques promeneurs attablés aux terrasses des cafés.

Puis soudain il y eut un détachement, une perturbation indistincte à l'une des terrasses. Des hommes, deux ou trois, s'étaient mis à courir vers moi en hurlant. J'en sus d'emblée la raison, celle qui avait motivé toutes les attaques précédentes. Ce devait être un groupe extrémiste quelconque, de ceux que l'on voyait graviter le dimanche autour de l'église intégriste de la rue Monge, là où l'on se faisait tabasser derrière la sacristie sous le regard indifférent de belles dévotes. C'est ainsi que le manque de surprise et une vague résignation à devoir une nouvelle fois en passer par là accélérèrent considérablement les choses. Je fus précipité avec force du haut des marches de la station et je ne sais plus si ma chute s'est arrêtée à mi-chemin ou si j'ai continué mon embardée jusqu'en bas. J'ai en tout cas calmement continué ma route et ai trouvé mon disque (un single de Morrissey). Puis, insensible à la douleur, je suis entré dans un bar, sans être conscient du sang qui couvrait ma figure éclatée. C'était un samedi soir, la nuit était douce et agréable, les rues pleines de vie. Je crois que ce fut la dernière fois avant mon départ pour l'Angleterre. Tout a achevé d'être soufflé en une seule nuit. Je ne reviendrai plus vivre à Paris.

À ce propos je viens incidemment de tomber sur un communiqué des Panthères Roses qui faisait part d'une marche d'associations catholiques pro-vie à Paris et à laquelle elles avaient opposé un petit happening (Plus de Jouissance, Moins de Naissance, dixit la banderole déployée du haut d'un immeuble). Il est à constater que les groupes ultra et familialistes n'ont avec les années rien perdu de leur virulence. Sous couvert de festivités et de glorification de la vie c'est une violence inouïe qui éclate sous le vernis de cette société respectable. Car c'est en marge de ce type de défilés en l'honneur des Mômes, du Christ-Roi, de la Maison de France et de l'Hétérosexisme Suprême que l'action véritable se déroule, là où l'on traque le déviant - comme on le faisait déjà au Moyen-Âge, admirable continuité - et à qui on le fait payer cher.

Autour des cortèges gravitent des milices informelles et auto-proclamées de "maintien de l'ordre", à qui incombe la mission de purification sexuelle et ethnique que les troupes du Seigneur Triomphant appellent de tous leurs vœux mais qu'au nom de la bienséance elles n'oseraient mettre elles-mêmes à exécution. C'est ainsi qu'au moment de l'office on se fait allègrement courser et rouer de coups aux abords des lieux de culte intégristes sous l'œil approbateur des familles et des scouts venus honorer leur Dieu d'Amour (le seul bureau de tabac ouvert le dimanche dans mon quartier se trouvait à quelques mètres - manque de chance). C'est ainsi également qu'un jour de mai 1995 Brahim Bouarram fut traqué sous le Pont du Carroussel et jeté à la Seine - une tradition à Paris - par un détachement de sympathisants du FN, qui manifestait dans les environs. La nébuleuse ultra-conservatrice est protéiforme mais les buts qu'elle poursuit et les pratiques criminelles qui s'opèrent dans ses marges sont d'une constance indéniable. Sous la triade Catholicisme-Nationalisme-Familialisme et la célébration apparente de la vie sur terre, sa diversité et son exubérance, se profile quelque chose d'infiniment plus sinistre et mortifère.

 

Hound Packs

It was a summer night in Paris, a night full of the pungent smells of the metro, mild and sweet. I felt strangely elated and light-hearted, which in those years was a rare event. I had a CD to buy - a new release which couldn't wait -  and that was as good an excuse as anything else to be going out. Maybe I'd even end up sleeping with someone, it could be one of those nights. I liked the feeling of my body in motion in the empty streets, which I'd come to look at and maybe start loving again. Up the rue Monge, and then back towards the river, I walked along the complex of the Jussieu Faculty of Science. The campus was deserted and from the street I could see its endless perspectives of open spaces and 'access modules'. The original project included a permanent display of contemporary pieces by the celebrities of the day, a Braque fresco in the central tower, total openness and interaction with the existing city. Apart from a shattered Vasarely composition in one of the overgrown courtyards -  smashed with stones thrown from the lecture rooms above- very little was actually carried out and in total confusion the project was brought to a premature end. The cataclysm of Sixty-Eight was still fresh in everyone's memory and further extension was ruled out. That evening there was no one on the streets except a group of drinkers sitting outside a bar.

Then suddenly there was a slight commotion at one of the tables and from the corner of my eye I just had the time to see a group of men - maybe two or three of them - running towards me, shouting abuse. Intuitively I immediately knew what was happening, the latest occurrence in a string of similar attacks. It was an extremist group of some kind, one of those moving in fundamentalist ultra-catholic circles, the epicentre of which was a church just down the road. It wasn't uncommon to find oneself dragged and bashed behind the sacristy before the very eyes of indifferent worshippers. So my total lack of surprise and vague resignation to what was taking place turned the proceedings into a very swift affair. I was pushed down the steps of the metro station and even though I can't remember whether I stopped halfway down or carried on rolling all the way to the entrance, I walked on regardless through the tunnels, took the train and went to the music-store to get my Morrissey single. Then, still feeling numb and dazed, unaware of the horrific state of my face, I went into a bar as I still wanted to enjoy the bustle and pleasures of the city, and believe that the night belonged to me. I think it was the last time until I moved to England. Everything finally blew up that night. I'll never live in Paris again.

15 March 2005

Capitale de la Douleur

English version

"Les paroles ont l'air vulgaires et violentes mais c'est tout le contraire. On l'utilise surtout quand on est ému (...) Il faut être très fort en mots pour briller avec ça."

('La banlieue par la bande', Libération, 7 janvier 2004)

 

03.05-MontMesly14

Juste au moment d'écrire le texte précédent L'Esquive d'Abdelattif Kechiche sortait à Berlin. Un film radieux qui consiste largement en un enchaînement continu de plans rapprochés sur les visages, une action simple dans un lieu unique, un cadre architectural silencieux en arrière-fond - les Francs Moisin de Saint-Denis et les 4000 de La Courneuve - la sobriété rigoureuse de la scénographie et la beauté du 'prétexte' dramatique: Le Jeu de l'Amour et du Hasard à monter. C'est le tour de force de ce film que d'allier la légèreté du badinage marivaudien à la dureté des rapports de force entre les instances du pouvoir et ceux qu'elles occultent, rapports reproduits à l'échelle des relations entre les sexes. Certaines scènes sont à cet égard d'une puissance terrible. Le contrôle de police, filmé en plan serré à ras de capot - et dont j'imagine qu'il met en scène la célèbre Brigade Anti-Criminalité, créée de toutes pièces par les autorités pour venir à bout du désordre des banlieues - est insoutenable par l'insistance de la caméra sur les visages contorsionnés et en pleurs, la durée pénible de la scène portée à son paroxysme lorsque Frida se fait tabasser avec le Marivaux découvert dans sa poche par la seule flic de l'unité, hurlante et inconsolable qu'on ait pu lui cacher ça. L'humiliation était insupportable, sa réalité pourtant quotidienne, l'évidence du mépris des autorités sans appel.

La même violence fondamentale se manifeste à un autre niveau dans les invectives de la professeure de Français contre Krimo et ses tentatives désastreuses d'incarner Arlequin. Sa frustration, voilée au départ mais de plus en plus déclarée au fur et à mesure de répétitions ratées, explose dans ses exhortations furieuses à sortir de soi, de sa langue, de sa classe, et si possible de le faire avec le sourire et dans la jubilation de la subversion des rôles. La consternation lisible sur le visage de l'adolescent résume tout: il ne comprend pas ce qu'on lui dit. Jouer avec les conventions de classe, langagières ou sexuelles ne veut rien dire pour lui. Il ne voit qu'une autre forme de violence dirigée à son encontre. La rencontre avec Marivaux n'aura pas lieu dans ce choc frontal avec la culture officielle et l'impossibilité de dépasser cette différence. À la fin du beau spectacle joué à la salle des fêtes et auquel tous les parents avaient été conviés on peut se demander quels changements de trajectoire dans la vie des spectateurs comme dans celle des acteurs la représentation de Marivaux a pu provoquer. Est-ce une expérience qui aura changé la vie ou un événement contingent sur lequel le silence retombera finalement? Le film s'achève de façon elliptique sur cette impossibilité de savoir quel chemin chacune de ces destinées prendra après l'événement flottant et hors du temps de la représentation.

Une autre dimension de la violence globale et constamment présente dans le film se manifeste dans la détérioration du rapport entre les sexes - un contrepoint poignant à la légèreté irréelle du badinage style Louis XV - la pression à laquelle sont soumises les jeunes femmes et le contrôle continu dont elles font l'objet, les codes d'honneur qui déterminent l'ensemble des rapports interpersonnels et la résurgence du religieux hypermasculinisé qui, quelle qu'en soit la provenance, est basé sur le mépris absolu des femmes - sur le courage et l'énergie desquelles repose pourtant une grande partie de la cohésion sociale. Leur condition s'est considérablement dégradée dans un contexte plus large de marginalisation des couches les plus vulnérables de la société, leur statut finissant par se reduire à leur simple commodification (valeur marchande dans les rivalités de bandes, monnaie d'échange, la pornographie comme seul rapport possible à la femme, à son corps et à la sexualité en général). Le passage à tabac de Frida, les réputations de pute qui collent pour un rien aux unes ou aux autres relèvent du même mécanisme et représentent le stade ultime d'une chaîne ininterrompue de petites violences s'exerçant à tous les échelons, le lieu final où tout vient s'engluer: Les Francs Moisin, Les 4000, La Grande Borne.

 

Capital of Pain

In the midst of my perpetual reflections on and recollections of my past in the Paris Region, a radiant film by Abdelattif Kechiche, L'Esquive, came out here in Berlin. The film, whose infinitely elegant staging is as stripped as a theatre production, consists of a simple plot (a nascent love story intertwined with the rehearsal of a Marivaux play for an end-of-term performance) and is full of long, sensual close-ups of the young actors' faces. The architectural setting is also discreetly present in the background, far removed from the pyrotechnics of usual media representations of the French banlieues. This lightness of touch contrasts sharply with the bitterness of the confrontation between youths from the peripheral zones and the authorities. The educational system first of all, where social differences are laid bare and shown in their harsh unsuperability. During a cringe-inducing classroom scene the literature teacher, at the end of her tether, lashes out and exhorts Krimo, a teenager with a poor understanding of the transcendent potential of acting, to go beyond himself, class and language, and play with the codes and conventions of social constructs.

And then there is the police, which only appears in one particularly unbearable scene. The ID control - carried out by officers from the infamous Brigade Anti-Criminalité, a special unit set up to crack down on antisocial behaviours in troublesome areas - is a devastating piece of cinema as the camera insistently zooms in on the teenagers' faces, contorted with pain and fear as they are flung against the car bonnet to be searched and showered with abuse. The terribly long scene reaches its climax as one of the officers - the only woman in the crew - discovers a copy of the Marivaux play on one of the girls and lashes out, bashing her around the head with the book in a fit of rage and power frenzy. The scene, in its unrelenting humiliation and seething anger is a bare, unmitigated indictment of a system that repeatedly resorts to arbitrary force to quench social unrest. In the Sixties the no less infamous Brigade Z was created with the same intention of intimidating and brutalising the marginalised populations of the shantytowns which at the time were still ringing Paris. Only the light, cheerful voices of the young actors rehearsing their Marivaux intermittently resound and run a luminous thread throughout the film.

But maybe the most striking element is the terminal degradation of men-women relations - a poignant counterpoint to the ethereal, slightly surreal banter of the 18th-century play being staged. It pervades all aspects of life from the pressure and accountability to which young women are constantly exposed and the unending mechanisms of control preying on their lives, to the rules of a code of honour and the instrumentalisation of a set of debased religious concepts rooted in the glorification of the male and the sheer contempt of women - thanks to whose courage and strength the social life of those areas is kept afloat in the first place. Their condition has significantly deteriorated as part of a wider process of social marginalisation, their status ending up amounting to little more than their own commodification (as bait and pawn in inter-gang feuds, with pornography as the only possible way to relate to the female body and to sexuality in general). In L'Esquive the intimidation, the beatings and the all-pervasive fear of being branded a whore reveal the all-consuming alienation and breakdown of a society whose intrinsic violence and obscene injustice are brought to incandescence in the liminal zones of the Ville-Lumière.