"Les vespasiennes dans ce désert sont dejà radieusement ouvertes
et miraculeusement vides."
(Hector Zazou, 'La Soupeuse', La Perversità, 1979)
La pissotière de Senefelderplatz est une petite curiosité héritée d'un temps lointain. Située juste au bord de Schönhauser Allee à l'épicentre d'un Prenzlauer Berg flambant neuf après des années de gentrification intensive, l'édicule octogonal en fonte a fière allure avec sa géométrie dépouillée et la discrétion de son ornementation néo-classique, un chef d'œuvre de fonctionnalisme qui dans son ouverture - l'intérieur est masqué de la rue par une sorte de paravent surmonté de lanternes - sa facilité d'usage et sa gratuité reste à ce jour un modèle incontestable de civisme municipal - du moins pour les hommes, dont la mainmise séculaire sur l'espace public est exemplairement incarnée là. Il en reste à Berlin quelques dizaines en plus ou moins bon état selon les aléas d'une gestion dorénavant privée, proprettes comme sur les très désirables Gendarmenmarkt et Chamissoplatz, ou crades-alternatives à Friedrichshain - celle de Boxhagener Platz est massive et divisée en deux moitiés Damen & Herren, fait datant vraisemblablement de la DDR et de son égalité des sexes proclamée à l'envi par le régime. Le Pissoir de Senefelderplatz, si parfaitement rénové qu'il en paraît plastique, sent lui toujours bon le détergent et le granite sombre des urinoirs est du plus bel effet contre le vert pimpant de l'intérieur. En somme, cette vespasienne bien élevée, loin d'horrifier ces jeunes couples bourgeois qui, dans la morgue inébranlable d'une classe certaine de son bon droit, sont toujours prompts à combattre la moindre nuisance à leur rêve de pouponnière géante, s'inscrit harmonieusement dans un cadre architectural restauré avec goût et normalisé dans l'obturation de ses vides, sorte de post-haussmannisation parachevant le triomphe d'une urbanité purement familialiste, un déluge de bienséance Biedermeier en plein Ost-Berlin. Mais il flotte toujours autour de ces lieux le goût de désirs anciens et élémentaires, une mémoire sulfureuse de cette 'homosexualité noire' chère à Hocquenghem et pas du tout gentille comme le voudrait l'assimilationnisme contemporain. La résonance collective des chiottes publiques dans la culture gay est telle qu'un Pissoir à l'ancienne a été en partie reconstitué en plein Lab, le plus grand brassage de perversités qu'ait jamais connu Berlin, avec ornements originaux et tags bombés pour en rehausser l'authenticité. À l'intérieur les mecs pissent au travers d'une grille dans la gueule de ceux attendant dessous et dans ce Fun Palace du folklore pédé l'objet, qui fait directement face à une longue rangée de glory holes, est arraché de son contexte d'origine pour être à nouveau investi de la mémoire de ses détournements passés [1].
Certes le choix en apparence infini du Net et la quasi-immédiateté des contacts qui s'y nouent rendent un peu dérisoire la drague à la papa dans les courants d'air et rédhibitoire l'attente d'une hypothétique apparition à l'urinoir voisin. Stupéfiantes ces chorégraphies d'un autre âge que Laud Humphreys décrit dans son classique 'Tearoom Trade' [2], ouvrage aridement sociologique mais légendaire dans son audace méthodologique, qui décortique les rites d'interaction et la complexité des jeux de rôles sexuels dans le microcosme des toilettes publiques d'une ville américaine lambda au milieu des années soixante tout en dressant une typologie détaillée de ces hommes, souvent respectables pères de famille, risquant l'arrestation et le déclassement social pour l'enivrement d'une vision défendue [3]. À présent l'immense self-service des résaux électroniques nous donnent le sentiment d'un contrôle absolu dans nos choix de partenaires, les détails de l'échange érotique étant souvent intégralement scriptés à l'avance. C'est cette illusion d'intimité et l'homogénéisation du désir dans la mise à distance de l'autre que Tim Dean passe au crible dans Unlimited Intimacy, essai vertigineux sur la culture du barebacking à San Francisco: s'appuyant sur les écrits de Samuel Delany sur la gentrification et la provincialisation de New York City sous le coup des politiques de zero tolerance et de disneyification édictées par Rudy Giuliani [4], il élabore toute une éthique de la drague et du sexe public comme mode de vie et ouverture maximale à une altérité pure, c'est-à dire délestée de toute forme d'identification (donc de nomination) réductrice [5]. Avant la réappropriation revanchiste de Times Square, ses cinémas porno, sex-shops et backrooms étaient le site d'une écologie du désir ouverte à toutes les probabilités et permettant l'accès au plaisir entre hommes de groupes généralement invisibilisées - men of colour, working class gays - contacts interclasses redoutés par une société blindée de toutes parts et déstabilisation de l'ordre social à prévenir à coups de discours ultra-sécuritaires. Michael Warner fait état de la même collusion entre redéveloppement urbain, aseptisation d'amusement park au profit de familles sans reproches (à savoir blanches, de classe moyenne et monogames) et aspirations d'une large frange de la communauté gay au bohneur privatisé du mariage, homonormativité à mille lieues des histoires de touche-pipi et calquée sur les valeurs conservatrices majoritaires, au détriment de sexualités dissidentes, non-normatives et proprement queer [6].
Dans la même optique, la disparition ignominieuse des tasses parisiennes moins de vingt ans auparavant relèverait-elle, sous couvert de mesures de salubrité publique, des mêmes mécanismes de régulation sociale, de contrôle et de privatisation du désir errant? De même que sur Times Square, la confusion des genres dans les relents âcres de vieille urine étaient-elles un défi lancé aux ségrégations d'une société structurellement discriminatoire? Évidemment elles ne payaient pas de mine les vespasiennes à la française et loin de l'élégance wilhelminienne des créations berlinoises se résumaient bien souvent à un tambour aveugle monté sur piquets et peint d'un vert glaireux. C'est en tout cas ce à quoi ressemblait celle de la rue Bobillot que j'apercevais souvent dans mon enfance lors de nos redescentes vers la banlieue ('c'est plein d'vieux satyres', se permettait même de commenter ma mère). La seule pissotière à avoir inexplicablement survécu à l'hécatombe se trouve face à la Prison de la Santé (un rien dissuasif) et avec ses deux places séparées d'une cloison (une 'causeuse' dans la terminologie des connaisseurs) semble peu pratique pour même un début de tentative d'approche, alors que la plus culottée était carrément enchâssée dans le mur d'entrée des Tuileries en contrebas de la Terrasse du Bord de l'Eau! Il aura pourtant fallu attendre vingt ans pour les voir complètement disparaître, du premier arrêté de 1961 - contemporain de l'Amendement Mirguet classant l'homosexualité au rang des 'fléaux sociaux' au même titre que l'alcoolisme et la tuberculose et pénalisant plus lourdement le sexe public entre hommes - au coup de grâce hygiéniste des sanisettes Decaux, sortes d'abris antiatomiques coulés d'un bloc dans le béton mais faciles à entretenir, payants (1 franc) et surtout monoplaces [7]. Maintenant il paraît même qu'on y passe de la musique, peut-être les plus grands tubes de George Michael, grand amateur d'impromptus latrinaires [8]... Selon Roger Peyrefitte qui loin des éphèbes antiques y a consacré tout un texte [9], les tasses situées à proximité des casernes et des usines furent les premières à être démantelées - les classes subalternes étant notoirement hypersexuées et incontrôlables mieux valait sans doute les préserver en priorité des dangers d'inversion émanant des cloaques. Ainsi les folles chics gardèrent les leurs plus longtemps comme la fameuse 'Baie des Trépassés' du Trocadéro - 'baie' étant le terme usité dans le 16ème - où l'on pouvait trouver au petit matin des macchabées le nez dans leur pisse [10]. Et on frissonne à l'évocation de 'La Sanguinaire', ainsi nommée de par sa proximité avec l'Institut National de Transfusions Sanguines [11].
Et pourtant les tasses auront entre-temps connu leur âge d'or. Les témoignages émus abondent pour décrire ce qui s'apparentait à un véritable Fire Island local et relever l'inhabituelle mixité sociale des hommes qui les fréquentaient. Car à l'instar des établissements de Times Square les pissotières municipales étaient le théâtre de contacts entre catégories que les blocages sociétaux n'auraient jamais rendu possibles autrement: le doyen de fac pouvait cotoyer dans la 'circulaire' du coin (tasse à trois places dont celle du milieu était, on le comprend, particulièrement prisée) l'ouvrier du bâtiment, la folle évaporée dans les effluves d'Eau Sauvage et surtout de nombreux hommes mariés faisant un crochet avant que leur train de banlieue ne les ramène à la respectabilité familiale, en somme tout un petit monde réuni dans sa ginette de façon démocratique et dans le même abandon et court-circuitage des barrières socio-culturelles. Au plus fort des activités du FHAR en 1971-72, baiser dans les tasses était érigé en acte quasi-révolutionnaire dans le mouvement radical de politicisation de ce qui jusqu'alors ne relevait que de la sphère privée. C'est à ce moment qu'émergent dans le discours érotico-activiste 'les Arabes' dont la présence aux urinoirs a l'air d'en avoir ravi plus d'un [12]. Force de travail sur laquelle se sont édifiées les Trente Glorieuses, parqués en bidonvilles et cités de transit avant de jouir du luxe de HLM déjà en pleine décrépitude, invisibilisés car en sursit et à tout moment susceptibles de rentrer au pays, ils conservent dix ans après la fin du déferlement de haine anti-Arabe que fut la Guerre d'Algérie leur statut de colonisés dans une mise à distance et infériorisation mêlées à une fascination érotique trouble, l'articulation des enjeux de pouvoir, de race et de sexualité restant encore dans la société française largement inexplorée, c'est le moins qu'on puisse dire. L'Arabe en tant qu'objet érotisé servant un agenda politique radical revient d'ailleurs régulièrement dans les prises de position du FHAR, qui fait là d'une pierre deux coups tout en prétendant de sa position de centralité parler au nom d'autres populations opprimées: briser le tabou autour du sexe entre hommes et revendiquer l'amour trash avec les anciens colonisés [13], discours qui, malgré ses prétentions à renverser l'ordre patriarcal hétéro-flic et raciste, reprend à son compte la vision commune de l'Arabe construit comme bête de sexe prédatrice et incontrôlable, comme le souligne Maxime Cervulle dans ses recherches sur la pornographie ethnique gay française [14]. Bien après la disparition des vespasiennes ce désir non-canalisé continuaient de circuler dans les derniers interstices d'une ville en mutation accélérée. Avant de devenir la Cité de la Mode et du Design avec son toit vert pomme tarabiscoté, les Grands Magasins du Quai d’Austerlitz étaient un énorme cube de béton délabré et par endroits muré. Ses baies de déchargement donnant sur la Seine avaient des airs de docks abandonnés, de port de San Francisco les jours maussades, avant la tombée du soir où les bagnoles roulaient au pas et pleins phares le long du quai et illuminaient les mecs adossés aux piliers. Les berges de Tolbiac leur ont ensuite succédé, point terminal de Paris avant sa dissolution dans son envers cauchemardesque et fantasme ultime, vestige des anciennes industries portuaires dominé par les appartements de luxe de Paris Rive Gauche, dernier projet gigantesque de régénération et restructuration intra-muros. On y vient de banlieue, les voitures se garent en bas des rampes d'accès pavées. Seul le grondement continu du Périphérique parvient jusque là. La Seine grise défile sous les arches du Pont National tout en vieille meulière, cette meulière de région parisienne dont on construisait les pavillons de banlieue, les bastions, les Fortifs qui servaient à la défense illusoire d'une ville se voyant en état de siège permanent. Là il y a des rebeus qui attendent l'après-midi assis entre les grandes sablières rouillées ou au pied des grues, on sait qu'on les trouvera là, et sur les murs de béton d'énormes bites tracées à la craie signalent le rêve de masculinité pure et incompromise.
En gravitation autour des édicules apparaissent aussi à cette époque les créatures ultimes de ce monde crépusculaire, dont les pratiques érotiques centrées sur les tasses restaient submergées et invisibles aux non-initiés, micro-culture devenue légendaire dans la mythologie d'un Paris interlope. Les soupeuses et leurs homologues masculins, qui au tout-venant devaient avoir l’air de nourrir les pigeons, pénétraient discrètement dans les toilettes inocuppées pour déposer au sol des morceaux de pain qui étaient après plusieurs heures de passages suffisamment imbibés pour être consommés, d'où le nom donné à cette communauté secrète dont l’adoration des sexes d'hommes anonymes allait jusqu’à l’absorption de leurs sécrétions mêlées dans la mie souillée, friandise trempée qui, comme le dit la chanson, 'fleure ah si bon l'ammoniaque pourrie'. Étrangement la soupeuse semble bien chez elle dans cet espace-temps particulier, la France un peu vieillote et défraîchie des années Giscard. Paris dans les années soixante-dix avait encore quelque chose de très flottant dans sa grandeur fanée et crasseuse, puante à plein nez, poreuse et éventrée par les chantiers. Son cœur-même était évidé, le Trou des Halles où rôdaient les premiers punks, l'îlot insalubre du plateau Beaubourg respatialisé par Matta-Clark, l'insurrection libertaire de Themroc sur fond de liquidation des quartiers populaires. Une atmosphère de chiottes pas nettes et de voyeurisme imprègne aussi Une sale Histoire de Jean Eustache, filmé alors que les tasses vivaient leurs dernières heures. Dans un récit en diptyque où les mêmes événements sont retracés par deux personnes différentes, Michael Lonsdale parle face à une assistance féminine subjuguée d’un rade parisien que les clients fréquentent exclusivement pour aller observer par dessous la porte des WC les femmes en train d’uriner, société secrète de mateurs où l'ordre de descente au sous-sol est régi par tout un jeu de regards et de reconnaissance mutuelle implicite. Les soupeuses se reconnaissaient-elles à proximité des rotondes vertes dans la poursuite de leurs fantasmes de dévoration? On voudrait pouvoir imaginer un visage à ces silhouettes fuyantes les après-midis d'orage, des femmes élégantes d'un certain âge vêtues de noir venant recueillir en douce la substance pâteuse transfigurée par des dizaines d'hommes, regagnant leurs appartements bourgeois pour l'ingérer lentement devant le journal de Roger Gicquel, et bientôt emportées avec les lieux mêmes qui avaient généré tant de plaisir.
Comme l'écrit Michael Warner, la volonté de neutraliser la sexualité d'autrui est à la mesure du désir et de la terreur de la perte de contrôle qu'elle inspire, la frontière entre désir et dégoût étant pour le moins ténue [15]. Sites de débordements socialement stigmatisés où la confusion de l'informe et de la dissolution des identités sexuelles établies (à commencer par la binarité homo-hétéro, irrémédiablement mise à mal), classes, races et générations, les pissotières font planer la menace d'une implosion généralisée de l'ordre dominant. Leur destruction et leur remplacement par des blockhaus étanches et opaques signalent la restauration de limites sociales brouillées par une interpénétration dangereuse et menacées de décomposition (tant par la promiscuité des pratiques que les miasmes) et se trouvent être contemporains de l'émergence de la scène gay mainstream au début de la nouvelle décennie. La prolifération d'établissements commerciaux dans un Paris toiletté et de plus en plus ouvertement voué à la consommation touristique inaugure un mode de socialisation plus institutionnalisé - les cafés ouverts sur la rue contribuant à la jolité ambiante et les backrooms importées des États-Unis circonscrivant des pratiques sexuelles potentiellement transgressives à l'intérieur de lieux désignés et contrôlables - marquent le début d’une normalisation spatiale croissante et d’une cristallisation d’identités précisément délimitées [16]. Car pour les jeunes mecs fréquentant le Broad en 1982, tous muscles dehors et casquette de mataf à la Brad Davis rejetée en arrière, les tasses ne devaient évoquer rien de plus qu'un monde trouble déjà distant, de descentes de flics, de loulous casseurs de pédés et de vieux salopards en slip kangourou, à des années lumières du monde mirifique des Halles électrisées par le nouveau Forum et du Marais où une culture de plus en plus normative, concurentielle et excluante se présentait comme l'apothéose des combats de libération [17]. Et si elles étaient encore des nôtres, les soupeuses, dernières héroïnes d'un temps échoué, seraient en France depuis longtemps tombées sous le coup des lois successives pour la sécurité intérieure au même titre que les travailleuses du sexe repoussées dans les bois de province ou autres squatteurs de cages d'escalier. Je leur propose donc l'exil sur Senefelderplatz où trône une pissotière rutilante et refaite à neuf, qui au moment de mes passages n'est jamais le theâtre de rien. Peut-être un lieu de désir en attente de résurgence dans une ville dont on est entre-temps bien déterminé à combler les vides un à un [18].
[1] Sur la reconstitution à l'intérieur des sex-clubs gays de lieux extérieurs érotisés dans le fantasme de danger qu'ils véhiculent: Allan Bérubé, 'The History of Gay Bathhouses', in Colter et al., Policing public Sex: Queer Politics and the Future of AIDS Activism (Boston: South End, 1996), 201-2.
[2] Laud Humphreys, Tearoom Trade: a Study of homosexual Encounters in public Places (London: Gerald Duckworth & Co, 1970). Traduit en français par Henri Peretz sous le titre: Le Commerce des Pissotières. Pratiques homosexuelles anonymes dans l'Amérique des Années 1960. Préface d'Éric Fassin (Paris: La Découverte, 2007).
[3] La 'folle des pissotières', l'une des quatre catégories définies par Humphreys, était l'objet d'un rejet généralisé de la part des autres 'usagers' en raison de sa propension au scandale et de son goût excessif pour les loubards. Sur la folle comme repoussoir et figure ultimement subversive: Jean-Yves Le Talec, Folles de France. Repenser l'Homosexualité masculine (Paris: La Découverte, 2008).
[4] Samuel R. Delany, Times Square Red, Times Square Blue (New York: New York University Press, 1999).
Le cas tout aussi violent du West Village et de ses jetées sur l'Hudson relève des mêmes politiques municipales répressives avec une dimension ouvertement raciste: "Queers hanging out in public were once considered a staple of West Village culture. Yet within the climate of the Giuliani/Bloomberg 'quality of life' crusade, the presence of gender insubordinate young Black and Latino queer youth, as opposed to white men with moustaches, is often viewed as a problem... "They disproportionately target queer youth of color. It's resulting in increased prison populations of queer youth just for loitering or urination on the streeet."" Benjamin Shepard, 'Sylvia and Sylvia's Children: a Battle for a queer public Space', in Mattilda Bernstein Sycamore (ed.), That's revolting! Queer Strategies for resisting Assimilation (New York: Soft Skull Press, 2008), 123-40. Le texte comprend également un historique clair de la politique urbaine de Giuliani et de ses répercussions sur les communautés directement visées.
[5] "This perspective on erotic impersonality qualifies as ethical by virtue of its registering the primacy not of the self but of the other, and by its willingness to engage intimacy less as a source of comfort than of risk." Tim Dean, Unlimited Intimacy. Reflections on the Subculture of Barebacking (Chicago: The University of Chicago Press, 2009), 211.
[6] Michael Warner, The Trouble with Normal. Sex, Politics, and the Ethics of Queer Life (New York: Free Press, 1999).
[7] Sur l'universalité du droit de pisser et l'aveuglement délibéré des édiles aux besoins fondamentaux de sections entières de la population (femmes, SDF): Julien Danon, 'Les Toilettes publiques. Un droit à mieux aménager', in Droit Social, nº1 (2009), 103-10.
Aux États-Unis, le groupe activiste PISSAR (People in Search of Safe and Accessible Restrooms) vise à rapprocher dans ses revendications des catégories (genderqueer folk, personnes à mobilité réduite) exclues d'une normalisation architecturale au service d'un ordre hégémonique de division des genres et d'un corps considéré comme universel: Simone Chess, Alison Kafer, Jessi Quizar & Mattie Udora Richardson, 'Calling all Restroom Revolutionaries!', in Bernstein Sycamore, op. cit., 216-35.
[8] Après s'être fait gauler en avril 1998 dans une pissotière de Beverley Hills par un jeune flic en civil auquel il s'était exhibé et avoir dans la foulée ému toute l'Angleterre, George a dû venir s'expliquer en prime-time sur la BBC. Juste après l'incident, The Sun en faisait sa une en titrant: "ZIP ME UP BEFORE YOU GO GO". Le flic a quant à lui tenté de saisir la justice pour stress post-traumatique - en vain.
[9] Roger Peyrefitte, Des Français (Paris: Flammarion, 1970).
[10] Anecdote citée dans: Frédéric Martel, Le Rose et le Noir. Les Homosexuels en France depuis 1968 (Paris: Éditions du Seuil, 2008), 125-8.
[11] Merci à Ralf Marsault pour ce détail inédit.
[12] "L'amour avec les Arabes, c'est la rencontre de deux misères sexuelles. Deux misères qui se branchent l'une sur l'autre... C'est aussi ma misère sexuelle. Parce que j'ai besoin de trouver un mec tout de suite. On est obligé parce qu'on est dans une situation pourrie." Philippe Guy, 'Les Arabes et nous' in Recherches, 'Trois Milliards de Pervers', 1973. Cité dans Martel, 127.
[13] Voir le détournement du Manifeste des 343 pour la légalisation de l'avortement: "Nous sommes plus de 343 salopes. Nous nous sommes fait enculer par des arabes. Nous en sommes fiers et nous recommencerons. Signez et faites signer autour de vous." Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire, Rapport contre la Normalité (Paris: Champ Libre, 1971), 104. Ou encore cette scène de baise furtive et violente entre un adolescent et un Arabe croisé dans la rue: "Tant pis, le type en question, il avait une sale gueule d’arabe, son parfum, c’était pas précisément la rose, mais il en avait sa claque des solitudes de moine... D’abord, il l’a suivi jusqu’à un vieux ciné... Les spectateurs, dans le noir, ils se tapaient du western, l’autre, dans les chiottes, il essayait de se taper le gamin. Mais ça puait... S’étaient foutus à poil tous les deux. L’autre, il agitait sa queue avec un méchant sourire. Ça l’amour avec un homme, ben merde. Et il insistait, l’arabe, il essayait de le foutre sur le ventre, il lui bavait dessus des bons crachats bien huileux. S’est fichu en rogne d’un seul coup. Trop récalcitrant à son goût, finie la rigolade, une bonne paire de tartes et terminée la comédie." ('15 berges', ibid., 102-3).
[14] Cervulle débusque la dimension homonormative du discours du FHAR sur les immigrés d'origine maghrébine et déstabilise une position blanche/mâle/de classe moyenne universalisée et perpétuant, par l'objectification érotique et la prétention de rendre compte de l'expérience subjective d'hommes réduits au silence, les stéréotypes d'hypersexualité (nécessairement active) et de violence: "Thus 'gay pride' for these FHAR members meant a false transgression of white middle-class norms that, far from questioning the commodification of Arab bodies, transforms it into a 'necessary' sign of value for so-called revolutionary politics." Maxime Cervulle, 'French Homonormativity and the Commodification of the Arab Body', in Kevin P. Murphy, Jason Ruiz & David Serlin (eds.), Queer Futures. Radical History Review, nº100 (Durham: Duke University Press, 2008), 176.
[15] Warner, op. cit., 1. "Sooner or later, happily or unhappily, almost everyone fails to control his or her sex life. Perhaps as compensation, almost everyone sooner or later succumbs to the temptation to control someone else's sex life. Most people cannot rid themselves of the sense that controlling the sex of others, far from being unethical, is where morality begins."
Dean part des idées développées par Warner pour aborder la dissolution des limites et le conflit entre identité et désir dans une perspective psychanalytique: 'My libidinous thoughts may be controlled by regulating how others are permitted to exercise their bodily freedoms. The integrity of my consciousness demands that others' liberty be curtailed.' Dean, op. cit., 27.
[16] Un processus de normalisation manifestement déjà enclenché du temps de la rue Sainte-Anne: "La folle traditionnelle, sympathique ou méchante, l'amateur de voyous, le spécialiste des pissotières, tout cela, types hauts en couleur hérités du dix-neuvième siècle, s'efface devant la modernité rassurante du (jeune) homosexuel (de 25 à 40 ans) à moustache et attaché-case, sans complexes ni affectation, froid et poli, cadre publicitaire ou vendeur de grand magasin, ennemi des outrances, respectueux des pouvoirs, amateur de libéralisme éclairé et de culture. Finis le sordide et le grandiose, le drôle et le méchant, le sadomasochisme lui-même n'est plus qu'une mode vestimentaire pour folle correcte... Un stéréotype d'Etat... remplace progressivement la diversité baroque des styles homosexuels traditionnels... Le mouvement est lancé d'une homosexualité enfin blanche, dans tous les sens du terme... Et chacun baisera dans sa classe sociale, les cadres moyens dynamiques respireront avec délices l'odeur d'after-shave de leur partenaire... Le nouveau pédé officiel n'ira pas chercher d'inutiles et dangereuses aventures dans les courts-circuits entre les classes sociales." Guy Hocquenghem, Libération, 29.03.1976. Cité dans Martel, 285-6.
Sur les liens intrinsèques entre espace urbain, identitité gay et visibilité: Michael D. Sibalis, 'Paris', in David Higgs (ed.), Queer Sites. Gay urban Histories since 1600 (London, New York: Routledge, 1999), 10-37. Pose la question de l'homogénéisation des identités dans un espace ultra-commercialisé et les exclusions - relatives à l'origine sociale, l'apparence physique, l'âge, etc. - que celle-ci entraîne.
[17] Jeunisme et racisme ont très tôt fait des émules sur la nouvelle scène, comme au King Night Sauna de David Girard dont l'entrée était interdite aux plus de 40 ans et aux 'étrangers'. Martel, op. cit., 266.
Sur la complexité de la situation des beurs gays de banlieue dans le milieu pédé parisien: Franck Chaumont, Homo-Ghetto. Gays et Lesbiennes dans les Cités: les Clandestins de la République (Paris: Le Cherche Midi, 2009).
[18] Un essai brillant sur les vides structurant (de moins en moins) Berlin et leurs usages informels: Kenny Cupers & Markus Miessen, Spaces of Uncertainty (Wuppertal: Verlag Müller + Busmann, 2002).