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03 December 2008

Composition Simultanéiste #1

Kirche am Südstern

Ils n’avaient pas perdu de temps. Dès la fermeture de Tempelhof suivant la réorganisation de la desserte aérienne de Berlin, les petites veilleuses couronnant les églises de Kreuzberg se sont immédiatement éteintes. En une nuit le ciel s’est vidé des constellations rouges encerclant l’immense faisceau de lumière blanche qui balayait l’horizon depuis la tour de contrôle, l’une des premières choses que l’on apercevait des airs à l’approche de la ville. Dramaturgie issue des excès de l’histoire qui n’a pas résisté au processus de rationalisation visant à intégrer la capitale au concert des grandes métropoles mondiales. Tempelhof était une aberration d’un autre temps comme le Palais de la République - dont la destruction est depuis hier complète - et en contemplant les flèches maintenant à peine visibles dans la nuit bruineuse je me demandais combien de deuils j’allais encore devoir endurer dans une ville que l’on cherchait systématiquement à pétrifier dans le dogme mortifère et incontesté de sa Kritische Rekonstruktion... C’était l’été. Je me rendais toujours à T. par la même route, Bergmannstrasse puis Südstern pour déboucher sur Urbannstrasse, comme un rituel qu’il me plaisait de répéter dans l’anticipation de mon arrivée. Illuminé de façon aussi féérique le ciel était agité de cette même tension électrique et participait à la montée du désir qui devait mener à mon dénudement complet parmi les hommes. C’était le premier été du corps, un été brûlant, celui de sa reconnaissance et de son dévoilement. Les églises rutilaient comme des objets fantastiques sur les places et aux carrefours, les lumières rouges enchâssées dans les arches de brique comme autant de petites bougies vacillantes leur donnant l’aspect de tabernacles géants. Elles en étaient comme transfigurées et tard dans la nuit, quand les illuminations avaient cessé et que l’alcool me rendait fou d’excitation, il ne restait plus qu’elles et le grand faisceau blanc qui continuait de tournoyer silencieusement selon un rythme imperturbable.

Il restait un peu de temps avant notre rendez-vous et j’avais décidé de me rendre à Neukölln à pied en passant par ces mêmes rues. Il était encore tôt dans la soirée et malgré cela la Bergmannstrasse était quasi déserte. L’air était saturé d’une humidité dense qui rendait le pavé glissant. Je m’étais habillé comme il l'aimait. Il m’avait même complimenté le premier soir sur mes airs de petit prole et je pensais renouveler le miracle en ne changeant que la couleur de mon Fred Perry pour introduire un élément de variété. L’étoffe de mon bas de survêtement était très légère et ne portant rien dessous je me sentais suinter le cul de partout. Il aurait suffit de le baisser d’un coup sec pour faire de moi n’importe quoi, dans une arrière-cour, dans les fourrés de Hasenheide qui défilait interminablement devant moi, rendu totalement opaque par la nuit. Le petit corps de poids plume s’acheminait mécaniquement vers une échéance inéluctable dont il savait qu'il devait ressortir transformé. C’était une nuit d’intense désorientation, comme à Londres des années plus tôt, lorsque le week-end je longeais les tunnels de chemins de fer vers des hommes hypothétiques et inlocalisables pour qu’ils disposent de ce corps si fragile, si bien formé, dont la seule place espérée était entre leurs mains. Des nuits aux abois où dans le noir les rues semblent se succéder dans une invariabilité irréelle. Descendant Karl-Marx-Strasse jusqu’à la grande mairie illuminée de mille feux je me sentais m’anesthésier et, évacué de tout sentiment, y compris de la peur qui semblait aussi dérisoire que tout le reste, me sentais flotter, transporté et décérébré, vers l’immeuble délabré et crasseux qui ne semblait qu’en partie habité. Dans le couloir d’entrée les murs à moulures luisaient d’une couleur d’huile dans la lumière crue d’une loupiote.

En ouvrant il est conforme à ce qu’il a annoncé: son jean serré et retroussé sur ses rangers couvertes de la boue de sa journée sur le chantier. La boue n’a aucun goût particulier, à peine une consistance dans la bouche, totalement fade et si friable qu’elle fond immédiatement sur la langue. Les choses commencent très vite dans l’appartement désordonné et faiblement éclairé. Rien n’est discuté au préalable et il me fait devenir ce pour quoi je suis venu, ce qui me plaît de lui présenter: un petit prole à prendre, son corps à défaire, à fouler, à marquer. Il me présente ses bottes à bouts coqués sous tous les angles, m’écrase le visage de ses semelles dentelées, me les donne à lécher tout en s'échauffant la queue sur moi, très épaisse bien qu'il ne bande encore qu’à moitié. Lui aussi porte un cockring de cuir, bien plus classe que le mien, je trouve qu’il lui enserre les couilles avec plus de distinction. En fait il est convaincant à tous égards, une aisance dans le mouvement et l’allure qui me laissent penser que cela lui est venu naturellement, que rien en lui n’a jamais fait l’objet d’un quelconque apprentissage. Il me semble tout contrôler magistralement alors que mon corps peut à tout moment connaître la déroute, ne plus répondre, me trahir par ses défaillances trop visibles. Pourtant il est de presque dix ans mon cadet. Je me demande quelle vie il a dû avoir pour connaître ça, cette facilité avec tout. Mon corps est gardé dans une distance permanente et tout contact ne se fera plus que par les pieds. C’est comme s’il ne voulait rien en savoir, seul le type de chaussures que je porte ayant fait l’objet d’une demande expresse. Il dispose d’une collection impressionnante de sneakers, exposés tels des trophées sur des étagères dominant toute la pièce. L’ordre de présentation des paires est déterminé par leur marque et leur modèle, la partie centrale étant entièrement occupée par les plus désirables de la hiérarchie: des Nike TNs de couleurs et textures différentes, impeccablement alignées.

Une fois les rangers récurées je suis invité à en choisir une paire pour la suite de la séance. Je manifeste mon appréciation d’une telle colllection, musarde, prends le temps d’en renifler ostensiblement quelques unes avant de me prononcer sur celles à honorer. Ce sont généralement des blanches car la crasse y est plus visible. Il les lace devant moi, le fait avec une précision nonchalante, les laisse toutefois un peu lâches de façon à ce que je puisse les lui ôter à mon gré et en humer l’intérieur. L’odeur y est forte et ses chaussettes ont manifestement été portées depuis un certain temps. L’idée me vient qu’il a fait ça uniquement pour moi, ces quelques jours, en vue de moi et de ce soir. Il me surplombe de toute sa hauteur. Il est immense. Il s’est déculotté et continue de se branler hors de ma vue. Le cul est ferme et rebondi. C’est alors que le piétinement commence véritablement, comme la dernière fois d'abord avec retenue, puis de façon de plus en plus insistante. Je me demande comment mon corps pourra résister à une telle douleur, le poids entier d’un homme de cette carrure. Mon dos s’avère suffisamment robuste pour encaisser le choc, la pression croissante, la peur de voir le corps se désintégrer dans un affaissement organique généralisé. Je suis tout entier tendu dans ce seul effort, faire en sorte que le dos ne cède pas. Il saute à pieds joints comme il le ferait sur le capot d’une vieille bagnole à la casse. Mes cris l’encouragent à poursuivre avec une détermination accrue. Je m’aime dans ces hurlements. Ce sont les cri d’un mec qui prend son pied, qui est sorti de l’informe d’un désir indifférencié, un homme pleinement devenu tel et qui réclame le plaisir qui lui est dû. La voix est stupéfiante de puissance, inconnue dans son timbre rauque, et résonne aussi fort qu’elle le peut dans tout l’espace de la chambre. Les coups continuent de pleuvoir, orchestrés dans un crescendo parfaitement maîtrisé, sur toute la largeur du dos d’abord, puis les épaules et le cou à la naissance des vertèbres. La pression du pied sur l’arrière de la tête est insoutenable, l’occiput pourrait être défoncé. Je sais pourtant confusément qu’il connait ses limites et qu'il n'y a rien à craindre. Je relève les bras et me protège le crâne dans une position de recroquevillement infantile. Je ne sais pas encore à quoi je commence à ressembler devant lui, les constellations de coups, les sillons dessinés par les semelles, les traînées indéfinies, les oreilles déjà ecchymosées. C’est mon corps de petit boxeur, de prole, adorable, qu’il voit comme ça. Il sera laissé ainsi, dans l’éclatement catastrophique de son espace interne, démembré, reconfiguré, on ne le touchera plus de toute la nuit.

Boddinstrasse, Neukölln

SKS - Sanierungsgebiet Kreuzberg-Süd

Le long du Landwehrkanal la lumière était terne et immobile. Les rémanences de la veille m’avaient fait sortir, un vague projet photographique devant aider à donner un peu de consistance à une journée que je pressentais difficile. Le corps était le même dans ce soir identique au précécent, celui qui avait servi au plaisir d’un homme que j’avais autorisé à faire 'ça'. Il n’avait pas réintégré son espace propre et c’était comme si dans sa perte de densité, criblé de partout, il se laissait engouffrer avec plus de facilité, la lumière, les compositions gigantesques sur les murs aveugles, le sentiment aigu d’être dans cette ville et d’y être indissolublement lié, comme un surcroît d’être qui déborderait incontrôlablement et ne pourrait se stabiliser en une forme fixe. La nuit était anormalement lente à venir. Je tournais dans les rues dans son attente, non loin de l’appartement. Était-il déjà rentré du chantier, terrassé de fatigue sur son lit, encore plein de notre histoire ou bien déjà très loin? Sur Böckhstrasse les cafés étaient pleins et j’attendais confusément sur le trottoir qu’une table se libère. L’air hagard je regardais des groupes d’amis attablés, des rendez-vous agréables de fin d’après-midi, une normalité insouciante, les chairs retournées, le coeur à la limite de l’effondrement. Ne parvenant à trouver un espace où me réchauffer je m’arrêtai au bord de l’eau, incapable de poursuivre ma route, dans un état de perdition, d’ouverture maximale mais aussi de calme intense. Le long du canal la nuit me couvrait dans les sous-bois. La masse gigantesque du complexe d’habitation aux empilements géométriques brillait de centaines de lumières colorées à travers les arbres décharnés. Il n’y avait plus à avoir peur dans les fourrés, à leur passage, cela semblait dérisoire, la légèreté induite par l’épuisement empêchait que de tels sentiments ne se déclarent. Je m'exposais longuement dans les allées désertes, sur les terre-pleins, les passages entre les blocs d’immeubles. La caméra était par moments très instable et l'on finissait par ne plus rien discerner du monde concret: juste des vortex de lumières au néon, écorchures multicolores et dynamiques de la surface visible où tout était absorbé dans l’indifférenciation, mon corps vacillant, ceux des jeunes hommes que j'imaginais entrevoir au loin, s’approchant, très beaux. Forcément très beaux.

15 January 2008

Luftpalast: Absence, Desire and Berlin's Wastelands

A journey through the physical voids and disruptions of Berlin, a city marked as much by absence as it is by architectural materiality, as it is confidently re-emerging on the world stage. After the resumption of its status as unified Germany’s federal capital spectacular reconstruction plans have radically altered the character of the amorphous city in order to create a stable, strongly defined sense of self, just as former political regimes had sought to leave their ideological mark on what was perceived as a shapeless, uncontrollably deviant wilderness. This new phase in the city’s history posits a strong architectural intervention as the precondition for the reshaping and normalisation of social processes in the context of global, transcendent consumerism. This horror vacui and fixity of meanings in the opacity of built forms lead to the obliteration of transparent, multilvalent spaces where the emergence of potentially subversive desires, a heightened awareness of one’s historical dimension and fundamentally composite, ’diffracted’ identity gives way to the unnerving sense of a ’flattened’, permanent present encapsulated in a generic, hypercontrolled urban realm. This endless quest for oneself through the city conjures up powerful cinematographic images as Berlin’s ever-changing scenery and dramatic transformations have inspired a wide range of directors and provided the setting for some memorable performances. In a simultaneous interaction with writing and photography four films will be discussed here, each of them raising crucial questions about the interplay of memory, desire and residual spaces: how to truly be in the city? How do the contradictory pulls of historical consciousness and general amnesia shape the built environment? What sort of manipulation and obfuscations are embedded in architectural intervention? How can desire and resistance to any fixed identity and superficial, univocal interpretations of the city develop and circulate in its empty expanses?

 

"This is how one pictures the angel of history. His face is turned toward the past. Where we perceive a chain of events, he sees one single catastrophe which keeps piling wreckage and hurls it in front of his feet. The angel would like to stay, awaken the dead, and make whole what has been smashed. But a storm is blowing from Paradise; it has got caught in his wings with such violence that the angel can no longer close them. This storm irresistibly propels him into the future to which his back is turned, while the pile of debris before him grows skyward. This storm is what we call progress."

(Walter Benjamin, Illuminationen) [1]

 

Sehnsucht

Bernauer Strasse - 13 August 1961. At the Deutsches Historisches Museum on Unter den Linden the same footage is constantly replayed. That of Bernauer Strasse on the day when the ’anti-fascist protection rampart’ was suddenly erected by the GDR regime, the first day of total physical separation between the two halves of the politically torn city. Whatever lay at hand was used to build a primitive version of what would over the years become an extremely sophisticated fortified system: bricks, breeze-blocks, concrete beams.

On the Bernauer Strasse architecture itself became the Wall as border troops stormed into tenement blocks and forced the inhabitants to leave without delay. The most harrowing scenes show some of them jumping off to safety from the upper storeys, not having enough time to take even the slightest possession with them, whilst the windows and entrances of the lower floors were being bricked up one by one, the flats being forever entombed with all their content and memories. On its whole length the street presented the same surreal sight of violated architecture and lives, rows of bricked up Mietskasernen (’rental barracks’, the archetypal palatial Berlin tenement block with a succession of courtyards at the back). Later on all of them would in a final act of destruction be razed to ground-floor level and hollowed out, their smashed in windows and doors revealing the eerie, empty expanse of the Death Strip, a wasteland of weeds, barbed wire and a bewildering array of military infrastructures [2]. Across the city the Wall acted as a black hole at whose contact everything - humanity, architecture, civilisation - disintegrated and vanished without trace. In the abolition of meaning it represented architecture and its reverse strangely became one and the same thing [3].

The cumulated effects of wartime bombings and division have deeply affected the physical texture of the city, which has been disrupted by constant waves of destruction-reconstruction. The voids in-between, the insterstitial spaces, the archeology of Berlin’s history laid bare, testify to the unimaginable violence of the processes that shaped it. Unlike other metroplolises endowed with a greater visual coherence, relatively stable historical continuity and a clear sense of self to market, Berlin, in the absence of any homogeneous historical continuum and clear-cut definition, is in contrast a city without a form [4], an amorphous entity endowed with multiple personae [5]. This lack of stability in the city’s physical fabric has a profound effect on the way one experiences its spaces, as though the irretrievable loss of architectural materiality and the excessive openness found an echo in a more slippery, less circumscribed sense of self, a state of accute awareness, expectation and yearning for what holds the promise of endless possibilities. Lying in a wasteland where only one building might still be standing, the exposed side walls scarred with the burnt out traces of what was once other houses full of people, an architecture turned inside out and broken through, the unexpected perpectives opened up by what has been disemboweled as in a gigantic Matta-Clark anarchitecture, or sitting in the peace of a cool stairwell after entering an old tenement block whose door had been left open, just to listen to noises and faint voices coming from within - and wonder what actually happened there. For a brief moment identity wavers and diffracts itself into an infinity of alternative, imagined lives: ghosts from the past, film characters, the sheer multiplicity of one’s possible selves in the exhilaration of the open city. There is a beautiful German word for this state of longing, whose force is difficult to convey in other languages: Sehnsucht. Sehnsuchtsvoll, sehnsüchtig, full of yearning for something that is not there and may yet be revealed.

 

Harzer Strasse, Treptow

Car park, Karl-Liebknecht-Strasse

Former Death Strip, Moritzplatz, Kreuzberg

The ubiquity of absence in Berlin’s fabric and the impossible return to a lost unity are one of the many strands at the core of Wim Wenders’s Wings of Desire [6]. One scene in the deserted wasteland of the Potsdamer Platz, once the bustling centre of Berlin’s social life and as a result of the Wall’s destructive power an overgrown, almost totally obliterated wilderness save for a few isolated buildings (a surviving part of the Hotel Esplanade with its rococo ballroom) and the disused viaduct of an experimental magnetic levitation train system. Shadowed by angel Cassiel (Otto Sander), the old poet Homer (Curt Bois) returns to the place of his youth but is unable to locate precisely where the Potsdamer Platz once stood. There are no bearings left, no vestige to cling onto to access memory and revisit the past. Everything is constantly shifting in a kaleidoscopic sense of disorientation and unstable, ever-changing meaning. What may in other cities be taken for granted (continuity, architecture, materiality, coherence, presence) here dissolves in indeterminacy, uncertainty and near non-existence. What once stood is gone and yearning for an aesthetic, narrative unity is constantly thrown into disarray and doomed to failure in the disruptions and disturbances of a city splintered into numerous histories. Being in Berlin means acknowledging the sheer power of absence and impermanence, being open to the multiple virtualities of its terrains vagues and forgotten recesses. This being a depressing prospect in a world where space is a prime commodity it goes some way towards explaining why architecture is felt to be a consolation in the face of loss and why so much of it (or more to the point, why too much of the same stuff) has been produced since the post-Wall heady days in order to finally give Berlin an acceptable face.

One case in point is the Topography of Terror, a memorial site situated a stone’s throw away from the Potsdamer Platz [7]. Standing on the excavated remains of the nerve centre of Nazi terror (the Reichssicherheitshauptamt, including the Gestapo headquarters) and displaying a (now permanent) exhibition on the crimes that were planned in its palaces or actually took place in its underground cells, the site is remarkable by its almost total absence of architecture. The intervention is indeed minimal, even a bit makeshift, and focuses on the bare facts so that visitors are free to engage with the environment and exhibits in their own personal way. The land itself is left in the state it has been in since the sixties, unstructured, unadorned and unburdened by the predetermined meaning an overwhelming architectural presence would have stamped on it. However various design competitions have been launched since the eighties to give a more coherent shape to the Topography, which might have looked a bit too unprepossessing and scruffy to some for a place of such historical significance. The ill-fated Peter Zumthor project - a documentation centre dominating the ground - illustrates what is at stake in architectural intervention - however sensitive and subtle - as it interferes with and compromises the site’s essential open-endedness.[8] Eventually the Topography of Terror remained in the same informal, unbeautified condition, confrontation with the past being all the more effective and powerful in the absence of any physical mediation between the visitor’s reflections and the vanished theatre of hate, whose philosophical, political, emotional implications are thus fully revealed.

 

Devianz

Bernauer Strasse, 1981 - Polish director Andrzej Zulawski films his unsung masterpiece, Possession, memorable in its haunting depiction of a West Berlin stuck in the status quo of the post-Ostpolitik years. Whereas the Wedding part of the street has been gloriously redeveloped seventies-sci-fi style, the other side in Mitte is sinking into a uniform, rain-soaked mass of greyness with collapsed remains of houses serving as makeshift fortifications. The overall ambiance is that of paranoia, mental collapse and unrelenting despair.

A disconcerting mixture of intellectual grandeur and metaphysical schlock, which has elicited amongst film lovers adoration and repulsion in equal measure, Possession [9] is an altogether classic tale of adultery and communication breakdown. Anna (Isabelle Adjani) shows signs of unrest (to put it mildly) as her husband Mark (Sam Neill) returns home from some spying mission. It quickly transpires that she’s taken a lover during his absence, who turns out to be some bloody, tentacular creature hidden in a dilapidated flat in Kreuzberg. Throughout the film she is seen rushing to and fro between her two abodes in a state of constant hysteria. In the relinquishment of her responsibilities as a mother and docile wife, Anna becomes some unlocalizable vagrant in a city seemingly deserted by all human activity. In a state of continuous nomadism and divorced from social constraints she storms in and out of a modern, sterile family environment endowed with all the trappings of cosy domesticity (the flat faces the Wall with border guards literally peeping into the living room) to an uncertain twilight zone on the urban margins where she does away with the most basic rules of polite civilisation, as serial murder and bloody embraces quickly ensue.

The flat where the monster dwells is an old, heavily ornate palazzo-like Mietskaserne facing the Wall in the Sebastianstrasse, another famous stretch of the Death Strip. Because of the advanced degree of dereliction it had fallen into after the combined effects of wartime bombings and division Kreuzberg was at the time a terminally ravaged district of fallow land and abandoned tenements attracting all those who, whether out of choice or not, had no or little stake in mainstream society. Whilst the more than affordable rents attracted waves of Turkish immigrants, empty buildings were taken over by a politically very active community of squatters intent on creating alternative forms of social organisation in a city which, because of its insular status in the geopolitical configurations of the time, was more open to radical experiments of all kinds. The mythical status of Kreuzberg as a place of exile and rootlessness as well as a laboratory of social dissent and cultural subversion viscerally averse to capitalist encroachment, was further strengthened in the eighties by recurrent street fighting with the police in protest against forceful evictions. The area was at the time earmarked for wholesale redevelopment and increasingly threatened in its informal, uncommodified character by the normalising forces of institutional speculation - the gargantuan Kreuzberger Zentrum at Kottbusser Tor gives a clue as to what would have happened had they succeeded. Anna's flat, in its sheer uninhabitability and makeshift, ’recycled’ quality, is the antithesis to the controlling, rationalised family space she is constricted to in the repression and self-denial it imposes. As a remnant of the past still bearing the traces of its innumerable catastrophes it is the place where the most aberrant desire and the horrors of a silenced history can be revealed and confronted.

Hidden in a residual part of town devoid of any financial value and where 'normality' has partly broken down, the monster can be seen as the emanation of a desire that exceeds and transcends the norms of conventional bourgeois marital life ruled by decency, whilst embodying in its extreme horror the violence of historical/erotic awareness that is sparked off in the disrupted, scarred city. Anna's sexuality is ruled by excess (we learn that he made love to [her] all night) and is nomadic as the ’couple’ moves around Berlin from place to place after the Kreuzberg flat has been gutted by fire. The endless wandering and out-of-control eroticism - matched by Berlin’s numerous sites of informal sexual encounters - subvert and annihilate all ideologically determined structuring of space. This confrontation with the most abject leanings finds a correlation in the lingering presence of a harrowing past that is everywhere to be seen in the urban fabric. Lurking between the two halves of a divided country the monster's lair is the sealed chamber where the tragedies of history are made visible with madness and identity meltdown as inevitable consequences. Alone in the margins of a city she has taken possession of, Anna occupies the spaces left vacant by all normalised forms of behaviour and knowledge, and in the destruction she wreaks enjoys a state of ubiquity and permanent transgression. The ’child’ birth scene in the U-Bahn tunnel (with its squealing and yelling probably the most memorable moment in the film) encapsulates this equivalence between the aberrant, transfigured body and the porous urban immensity whose limits and restrictions have been dissolved.

Fräulein Schmetterling am Palast der Republik

The question of the presence of an alien (female) body in marginal urban spaces and its potential subversion of the social order is articulated even more clearly - albeit in much more serene form - in Fräulein Schmetterling [10], a film produced in 1965-66 by the Deutsche Film-Aktiengesellschaft (DEFA) with a script by Christa and Gerhard Wolf, as the themes of desire, fantasy, architectural transformations and political control are here intrinsically linked. Interestingly the film was deemed suspicious enough by the Central Committee of the SED (East Germany’s Communist Party solely in power) to be banned before even being granted a release. Helene (Melania Jakubisková), the main protagonist, dreams her many possible lives in a sunny, excitingly cosmopolitan Ost Berlin and doesn’t seem to grasp the urgency of socialist edification. She is a bit eccentric, whimsical and unable to hold down any of the jobs the authorities 'allocate' her to, each assignment resulting in painful failure and humiliation. More importantly she lives in a crumbling, soon to be knocked down old Mietskaserne that had survived the bombings around the Alexanderplatz and obstinately refuses to vacate the place despite repeated attempts to dislodge her and separate her from her younger sister. Unlike the new, rationally designed blocks of modern flats lining the monumental avenues of East Berlin - the neighbouring Karl-Marx-Allee being the prototype of such totalising designs - the old quarters, an ill-defined geography of bombsites, wastelands and abandoned houses, concealed in the eyes of the regime something shady, ambiguous, conducive to all sorts of deviances and thus potentially damaging to the stability and homogeneity of the political/moral order [11].

In Fräulein Schmetterling we witness the continuous conflict between the realisation of desire in its uncontrollable circulation in the city’s unchartered zones and an increasingly monodimensional, transparent architectural space, a frozen, static monumentality from which there is no escape. A lone woman roaming the city streets, occasionally looking for men (she has a short fling with a boxer she’d spotted and followed around town), or dreaming her life away in sumptuous settings, as in the lovely scene showing her wearing different evening dresses outside Café Moskau or waltzing in the evening sun up the Marienkirche with the said boxer, is clashing with the officially promoted version of the ideologically committed woman, a creature turned into a monosemic, easily identifiable icon of the socialist project [12]. Other women in the film conform to that ideal, the most daunting of whom being the relentlessly intrusive bureaucrat from the Jugendamt who is determined to bring Helene to heel. Eventually the young woman is rehoused in one of the blocks along the Karl-Marx-Allee where she can start a new life in accordance with official values and aspirations (a good wife, mother and worker rolled into one). Encased in glass and concrete she overlooks the grand boulevard - a thoroughfare more suitable for Soviet-style military parades than erotically driven flânerie - seeing everyone and becoming visible to all in her final neutralisation [13]. Errant sexual desire and dreams of romance are nipped in the bud by means of urbanistic concepts devised to consolidate a coercive, omniscient power. But there is love at the end of the road when Helene meets a pantomime in a circus and seems once again to slip out of the State’s clutches by instilling a bit of magic into people’s dreary lives.

After extensive restoration by the Bundesfilmarchiv Fräulein Schmetterling was shown for the first time in Berlin in 2005. The intensely oniric quality of the film was all the more moving as parts of it had been too damaged during the purgatorial years in the vaults to be salvaged, hence its strangely fragmentary, lunar quality. A film intermittently erased with a discontinued soundtrack and an image constantly teetering on the brink of disappearance - when it wasn’t underexposed or complelety blurred - it itself became void and was left so without further intervention, in a state of fragile equilibrium where the disruptions and losses in the visual continuity echoed the shapeless, loose fabric of postwar Berlin, where subversive bodies and fleeting desires could still feel at home despite the regime’s best attempts at reducing identities and social relations to regimented uniformity and mere manifestations of political subservience.

 

Panopticon

Bernauer Strasse - January 2007. The eerie silence and all-pervasive psychosis of its pre-1989 incarnation have given way to a breezy, bustling street life on the edge of the übertrendy districts of Mitte and Prenzlauer Berg. An expanse of derelict land is still visible on the site of the former Death Strip despite timid, peacemeal attempts at giving a modicum of visual coherence to the area. At its Western end a whole section of the Wall has been reconstructed as part of a memorial to those who lost their lives fleeing from the East.

This concern with visual continuity and homogeneity is central to the immediate post-Wende years when Berlin was turned into the largest building site on earth and was set to become - that’s at least how it looked for a short while - the most exciting laboratory of avant-garde architecture and urban intervention imaginable. Debates raged over the shape to give to a city which had for so long been deprived of one and just like Paris or London had a clear, unmistakable identity and confident sense of self, so Berlin would soon be as visually defined and thus regain the metropolitan prestige befitting a newly ’normal’ Germany. The result of such ambitions is probably the biggest U-turn in the history of town planning and a strategy that will mark the city’s development and structure for years to come. The controversial set of theories and practices known as Critical Reconstruction and according to which Berlin was to be rebuilt was promoted and implemented with steely determination by the then Director of Urban Development Hans Stimmann, whose legacy is still hotly debated to this day [14]. To put it simply the concept of Kritische Rekonstruktion involves a total rehabilitation of spatial models inherited from a fantasmagoric golden age in urban history which broadly speaking covers anything from the baroque era to the age of the Mietskasernen, in other words the grand classical past from Frederick the Great to the First World War via Schinkel. The traditional grid-pattern and restrictions regarding height and elevation were to be the two pillars of a stringent set of guidelines that would serve as template for future reconfigurations [15].

The old centre of Friedrichstadt (with Friedrichstrasse as main thoroughfare) was dramatically remodelled with those very principles in mind: voids and absences, a creative use of which could have allowed for infinite poetic possibilities and subtle responses to the complexities of the site, were systematically obliterated in an attempt at recreating what was perceived as Berlin’s ’true’ urbanity and lost essence. However the result did not quite live up to the ambition with the relentless uniformity of smooth stone façades and the unremitting blandess of cubic volumes regimenting space in the crudest possible way. Needless to say there isn’t anything remotely baroque or classical about those buildings which aim to evoke the area’s prewar warren of passages and in many cases only conceal yet another upmarket shopping precinct. This physical saturation and optimal use of space in a stridently mercantile manner and heavy-handed architectural bombast might give an indication of what kind of future lies ahead and the sheer limitation of social practices such a city would allow - a monodimensional environment geared towards consumerism in a generic setting that reproduces predetermined, ’traditional’ ways of experiencing space. More controversially the latter’s normalisation and the entrapment of Berlin in some illusory ideal identity borders on historical whitewashing as it is obvious that the past is here being rewritten and dubiously simplified for immediate consumption. Just like the disturbing parts and dramatic ruptures in German history are cleverly airbrushed out of the whole picture, so the capital city must reflect an unproblematic harmony in a straightforward visual narrative that blatanlty ignores the whole legacy of the XXth century, whether it be Weimar Modernism, National Socialism, postwar reconstruction or the GDR [16].

Like an unstoppable juggernaut Critical Reconstruction strikes wherever it can, whether small residual spaces to fill in or more sizeable swathes of empty land such as the Humboldthafen in the vicinity of Berlin’s new Hauptbahnhof [17]. The station being a resounding success in terms of commercial potential, private developers are beginning to flock in for the next big thing. The project’s blueprint (a glorification of the square in all its forms by O. M. Ungers’s disciple Karl-Heinz Winkens, who drew on XIXth century plans for the area) once again shows the same dry neo-classical perspectives reminiscent of a lifeless De Chirico composition. We are even told it will have a little something of Venice.... Of course this kind of prefabricated urbanity is highly contrived as all it boils down to is a banal office precinct masquerading as a new heart for the city. But does Berlin need any more prestige developments and luxury residential complexes? In fact Berlin doesn’t do luxury very well, at least not as it’s understood everywhere else. Its true luxury lies in its unprepossessing spaces, its fluctuating topography where the imagination can breathe, where unexpected encounters with strangeness and interactions with the past might occur in a continuous search for its soul, its ragged, multifarious, luminous self... At night all the lights are turned on around the Potsdamer Platz and on closer inspection it turns out that most corporate headquarters are vacant, in what looks like a slightly surreal cartoon image of what big business ought to be, a unwitting parody of a global capitalist city - just like Critical Reconstruction is a crude, dangerously nostalgic quest for a lost, ideal order that was never fixed - if it ever existed in the first place.

Leipziger Platz / Potsdamer Tor

Kaisersaal, Hotel Esplanade, Potsdamer Platz

A few months ago the Federal Constitutional Court (Bundesverfassungsgericht) convened over a plea from Berlin’s mayor Klaus Wovereit for emergency funding towards his financially beleaguered city. After backing up their (eventual) rebuttal that the Bund should come to the rescue, the judges added that things weren’t so bad after all as Berlin was ‘poor but sexy’. Beyond the humorous remark it is however easy to see a whole set of implicit associations when it comes to defining the city. It is ‘poor’ as in: incomplete, inchoate, informal, makeshift, do-it-yourself, open to personal intervention. And ‘sexy’ as in: accessible, relaxed, young, experimental, unconventional, inclusive, erotically charged... In any case they are the sort of feelings elicited by a film like Stadt als Beute [18], which tracks the lives of three young aspiring actors on the streets of a treacherous, seductive Berlin, while an eponymous play, whose premiere is due to take place at the Volksbühne, acts as a focal point to those disjointed trajectories. Stadt als Beute deals with the different, personal ways we negotiate urban space and the countless risks, illusions and deceptions underlying human relations in the big city, which in turn becomes a prey through its subjection to external and largely uncontrollable economic factors whose impact is most visible in the spectacular architecture of the rebuilt capital. The effect of such a sudden transformation on a relatively fluctuant urban fabric and its materialisation into a corporate, impenetrable monumentality raises broader questions about the nature of the public realm in the face of brutal redevelopment and rampant social segregation. This is of particular relevance in a place like Berlin where an endemically stagnant economy may still blunt the excesses of the unbridled speculation befalling other major European cities and resulting in gradual ’civic dispossession’. The city seems to be fostering its own human ecosystem (itself quite unique in Germany) whereby a fairly wide range of communities of diverse geographical/social origin and status can still coexist in a relatively inclusive space.

Somewhere in the film something truly magical happens, a sudden alchemy between the city’s streets and the main character, a Iggy Pop look-alike in tight-fitting vest called Ohboy (David Scheller). It is in this scene that the City as Prey is finally revealed in a violent collision with architecture. At the end of a chaotic few minutes on the Potsdamer Strasse full of random encounters - the many frictions and seductions that make up everyday urban life - Ohboy finds himself at the corporate epicentre of the new Berlin, a city reinvested by power, full of noise and reclaimed grandeur, oscillating between Fifth Avenue glamour and Ceausescu-esque glitz [19]. In the middle of the Sony Centre, an oversized, tightly secured panopticon designed for mass entertainment, the final manifestation of an abstract, omnipresent albeit unlocalizable order, a CCTV-monitored simulacrum of public space floating in an elusive centre and yet strangely disconnected from the rest of the city whose heart it purports to be [20]. Such fraudulent pretensions finally dawn on Ohboy, who loses it and kicks up a rumpus in the fountain, splashing around in the middle of the precinct before being chased off by a (private security firm) vigilante. This is Potsdamer Platz in its contemporary guise, the one desperately sought by the old poet in Wings of Desire. Now the remnants of the Hotel Esplanade where Nick Cave performed at the end of the film are encased in glass and incorporated into a totalising environment fundamentally alien to the infinitely differentiated texture of Berlin, a capsule where the past is ripped apart and spat out as entertainment in the general obliteration of historical consciousness, the sterility of the now and instant gratification remaining the only possible experiences in the amnesia wrought by the lure of architecture. As brilliantly formulated in Spaces of Uncertainty [21], "Berlin shows how the identity of a city is not in its architecture, but next to it."

 

""In this sense (...) it is also outside the consumerist onslaught, bombardment and encroachment of meaning, signification, and messages. The void claims a kind of erasure from all the oppression, in which architecture plays an important part."

(Rem Koolhaas, Rem Koolhaas: Conversations with Students) [22]

 

Berliner Schloss reconstruction project, U-Hausvogteiplatz

Every day on Schlossplatz a tiny piece of the past is mechanically removed and discarded. The ruin of the Palast der Republik has become the city’s most poignant sight, its rusty skeleton undergoing a slow, discreet agony - instead of being blown up like a vulgar council tower block before cheering crowds [23]. The Palast, Hans Stimmann’s bête noire, is irreversibly dematerializing, its bulk full of air and unfulfilled promises, its grand staircase hanging in the air and tarnished copper-tinted glass reflecting fragments of sky. In the heart of Berlin a particularly selective enterprise of critical memory reconstruction is in full swing. The Palast’s demise, voted by the Bundestag in July 2002, was motivated by a number of reasons: it was an eyesore (Berlin’s very own carbuncle) and a health hazard (an asbestos-ridden nightmare), whilst there was a pressing need to make a strong architectural statement more in tune with the vision modern Germany had of itself, a new symbol for a newly found normality. What should take its place had been hotly debated since reunification but the proposed rebuilding of the Berliner Schloss (renamed Humboldt Forum to give it a veneer of openness) came to embody this quest for the ideal symbol and found great support from a variety of quarters who weren’t remotely perplexed by the strange concept: a replica of the Hohenzollern imperial palace with its ornate stone façade, an orgy of cupolas, pilasters and grand courtyards, whose original had survived the war before being blown up by the GDR regime to make way for military parades and other displays of mass adulation [24]. Although it may seem baffling that a modern, innovative and in so many ways progressive country should consider rebuilding a baroque pile as the symbolic centre of its capital city, it is symptomatic of the current cultural climate and the direct result of protracted disputes engulfing politicians, historians and architects alike over a contested, highly sensitive past (a tortuous process encapsulated in the concept of Vergangenheitsbewältigung, or ’struggle to come to terms with the past’). With the Schloss’s return, its supporters claim that harmony, beauty and a strong sense of identity will revisit Berlin, a bit oblivious of the fact that ’beauty’ and visual continuity have long ceased to apply in a city whose very nature lies in extreme contrasts, strange juxtapositions and violent disjunctions in ever-changing, sometimes conflictual identities.

The impact the Palast had on public imagination when it opened in 1976 must have been phenomenal, something akin to the thrill and wonderment visitors had experienced when first entering London’s Royal Festival Hall, the masterpiece of 1951’s Festival of Britain: a spacious, modern, multipurpose building opened to all, a true People’s Palace offering a wide range of cultural activities and where informal socialising could take place in its public areas, foyers and cafés - at least as much as was permitted by norms dictating public behaviour. Everything, from the swirly carpets to the plastic furniture and space-age artwork exuded a cool modernity, a glamorous otherworldliness made all the more alluring by the thousands of little lights that literally caused the place to glow in the otherwise gloomy East Berlin night. Friends met there at weekends and the little children of the Democratic Republic rang home full of pride and excitement at the idea of being AT the Palast der Republik. That the complex had also housed the GDR Parliament (the Volkskammer) certainly did not endear it to a unified Germany’s ruling elite hellbent on eradicating this conspicuous blemish on Berlin’s desired historical harmony [25]. Its association with a discredited regime contaminated the whole building which - unllike others dating from the Nazi era which were easily reappropriated and dissociated from their ideological origin - deserved an exemplary treatment in the systematic erasure of whatever vestiges of the GDR still littered the capital. In the destruction of the Palast der Republik it is hard not to see first and foremost a political act through which power relations and selective readings of the past are laid bare, a reluctance to acknowledge the bewildering complexity of history in favour of an unproblematic narrative that precludes more in-depth discussions around the (admittedly difficult and intricate) issues of memory and identity, and hence an informed, progressive debate on the architectural future of Berlin [26].

However the Palast left with a bang. In the couple of years preceding its final closure the building was taken over by various cultural organisations which temporarily used its gutted shell to stage a whole range of exhibitions and performances (Einstürzende Neubauten played there amongst others). The Zwischennutzung (’intermediate use’) programme of events was immensely successful and for a while it looked as though the building, devastated, humiliated and on the brink of impending disappearance, had single-handedly become the coolest and most cutting-edge venue in town, reappropriated by its inhabitants and responsive to the breathing city that lay beyond its porous envelope, intimately integrated into the fabric of a living whole [27]. Fundamentally a void at Berlin’s core (in ideological - the GDR was for many merely a blip in the historical continuum which had to be blotted out - as well as physical terms - there was hardly anything left of the structure), poised between a minimal existence and near absence (the word ZWEIFEL - ’doubt’ - spelt in huge letters on the roof emphasizing its uncertain future and tenuous presence), its dismantled spaces proved the most flexible, resilient setting for interactive events and raised vital questions about openness, transparency, the impact of art in society and its relation to the surrounding city. In fact it is certainly in its ephemeral and inclusive quality the closest one ever got to the mythical but never realized Fun Palace designed by Cedric Price for London’s East End in the 1960s [28]. What will happen behind the opaque, massive stone walls of the Schloss pastiche (the latest plan incorporating a new museum for the city’s non-European art collections with ’entertainment’ facilities attached), in its all too imposing materiality, symbolic overdetermination and overweening claim to a fixed, all-encompassing ’identity’, will certainly turn its back on the ciy whilst pretending the opposite and condition formatted, predetermined social practices (a visit to the museum with maybe a look into the shops at the end of it in a cosy, hypercontrolled, hyperprivatised and hypersponsored environment).

In the sanitization of history and its recycling into a smooth, unproblematic narrative - regardless of the emotional significance of the place and its enduring power in personal memories - the Palast, reduced to its most humble, transparent self, could have mutated into new, open-ended architectural forms and initiated experimental interactions with a city whose heart is doomed to be entombed in a bombastic XVIIIIth century wedding cake and antiquated urbanistic concepts. In a horrifying future development Berlin would probably then stop becoming, to finally be [29]. As we speak the Palast’s ghost is slowly vanishing, maybe already transformed beyond recognition, ready for the big leap. There is however a slight twist to all this. As the required funds are currently unavailable for the Humboldt Forum (the project largely relies on private generosity as the State simply cannot afford such a folly) Berlin’s true nature has returned with a vengeance. On the site of the Palast, there will until then be... nothing. Just a vast expanse of green nothingness, a slightly better tended version of the innumerable wastelands otherwise gracing the city’s forgotten corners.

 

[1] Walter Benjamin, Illuminationen (Frankfurt am Main: 1961), 273 [Illuminations, English trans. Harry Zorn (London: 1970)].

[2] Brian Ladd, The Ghosts of Berlin. Confronting German History in the urban Landscape (Chicago, London: The University of Chicago Press, 1997), 7-39.

[3] On the Wall as anti-architecture: Neil Leach, ’Berlin 1961-89. The bridal Chamber’, in Neil Leach (ed.), Architecture and Revolution. Contemporary Perspectives on Central and Eastern Europe (London, New York: Routledge, 1999), 209-218.

[4] After Philipp Oswalt, Berlin. Stadt ohne Form. Strategien einer anderen Architektur (Munich: Prestel Verlag, 2000).

[5] On Berlin’s interstitial spaces and a critique of architectural intervention: Kenny Cupers & Markus Miessen, Spaces of Uncertainty (Wuppertal: Verlag Müller + Busmann KG, 2002).

[6] Der Himmel über Berlin (France/West Germany, 1987), director: Wim Wenders; script: Wim Wenders, Peter Handke; cast: Bruno Ganz, Solveig Dommartin, Otto Sander, Curt Bois, Peter Falk.

[7] Official website of the Topographie des Terrors.

Ladd, 1997, 154-167.

Stefanie Endlich, ‘”Grands Projets”: un nouveau Paysage des Lieux de Mémoire’, in Les Temps Modernes n° 625. Berlin Mémoires (Paris: 2003), 97-99.

[8] Ibid., 103-106.

[9] Possession (France/West Germany, 1981), director: Andrzej Zulawski; cast: Isabelle Adjani, Sam Neill, Margit Carstensen, Heinz Bennent. This part of the essay is a reworking of a piece included in the website I devoted to Possession and its Berlin setting on Kosmospalast.

[10] Fräulein Schmetterling (East Germany, DEFA-Studio für Spielfilme, Künstlerische Arbeitsgruppe “Heinrich Greif”, 1965-66), director: Kurt Barthel; script: Christa und Gerhard Wolf, Kurt Barthel; cast: Melania Jakubiskovà, Christa Heiser, Carola Braunbock, Milan Sladek, Lissy Tempelhof.

[11] On the presence of women in the socialist city and the possible emergence of a flâneuse figure in this new context: Astrid Ihle, ‘Wandering the Streets of Socialism: a Discussion of the Street Photography of Arno Fischer and Ursula Arnold’, in David Crowley & Susan Reid (eds.), Socialist Spaces. Sites of Everyday Life in the Eastern Bloc (Oxford, New York: Berg, 2002), 85-104.

[12] On the official representation of womanhood in the GDR: Astrid Ihle, ‘Framing socialist Reconstruction in the GDR: Women under Socialism - a Discussion of the Fragments of a Documentary Project by the Photographer Evelyn Richter’, in Paul Cooke & Jonathan Grix, (eds.), East Germany: Continuity and Change (Amsterdam, Atlanta: Rodopi, 2000).

[13] On the portrayal of women and sex in the context of modern urban transformations and their exposure to the male gaze: Katherine Shonfield, Walls have Feelings. Architecture, Film and the City (London, New York: Routledge, 2000). Of particular interest are the chapters on Polanski’s Repulsion and Godard’s Two or three Things I know about Her.

[14] Andreas Tzortzis, ‘Berlin’s Post-Wall Master Builder retires’, The New York Times, 27 September 2006.

[15] For an exhaustive presentation of Berlin’s new architectural projects, critically reconstructed or not: Philipp Meuser, Vom Plan zum Bauwerk. Bauten in der Berliner Innenstadt nach 2000 (Berlin: Braun, 2002).

[16] Ladd, 1997, 108-110, 231-235.

[17] Steffen Pletl, ‘Humboldthafen: neuer Statdtteil geplant’, Berliner Morgenpost, 21 October 2006; Ralf Schönball, ‘Zugkräftige Umgebung’, Der Tagesspiegel, 3 January 2007.

[18] Stadt als Beute (Germany, 2005), directors: Irene von Alberti, Miriam Dehne, Esther Gronenborn; cast: Richard Kropf, Inga Busch, Stipe Erceq, Julia Hummer, David Scheller, René Pollesch.

[19] Ladd, 1997, 115-125.

Cupers & Miessen, 70-71.

[20] On the privatisation of the public realm in the ubiquitous shopping mall: ibid., 12-18.

Lieven De Cauter, The Capsular Civilization. On the City in the Age of Fear (Rotterdam: NAi Publishers, 2004).

[21] Cupers & Miessen, 2002, 99.

[22] Rem Koolhaas, Sanford Kwinter (ed.), Rem Koolhaas: Conversations with Students (Architecture at Rice) (Princeton Architectural Press, 1996), 63.

[23] For a detailed history of the Palast der Republik: Anke Kuhrmann, Der Palast der Republik. Geschichte und Bedeutung des Ost-Berliner Parlaments- und Kulturhauses (Petersberg: Michael Imhof Verlag, 2006).

[24] On the debates surrounding the rebuilding of the Berliner Schloss: Anna-Inés Hennet, Die Berliner Schlossplatzdebatte im Spiegel der Presse (Berlin: Verlagshaus Braun, 2005).

Mathis Winkler, ‘The Struggle to shape the Heart of Berlin’, Deutsche Welle, 21 August 2006.

For details on the Humboldt Forum project and the significance of the Schlossplatz site from an institutional perspective, see Berlin’s Senate Department of Urban Development website.

[25] On the treatment of the GDR after unification: Paul Cooke, Representing East Germany since Unification. From Colonization to Nostalgia (Oxford, New York: Berg, 2005), 27-59.

Régine Robin, Berlin Chantiers. Essai sur les Passés fragiles (Paris: Stock, 2001), 168-245.

[26] On the Berliner Schloss in the context of Critical Reconstruction and the related conception of history: Ladd, 1997, 47-70.

On the vicissitudes of national identity and the construction of history in postwar Germany: Mary Fulbrook, German National Identity after the Holocaust (Cambridge, Maldon: Polity Press, 1999).

[27] On the various artistic interventions in the Palast during its Zwischennutzung phase: Amelie Deuflhard, Sophie Krempl-Klieeisen, Philipp Oswalt, Matthias Lilienthal & Harald Müller (eds.), Volkspalast. Zwischen Aktivismus und Kunst (Berlin: Theater der Zeit / Recherchen 30, 2006).

A more general essay on alternative, temporary uses of existing places: Florian Haydn & Robert Temel (eds.), Temporary Urban Spaces: Concepts for the Use of City Spaces (Basel, Boston, Berlin: Birkhäuser, 2006).

[28] On possible future mutations of the Palast and a parallel with Cedric Price’s Fun Palace: Philipp Misselwitz, Hans Ulrich Obrist & Philipp Oswalt (eds.), Fun Palace 200X. Der Berliner Schlossplatz. Abriss, Neubau oder grüne Wiese? (Berlin: Martin Schmitz Verlag, 2005).

[29] After Karl Sheffler’s famous phrase: “the tragedy of a fate that... condemns Berlin forever to become and never to be.” Karl Scheffler, Berlin - ein Stadtschicksal (reprint, Berlin: Fannei und Walz, 1989), 219.

16 August 2007

Ces Corps vils

English version

"On signalait une dépression au-dessus de l'Atlantique; elle se déplaçait d'ouest en est en direction d'un anticyclone
situé au-dessus de la Russie, et ne manifestait encore aucune tendance à l'éviter par le nord."

(Robert Musil, L'Homme sans Qualités)

 

1. Köztársaság tér

Köztársaság tér, Budapest

Dans le hall sombre des voix radiophoniques viennent des appartements. C'est un flux continu de nouvelles énoncées dans un timbre nasillard et légèrement surrané, des voix que l'on dirait d'état d'urgence et qui débiteraient en boucle les mêmes instructions à suivre en cas d'attaque imminente. Je m'arrête souvent pour les écouter. Provenant d'un endroit mystérieux de la ville elles résonent dans la cage d'escalier où l'on ne croise âme qui vive, émission ininterrompue de voix monotones dans un fouillis astral d'interférences et de signaux qui finissent par occuper toute la bande sonore comme dans Le Vent d'Est de Godard, ce film de guérilla d'après le cataclysme. Le soir cependant c'est une atmosphère un peu différente qui gagne l'immeuble. La télévision déverse dans les étages les jingles tonitruants de quiz shows et autres attrape-couillons qui sévissent dans n'importe quel autre pays du monde. Derrière les portes closes c’est à n’en pas douter le même mélange d’abrutissement et de renoncement dans un affalement généralisé. L'ascenseur est un ancien modèle à battants en bois qu'il faut en hâte refermer derrière soi pour pouvoir décoller. En se mettant en marche il émet un vrombissement de vieille machinerie qui est identique à celui qu'on entend en arrière-fond dans certaines scènes de Repulsion. Dans le bloc victorien de Kensington les départs d'ascenseur signalent les affaissements psychiques d'une Deneuve piégée dans sa chambre à cauchemards et attendant l'irruption du prochain homme. Cet immeuble, la percée la plus spectaculaire du Bauhaus à Budapest, semble se prêter avec ses couloirs et paliers déserts à de tels confinements.

 

2. Király Gyógyfürdő

Le Király est l'un des quelques bains publics datant de l'occupation ottomane du XVIème siècle. Bien qu'étant largement intact dans sa structure originelle il se distingue aussi par les transformations menés à l'époque communiste, des mosaïques monochromes et fonctionnelles à la tuyauterie branlante qui lui donnent l'air de flotter dans une dimension spatio-temporelle autre, impression renforcée par la lumière quasi exraterrestre qui tombe des coupoles. Il y a quelque temps l'établissement fut l'épicentre d'une déflagration médiatique qui secoua la nation. Un journaliste avait réussi à introduire une caméra dans l'enceinte et en était reparti avec un butin explosif, car comme d'habitude au Király les jours mâles, on s'en donnait a cœur joie dans les bassins. Le reportage fut diffusé au journal du soir et souleva dans l’opinion une vague d'indignation sans précédent. Comment se faisait-il qu'un établissement de détente public financé par le contribuable profite à une minorité de pervers? Le tollé fut tel que les bains prirent d'eux-mêmes les mesures nécessaires afin de devancer les autorités et éviter leur fermeture pour outrage aux bonnes mœurs. C'est ainsi que fut introduite une espèce de tablier destiné à couvrir le sexe des clients mais laissant l'arrière curieusement ouvert à tous les dangers. En plus d'être ridicule et très désagréable à porter une fois mouillé, il présente de par sa couleur chair la particularité de 'gommer' les parties incriminées et de se fondre avec le reste du corps, ce qui donne à tous l'apparence d'androïdes emasculés comme ces mannequins à poil en attente de vêtements dans les vitrines des grand magasins. C'est aussi un peu l'équivalent du floutage à la télé où on laisse croire que la réalité technologiquement occultée n'existe plus. Donc ces hommes devaient être repris en main par la collectivité de par l'usage déviant qu'ils faisaient de leurs bites. Que cela arrivât par le biais d'un spectacle télévisé aussi manipulateur que putassier - car nul doute ici que l’on misait à fond sur les instincts réactionnaires de la population - ajoute a l'ampleur cataclysmique de l'événement, car loin d'être le fait de quelques fondamentalistes religieux ou autres organisations de protection de la famille c'était bien l'ensemble du corps social qui, dans un acte simultané de voyeurisme, s'unissait unanimement dans la condamnation de ces hommes. Le Király, de petite rotonde incendiée de lumière dorée, était devenu le théâtre amer où s'exerçait le droit de regard le plus exorbitant, le rappel à l’ordre d'hommes adultes infantilisés et diminués dans l’exposition publique de leur vice. À la fermeture des bains - c’est-à-dire très tôt pour un soir d'été - certains clients devaient se diriger vers les gares pour réintégrer les quartiers périphériques où ils passeraient le reste de la soirée. Après ces quelques heures d’un plaisir désormais de plus en plus incertain que l’obsession collective pour tout ce qui de près ou de loin touche à l'homosexualité à réussi à infiltrer et dénaturer, il ne restait qu’un soir arrivé prématurément, le souvenir de ce qui aurait pu même de façon infime transfigurer le jour, une nuit à attendre dans les appartements noirs et silencieux loin du joyau de Budapest, à continuer de vivre dans la négation sans appel de son désir par une société hostile.

Kőbánya-Kispest Metro

Köztársaság tér

 

3. Keleti Pályaudvar

Budapest-Keleti Pályaudvar

Il y a trois ans, au moment de quitter Budapest pour l’Allemagne, j’avais remarqué une photo glissée dans l’un des casiers des consignes automatiques. C’était le polaroïd d’un jeune garçon qui ne devait pas avoir plus de quinze ans. Celui-ci se tenait droit dans une chambre à coucher à peine meublée, le crâne ras et ne portant qu’un short rouge très court et moulant. Son corps avait encore une gracilité infantile alors que la posture séductrice et pleine d'une assurance étrange était celle d’un petit balèze exhibant ses muscles. J’ai laissé l’image à sa place, les raisons de sa présence dans un tel endroit m'étant totalement inconnues. C’était un samedi aux alentours de minuit. La gare était pleine de monde, de voyageurs comme de fêtards rentrant chez eux loin dans les grands ensembles de Kispest ou Köbánya. C’était sans doute là, dans l’un des bâtiments lépreux hérités du communisme, que la chambre devait se trouver, celle où ce garçon avait grandi et se laissait photographier par des inconnus dans la conscience croissante du plaisir à tirer de ce corps. Il paraît que les bains sont devenus inabordables pour les jeunes prostitués qui y batifolaient en compagnie de leurs clients âgés, et autour de la statue de Petöfi  la promenade des bords du Danube n’est plus fréquentée par grand-monde au coucher du soleil, si ce n'est par de jeunes roumains qui ont pris la relève. L’occultation et la périphérisation du désir dans des chambres closes et invisibles semblent opérer de façon croissante dans la ville en pleine mutation.

 

4. Rudas Gyógyfürdő

Après des années de fermeture pour cause de rénovation et d'excavations archéologiques le Rudas a récemment été restitué au public dans sa nouvelle incarnation rutilante, son complexe monumental de bains ayant été augmenté d’un ensemble labyrinthique de saunas, de salles de massages et autres prestations médicinales ultra-pointues. Même si sa lumière filtrant du dôme incrusté de fragments colorés est tout aussi irréelle et si l’édifice est structurellement le plus achevé de tous les bains ottomans que compte Budapest, le Rudas, à cause précisément de sa taille, manque de l’intimité et de la simplicité légèrement délabrée qui rendent le Király unique dans son atmosphère d'entre deux mondes. En fin d’après-midi l’endroit ne désemplissait pas, les groupes d’hommes, dotés du même tablier cache-misère réglementaire (certains très soucieux de leur intégrité en disposant même un deuxième à l’arrière), évoluant d’un bassin à l’autre. Avec M. nous avions décidé d’en profiter encore un peu avant de partir. Nous tenant côte-à-côte dans un coin du grand bain octogonal nous fûmes soudainement approchés par trois hommes qui, venant du côté opposé, nous encerclèrent et se mîrent à nous agonir d’injures. Dans un long flottement la raison d’un tel déploiement nous resta d'abord incompréhensible mais dans le durcissement du climat dont les bains municipaux semblent actuellement être le théâtre, il devenait clair que leur motivations - sans doute aussi exarcerbées par le fait d’avoir affaire à deux étrangers - étaient purement homophobes. Tout entier investi de sa mission d'extirper du corps social tout élement allogène, le chef de file, un type énorme à la face rougeaude et au cou de bœuf, avait les yeux d’un bleu très clair et hideusement exorbités par la colère. C’est lui qui gueulait sans relâche alors que les deux autres nous tenaient en respect, s’obstinant à user du Hongrois malgré nos tentatives de parler Allemand (qu’il comprenait pourtant), façon de réaffirmer son appartenance fondamentale en nous marginalisant encore plus. Après avoir asséné deux claques à M. qui tentait de rendre tout le monde à la raison, il nous laissa sortir du bassin dans un flot renouvelé de récriminations et l'indifférence générale du reste de l'assistance (ce genre d'incidents est-il donc si fréquent?), le compère du milieu brandissant sa sandale dans un geste vengeur aussi dérisoire que tragique alors que le troisiéme, sans doute le boute-en-train de la bande, mimait de façon obscène tout ce que son imaginaire du sexe entre hommes lui inspirait. La scène me fit penser plus tard aux dernières minutes des Harmonies Werckmeister de Béla Tarr alors que les villageois, rendus déments par les exhortations subversives du Prince, parcourent les rues en hordes et ravagent l’hôpital, passant à tabac et tuant quiconque se trouve sur leur passage. Il y avait en effet quelque chose de profondément archaïque dans cette chaussure levée, un geste venu du fond des siècles, d’exclusions, de meurtres et d'épurations, et dont nous étions maintenant les cibles, nous qui nous targuons de vivre dans une des villes les plus libérales du monde où toute sécurité ne pourrait bien être qu'illusoire. Vu du Pont Élizabeth le Danube immense dévorait l’espace. Des deux côtés les mêmes vues époustouflantes d’une ville adorée que nous ne voulions en aucun cas ternie par la bigoterie de trois braves pères de familles (qui ont ensuite dû aller battre leurs femmes pour célebrer leurs faits d'armes), une détermination que nous affirmions haut et fort malgré la honte qui nous étreignait sourdement l’un et l’autre.

Palatinus Strandfürdő, Margit-Sziget, Budapest

 

5. Millennium City

Millennium City, Budapest

Dans le district industriel de Ferencváros au bord du Danube une entreprise de régénération urbaine audacieuse doit faire entrer Budapest dans la ligue des grandes capitales européennes. Autour d’institutions culturelles de prestige (le Musée Ludwig et l’estomaquant Théâtre National, croulant sous une orgie d’allégories historicisantes et autres pitreries postmodernes) un nouvel ensemble immobilier est en train de prendre forme. Certes, rien de très spectaculaire quand on sait ce qui se fait à Londres ou Moscou, mais tout de même un bouleversement certain dans la texture de ce quartier ouvrier. Le projet, que l’on croirait tout droit sorti d’un catalogue d'urbanisme clés-en-main, présente tout ce qu'un quartier d'affaires contemporain, petit ou grand, se doit d’offrir, des shopping malls aux appartements dits de luxe en passant par l'incontournable casino. C’est le côté Tativille et standard de l'opération qui commence singulièrement à lasser (les panneaux publicitaires montrent les mêmes merveilles transposées de Bucarest à Cracovie). De l’autre côté du fleuve le Rác, autres thermes ottomans jadis très prisés des gays, est reconstruit de fond en comble pour être incorporé à un complexe hôtelier haut de gamme, un de plus dans une ville déterminée à devenir la capitale thermale européenne et attirer la fine fleur surstressée de la haute finance internationale, et ce au prix de la diversité de ses espaces urbains, par l’éradication de ses indésirables dans un processus parallèle de rentabilisation à outrance et de flicage intensif - sexuel ou autre.

Millennium City, Budapest

 

Vile Bodies

"A depression was announced over the Atlantic; it was moving from West to East toward an anticyclone
situated over Russia, and so far showed no signs of avoiding it by swerving to the north."

(Robert Musil, The Man without Qualities)

 

1. Köztársaság tér

Coming from within the flats the voices of radio announcers are drifting off in the dimly lit hall. In its tones Hungarian has an otherworldliness that conjures up vague memories of virtual films. I sometimes sit on the steps to listen to what sounds like a state of emergency news bulletin broadcast from some secret part of town, in which the population is instructed what to do in the event of an impending nuclear attack. After unusually long silences, re-emerging from a void of interferences and bleeps, the same metallic, peremptory voices resume their logorrhoea, maybe delivering the same message all over again. In the evening the atmosphere in the block is slightly jollier, as the happy jingles of quiz shows are taking over across concourses and landings, the same dream of millions to be made and luxury homes mesmerising a captive audience into the same apathy and subservience as anywhere else. The lift is an old model with a double set of doors which must be slammed shut so that the heavy machinery is set in motion. It gives out a muffled, humming noise that strangely evokes the ominous atmosphere in Polanski's Repulsion. Whenever the lift goes another fragment of sanity gives way in Deneuve's ravaged mind, as, trapped in her opulent Kensington mansion block, she awaits the next male intrusion into her chamber of nightmares. Almost bereft of life, even in the communal spaces that were in their modernist ideal supposed to foster unexpected interactions, the Bauhaus block is smothered in the same silence where unknown scenarios are played out behind closed doors.

 

2. Király Gyógyfürdő

Király Gyógyfürdő, Budapest

The Király bathhouse, an architectural gem dating from the Ottoman occupation in the XVIth century, has retained its original structure whilst still bearing the traces of communist-era refurbishments with its monochrome, no-nonsense mosaics and rickety plumbing, an immaterial time-space capsule floating in the most alluring light streaming down from its cupola. A while ago the establishment found itself at the epicentre of a national scandal after a TV reporter had sneaked a camera into the baths and filmed some untoward goings-on between men in the thernal pools. The report was aired on the evening news and sparked off a wave of outrage from many sections of society. For not only was homosexual activity rampant in a public place but it was also doing so at the expense of the innocent, morally irreproachable taxpayer. The indignation was such that the Király, whose very survival depended on public subsidies, took it upon itself to implement drastic measures in order to avert closure. Hence the reappearance of the modesty apron, an ungainly piece of cloth tied around the waist and aimed at concealing male genitals whilst leaving the rear alarmingly exposed to all sorts of dangers. Apart from looking absurd and being deeply unpleasant to wear once wet, it also strangely blends in with people's skin complexion, making everyone resemble emasculated androids like naked dummies in a shop window (which is probably the desired effect), and constitutes the low-tech equivalent to pixelation on television, a make-believe device whereby the blurred offensive bits are supposed never to have existed in the first place. The goal was clear: those men, whose deviant usage of their cocks was so repulsive to the great majority, had to be taken in hand and in the most blatant act of collective voyeurism bore the brunt of society's seemingly unanimous condemnation - for there is little doubt that the news report, in its barefaced attempt at pandering to reactionary instincts, was only intent on stirring up a well orchestrated wave of hatred amongst an audience already prone to the slightest titillation around the subject of homosexuality. The Király's small rotunda, awash with magical light, became an uncertain territory after whose media exposure the most  exorbitant public intrusion required the infantilisation of grown men in the public reviling of their perversion. The baths close relatively early and on a warm summer evening it feels like a sad, premature end to a day full of promises. Some of the clients, finding themselves at a loose end, must then head for the railway stations to return to the peripheral districts and just wait for nightfall after a few hours looking for a pleasure made more and more elusive by public scrutiny and internal policing - with staff actively sniffing around for evidence of misbehaviour and a real potential for violence in the event of someone getting caught. The surrounding areas are plunged into darkness as if uninhabited whilst the memory of Budapest gleams in the far distance, a city closed in on itself and revelling in the mirage of its own show. Nothing remains of a day that could have been transfigured by even the slightest gesture, the briefest contact between bodies. It's dark in the room and all around the blocks where the self-appointed vigilantes of a society oozing contempt from every pore lurk like a pack of demented dogs.

 

3. Keleti Pályaudvar

Three years ago, as I was leaving the city from Keleti Station, I came across a picture slid into the door of a left-luggage locker. It was the polaroid of a young bare chested skinhead boy who didn't look older than fifteen and only wore tight, red shorts whilst standing in front of an unmade bed. What was strange bar the photo's presence in such a place was the sheer, almost defiant confidence of the boy's posture. He was obviously striking a sexy pose for whoever was hiding behind the camera, which was distinctly at odds with his small, hardly pubescent body. I left the picture there, anxious not to disrupt some mysterious arrangement I didn't know the terms of. It was about midnight at Keleti. The terminal was bustling with tourists and revellers waiting for their trains back to the peripheral estates of Kispest or Köbánya. The bedroom was to be found there somewhere in one of the crumbling flats inherited from communist times. Lights were off in most of them and that's where the body, full of the growing awareness of its nascent seduction, was exposed and photographed by strangers. Increasingly geared towards the tourist market the bathhouses are financially out of reach for rent boys who are now conspicuous by their absence. Nor are they anywhere to be seen on the promenade along the Danube where they used to congregate at sunset, save for a few newly arrived Romanian hustlers. I don't know what happened in the intervening years. A sudden hardening of the general climate, the confinement into closed chambers of sexual practices whose proliferation in a rapidly changing city is so feared that they must be forced into invisibility and systematically removed?

Budapest-Nyugati Pályaudvar

 

4. Rudas Gyógyfürdő

After years of closure for renovation and archaeological excavations the Rudas baths have finally reopened to the public, its finely restored Turkish core being complemented with an array of steam rooms, massage parlours and other state-of-the-art 'wellness' facilities. Although the same ethereal light suffuses the building from a multitude of small coloured fragments set in the dome it somehow lacks the slightly dilapidated cosiness of the Király, with its air of floating between two worlds. However the place was packed and groups of men (some of whom were also sporting the regulatory apron at the back in a desperate bid to protect their modesty from unspecified threats) made their way from pool to pool in what must constitute the most monumental Ottoman complex of all. After two hours in the water M. and I decided to soak in the atmosphere a bit longer and as we were standing side-by-side in one corner of the central bath chatting, a group of three men suddenly swam across from the other end and after deftly taking position on all sides set out to yell abuse at us. For a few seconds it wasn't at all clear what had motivated such a deployment of beefy bodies and display of aggression but thinking of the extremely degraded climate that seems to be engulfing Budapest's public baths we realised the homophobic nature of the operation - a punitive expedition probably further justified by the fact that we were also foreigners. Maybe they'd watched telly and been outraged by those pixelated scenes of aquatic wanking so now was their time to shine and cleanse the social body of all alien filth. The leader of the pack, an old fat bloke with a crew cut and a scarily contorted red face had very pale blue eyes that were bloodshot under the effect of uncontrollable fury. He was the most vocal of the three and kept barking at us in Hungarian despite our attempts at reasoning with him in German - a language he did understand - in what was clearly a way to reassert his legitimate belonging to the land whilst marginalising us even further. M., who had the misfortune to stand near him, got slapped in the face twice and it was under a renewed stream of insults that we managed to get out of the pool, with everybody else looking away as we got past (has this kind of intimidation become so frequent and the violence so par for the course for the pools to be taken over by thugs?). One of the assailants, probably the happy chappy of the lot, was miming obscenities with his hand and mouth in what was a very personal rendition of gay sex whilst the third one was brandishing a sandal high in the air, a tragically ludicrous posture that stuck in my mind and conjured up something very archaic, a gesture harking back to centuries of violence, expulsions and inter-ethnic massacres. It later reminded me of the last few minutes in Béla Tarr's Werckmeister Harmonies, as gangs of peasants from a small Hungarian town, egged on by the inflammatory rhetorics of a misshapen dwarf called 'the Prince', embark on a rampage and devastate the local hospital, beating up and killing whoever crosses their path. Seen from the Elizabeth Bridge the river was aglow in the most fantastic light and it was painful to reconcile so much beauty with the violent bigotry of three brave citizens - who probably went on to beat up their wives to celebrate their deeds. The disturbing question of how safe we really are, even in the most liberal cities we pride ourselves so much on living in, started to rear its ugly head. A security that may well be plain illusory.

 

5. Millennium City

Millennium City, Budapest

In the old working-class district of Ferencváros by the river a massive redevelopment programme is underway, which is set to herald a new phase in Budapest's plans to enter the top league of European capitals. Following in the wake of prestige cultural institutions (the Ludwig Museum and the hallucinatory National Theatre, collapsing under the weight of its orgy of historiscist/nationalistic allegories - and much else beside) the self-styled Millennium City, although pretty modest in scale compared to what may be seen in London or Moscow, is ambitious enough to deeply alter the already brutalized texture of the area. Looking at the computerised impressions displayed on placards all around the building site it's hard to repress a sigh of lassitude before the blandly generic quality of yet another office estate that passes itself off as as the city's new face to the world (the developers even boast quasi-identical makeovers of Krakow and Bucarest), a kind of poor rnan's Tativille articulated around the obligatory shopping malls, so-called luxury apartments and this being a project where financial success really has to be seen by all, the ubiquitous casino. Across the river the Rác, once a public bathhouse popular amongst gays, is after years of closure and dilapidation being entirely rebuilt to be incorporated into an upmarket hotel complex, another one in a city hellbent on becoming the 'wellness' capital of Europe and thus attracting the elite of an overworked financial jet set. In the resulting urban homogenization deviance is ruthlessly policed at the borders of a contested space within which the social/sexual other becomes a threat to be eradicated in the name of decency and returns on investments.

12 July 2006

In my Hot Pants

Heliogabale, Volkspark Friedrichshain, Berlin

Ce soir, juste après être descendu du tramway, je vis deux jeunes mecs en short passer de l'autre côté de l'avenue, tous deux probablement d'une vingtaine d'années. L'un d'eux, en marcel noir et assez mignon, marchait pieds nus sur le trottoir, les plantes noires de la poussière des rues. Je trouvai la scène terriblement excitante et d'une facilité bouleversante. Ce genre de liberté est celle que le viens de commencer de m'octroyer et ne semble devoir se gagner qu'à coup d'audaces microscopiques. Un jour on découvre le genou, le lendemain ce sont les flip-flops qui font leur entrée dans une vie passée à scruter et analyser la moindre déviation de style. Sentir l'air chaud de la ville glisser sur mes pieds était troublant, les découvrir dans le métro ou marcher à même le sol brûlant encore davantage, et c'etait comme si je m'engageais lentement dans le monde par ce simple acte vestimentaire et réintégrais une normalité relative où le corps ne poserait plus problème dans l'équilibre retrouvé de sa plastique. C'est une légèreté inconnue - mais jamais réellement spontanée tant je dois constamment m'y forcer - dont la boxe m'avait donné un avant-goût furtif et qu'il me tarde de revivre. À cet effet je vais courir au parc presque chaque jour, Volkspark Friedrichshain et sa grande arène verte où les hommes se font bronzer l'été. Au centre du paysage trône une hauteur touffue, sorte de ziggourat végétale couronnée de structures de béton rouillé et à moitié écroulées, sans doute les restes d'une Flakturm datant de la guerre. Les allées hélicoïdales et ombragées menant au sommet sont toujours désertes. Dans le corps retrouvé je voudrais être pris dans les faisceaux de leurs regards. Dans le parc et au bord des lacs je m'expose parmi eux, en égal apparent.

Le dernier été où je pense être sorti aussi physiquement exposé, je devais avoir une douzaine d'années. Un après-midi de vacances je promenais la petite fille de la voisine dans les allées sinueuses et labyrinthiques de la cité, au-delà du terrain vague. Je portais un short court, des sandales blanches et une casquette à logo de compagnie pétrolière ramené par le père de je ne sais quelle station-service. À un détour face à l'école primaire une bande de jeunes assis autour d'une entrée d'immeuble me regardèrent longuement passer et m'invectivèrent devant l'enfant, qui était trop jeune pour comprendre la nature des injures. Je la poussai devant moi tout en pressant le pas, alors qu'une des filles de la bande me demandait où était mon mec. Ébranlé et paniqué je traversai le terrain vague en hâte avec la petite à mes côtés, dans ce corps squelettique juché sur des jambes menues, brindilles raides informes et terminées par des sandales de fille, un corps gracile et débile qui ne pouvait susciter que mépris de la part de ceux qui l'avaient si longuement regardé et jaugé. Ils avaient de l'allure en skets et n'auraient jamais parcouru la cité en short en éponge et claquettes en roulant des hanches. Aujourd'hui je marchais à Schöneberg dans un short de boxeur en satin noir et flip-flops bleues. Sur Martin-Luther-Straße j'entrais dans tous les sex-shops et examinais distraitement la marchandise. J'aimais la fraîcheur et l'atmosphère paisible de ces lieux. Je me disais que c'était le meilleur moment de l'année pour assister à une projection puisqu'il y aurait si peu à enlever une fois dans les travées. Dans la rues des hommes me regardaient. Je me demandais quel effet cela ferait d'être eux à la place de moi, dans ces corps autrement formés que le mien.

 

Backroom in Kreuzberg

Je venais de déjeuner avec C. dans un café de Mitte. L'humeur était légère et bien que nous ne nous fûmes rencontrés que quelques semaines auparavant il existait déjà entre nous une intimité qui nous faisait nous amuser de n'importe quoi, quelque chose de sérieux et d'inconséquent dans ce grand été européen qui me ramenait de Hongrie via Berlin. Nous traversions Arkonaplatz en direction de Prenzlauer Berg, avec de tous côtés des Mietskasernen imposantes et toutes invariablement dépouillées de leurs lourds ornements de stuc - une opération systématique d'égalitarisme architectural menée au temps de l'ancienne RDA. C. portait un tee-shirt bleu marine et ses cheveux bruns étaient en bataille. Ses lèvres larges et pleines me faisaient penser à quelque prince hongrois, le genre de bouche que je ne voyais jamais en Angleterre et qui pour moi ne pouvait être que d'Europe de l'Est. Arrivés au Mauerpark, tout près du stade hérissé de luminaires immenses, C. a dû s'asseoir à cause d'un caillou dans sa chaussure qui le gênait. Ses Adidas en daim étaient usées et d'une couleur brune passée. Je regardais ses chaussettes blanches légèrement grises de saleté et me mis machinalement à lui caresser le pied. Je le massais tout en retirant lentement la chaussette, découvrant le talon puis la plante lisse, pour enfin glisser sur les orteils que je serrais et frottais longuement. Je sentais l'odeur de ses pieds entre mes doigts que je reniflais à plein nez. C., incliné sur le banc, me regardait fixement, les yeux mi-clos dans le soleil, un léger sourire au coin des lèvres. Je tirai le pied vers moi et le léchai entre les orteils tout en le pressant fort contre mon visage pour en inhaler toute l'odeur. La naissance des mollets au-dessus des chevilles était couverte de poils longs et noirs. C. me demanda, avec son accent allemand qui rendait ses mots géométriques et rocailleux, si je voulais voir sa bite. Il sortit subrepticement sa queue molle de son jean, le gland tendre et soyeux luisant d'un filament pouisseux de pré-foutre qu'il avait déchargé dans son slip alors que je le léchais. Le parc était un peu trop fréquenté et nous continuâmes notre chemin en direction de Schönhauser Allee. Nous savions qu'il y avait un sauna quelque part sur l'avenue et cela semblait la seule solution pour finir ce que nous avions entrepris.

Un peu plus haut le long du métro aérien, la façade était d'un bleu opaque et le nom de l'établissement étalé en lettres grossières d'un orange pétant. L'endroit avait l'apparence des nombreux lieux de loisir et de relaxation allemands, des solaria aux bars de drague, un côté plastique et ancré dans d'interminables années quatre-vingt, les néons fluo et colonnes à bulles multicolores. Il n'y avait aucune concession savamment esthétisante ou high-tech, matériaux nobles ou carte digitale d'accès aux différentes zones du Fun Palace, comme si l'on avait ici renoncé à donner le change: rien que l'intoxication chimique du plaisir hard, cheap et dégueu. Le sauna était presque désert à cette heure de l'après-midi. Dans les vestiaires je me serrai derrière C. et lui caressai les hanches. Je baissai son slip et le décalottai lentement. Sa pine n'était pas complètement dure et pendait comme une matraque, lourde et épaisse, bien qu'assez courte. Je le suçai et introduisis ma langue dans son trou de bite tout en écartant les lèvres du gland. Je voulais faire juter C. rien qu'en l'excitant par mes coups de langue répétés. Après avoir pris une douche nous prîmes place dans une des cabines ouvertes sur un couloir carrelé. La rangée d'alcôves était comme moulée dans un bloc unique de plastique blanc. Dans les cabines voisines d'autres hommes étaient endormis et il semblait qu'ils avaient campé là des jours entiers après y avoir aménagé un petit chez-soi avec ustensiles et flacons soigneusement disposés sur une sorte de table de chevet. C. était face à moi avec ses jambes ouvertes. Je lui saisis les pieds que je léchais tout en me branlant. Son cul était bordé de poils noirs collés par la sueur et je lui introduisis deux doigts avec ses deux pieds appuyés contre ma figure. Il soupirait d'une voix douce et presque juvénile. Malgré la douche sa bite dégageait encore une forte odeur de pisse et avec ma langue je parcourai la base du gland sur toute sa circonférence, là où s'opère le joint tendre avec le reste du membre. Du couloir une lueur indistincte et violette venait des écrans diffusant en boucle des pornos américains. Le corps bronzé de C. était entièrement à prendre. Je voulais qu'il m'encule avec ses pieds. Il me faisait face, ses couilles pendant sur la banquette, ses yeux noirs sans lueur, son sourire doux et inchangé. Après m'avoir enfoncé ses chaussettes dans la bouche avec sa bite à coups de boutoir, son pied droit entra presque à moitié dans mon cul. Je sentais ses ongles me percuter.

21 March 2006

La Fiancée du Vent

English version

Dans le tramway, le long des avenues qui convergent vers Alexanderplatz, je les cherche du regard et me demande lesquelles viennent véritablement de là, de l’ancienne République Démocratique. Elles, les femmes de l’utopie socialiste qui autrefois défilaient le sourire radieux dans les espaces limpides du Panoptique de la nouvelle Allemagne. Les femmes y étaient selon l’idéologie officielle les égales à part entière des hommes dans le projet commun à édifier - bien qu’on les y aimât toujours aussi vertueuses et dévouées, que ce fût dans les gravats à déblayer, en usine ou dans le chantier permanent et la boue de la reconstruction. Dans le tramway elles sont assises près de moi. Je me demande ce que cela veut dire, avoir été une Femme Socialiste, avoir pris part à la vision universelle qui devait leur garantir une place inédite dans la société, et si cela se distingue essentiellement de l’expérience d’être une femme Post-Socialiste. Qu’ont-elles vécu de cette déflagration, de la disparition d'un régime qui d'une certaine manière les glorifiait? Leur expérience et leur présence dans le monde sont-elles à présent d’une nature autre? Tout comme ma mère aurait dû être transformée en dériveuse Situationniste dans les grands ensembles de la banlieue parisienne, la Femme Socialiste a-t-elle réellement existé à Karl-Marx-Stadt ou à Rostock?

 

Ensemble d'habitation, Karl-Marx-Allee

Dans les nouveaux Bundesländer qui ont réintégré le giron de la République Fédérale en 1990 les femmes sont particulièrement touchées par un chômage endémique et l'on pourrait même dire qu'elles furent les premières victimes des restructurations économiques profondes survenues après la réunification. Dans l’ex-RDA en revanche, leur visibilité dans la sphère publique avait été activement encouragée par un pouvoir affirmant une rupture totale avec un passé bourgeois et fasciste, par opposition consciente à une Allemagne de l’Ouest où la répartition des rôles entre sexes était définie de façon beaucoup plus traditionnelle. L’égalité au travail était même promue au rang de principe fondateur du jeune État socialiste et des lois facilitant l’accès des femmes à l’emploi furent promptement promulguées. Il serait néanmoins un peu excessif de voir dans la RDA une sorte de paradis proto-féministe avant-gardiste où l’émancipation des femmes aurait été à l'ordre du jour. La présence de ces dernières dans le domaine public et leurs posiibilités de réalisation en tant qu’agent autonomes dotée d’un destin propre étaient tout aussi conditionnées et contrôlées que dans le modèle "réactionnaire" de société que le nouvel ordre socialiste prétendait renverser, les deux côtés du clivage idéologique ayant créé leurs propres archétypes (la mère-amie-amante et occasionnellement catin corvéable à merci de nos contrées versus la travailleuse en combinaison, vigoureuse et déterminée, des étincelles plein les yeux, dans l"Ostblock). Ces deux constructions idéologiques s’avérèrent également étriquées et ignorantes de la complexité de l’expérience féminine à une époque de fortes turbulences historiques et l’on peut légitimement de demander comment des siècles d’organisation patriarchale auraient pu du jour au lendemain s’évanouir avec l’avènement du socialisme - un autre mythe discutable ayant présidé à l’établissement du nouvel État et à son intégration dans une eschatologie historique héroïque.

Les travaux très pertinents d’Astrid Ihle sur les photographes est-allemandes Ursula Arnold et Evelyn Richter mettent superbement en relief le gouffre existant entre la propagande officielle sur le rôle social des femmes et la réalité moins reluisante de leur condition dans un pays détruit et profondement humilié [1]. De la Trümmerfrau des lendemains de bombardements aux ouvrières glorieuses de la reconstruction, les représentations officielles mettaient immanquablement en scène le seul archetype de sur-femme dont les aspirations et efforts étaient exclusivement tournés vers l’édification de l’utopie socialiste. Tout ce qui pouvait avoir trait à une quelconque relégation, aliénation et a fortiori violence sociales et sexuelles n’entraient aucunement dans les paramètres fixes d’un système totalitaire qui n’avaient aucune prise sur les complexités et ambiguïtés de la réalité vécue. À travers l’analyse subtile des photographies de Richter et d'Arnold, Astrid Ihle fait état d’une fragile réappropriation de l’espace social et urbain, et par le biais d'un objectif photographique 're-sexué' rend visible une réalité alternative et potentiellement subversive pour le pouvoir en place, une représentation ambivalente, complexe et bien moins tranchée de la vie quotidienne. On peut en filigrane y déceler la présence élusive d'une hypothétique flâneuse, figure en perpétuelle circulation dans l’espace urbain et contestant les normes et codes de l’iconographie officielle. La femme était considerée sous son aspect le plus éthéré (c’est-à-dire dénué de corps) comme une entité d’ordre économique dont la valeur était mesurée à l’aune du projet historique socialiste. Pour ce qui est de sa subjectivité, de son désir et de sa corporéalité dans une telle société ils demeuraient trop instables pour qu’un régime puritain de vieux bureaucrates ne veuille y mettre le holà. Le corps féminin comme vecteur de danger, de subversion et de destructivité était l’'autre’ ultime et irréductible que le pouvoir dans toute sa puissance cherchait à tout prix à neutraliser.

La question de la présence du féminin dans la sphère publique et sa déviation potentielle des limites imposées sont au cœur de Fräulein Schmetterling, un film produit en 1965-66 par la Deutsche Film-Aktiengesellschaft (DEFA) sur un script de Christa et Gerhard Wolf, dans lequel les thèmes étroitement liés d’émancipation féminine et de transformations urbaines sont clairement articulés. Cependant le film fut d’emblée considéré comme suffisamment suspect par les caciques du Comité Central du SED pour être immédiatement interdit de sortie. Le film, restauré et reconstitué à partir des fragments ayant survécu à son pourrissement dans quelque enfer d'archives, fut projeté à Berlin il y a quelques mois, une expérience particulièrement émouvante sans doute due au fait qu'une bonne partie reste privé de bande-son, et que ce qui en a été reconstitué, à la manière d'une archéologie d'un passé à la fois proche et invraisemblablement ancien, est lacunaire et aléatoire, ce qui renforce son caractère irréel et lunaire. Une magie étrange émane de la simplicité des moyens employés, de même que les décalages de synchronisation, les récurrences, ratées et redondances de la bande-son lui confèrent un aspect curieusement expérimental. Helene, l’héroïne principale, rêve d’une infinité de vies possibles dans un Berlin ensoleillé et (on enfonce là vraiment le clou) cosmopolite et ne semble pas prendre conscience de l’urgence de l’édification socialiste. Elle est un peu excentrique, pleine de fantaisie et se révèle incapable de rester en place dans les nombreux emplois auxquels les autorités l’assignent de toute leur puissance technocratique, que ce soit auprès d’une poissonnière patibulaire, en tant que vendeuse dans une boutique 'de luxe' sur la Karl-Marx-Allee (qui en semblerait presque aussi chic que Fifth Avenue) et enfin comme contrôleuse dans le tramway, chaque expérience s’achevant dans la débâcle et l’humiliation pour une Helene de plus en plus folâtre. De plus elle vit du côté d’Alexanderplatz dans un vieil immeuble délabré promis à la démolition, l’une de ces Mietskasernen du vieux Berlin qui avaient été épargnée par les bombardements, et refuse de débarrasser les lieux malgré les interventions tatillonnnes des autorités qui tentent par ailleurs de la séparer de sa jeune sœur. De même que les blocs d’habitation flambant neufs de la ville socialiste - le dispositf monumental de la Karl-Marx-Allee en constituant le prototype le plus totalisant dans son envergure - le vieux secteur dissimulait quelque chose de trop ambigu, de fluctuant et de potentiellement menaçant pour l’ordre dominant. Tout comme le désir lui-même.

Dans Fräulein Schmetterling nous assistons à un conflit permanent entre la réalisation d’un désir en circulation inentravée et l’imposition d’un espace de plus en plus monodimensionnel et transparent, une sorte de ville-panoptique hors de laquelle il n'existe aucune échappée possible. Une jeune femme seule parcourant les rues sans raison précise, parfois par simple désir des hommes comme le montre sa liaison avortée avec un beau boxeur, ou rêvant de grands soirs dans une ville somptueuse (comme dans la scène touchante où on la voit sortir de Café Moskau dans différentes tenues élégantes ou tourbillonner dans une valse infinie avec le même boxeur au sommet de la Marienkirche) entre en collision frontale avec la vision officiellement promue de la femme idéologiquement irréprochable, une créature abstraite et désincarnée devenue icône monosémique et immédiatement identifiable. Les autres femmes du film semblent en effet se conformer à cet idéal, des travailleuses honnêtes et ne renâclant pas à la tâche telles que l'odieuse poissionnière et la patronne de la boutique de luxe à la bureaucrate omniprésente et intrusive du Jugendamt, inflexible dans sa détermination de mettre Helene au pas. Finalement celle-ci est relogée dans l’un des blocs bordant la Karl-Marx-Allee où on lui fait bien sentir qu’elle peut commencer à mener une vie conforme aux principes et valeurs socialistes. Enchâssée dans son sarcophage de verre et le béton elle surplombe le boulevard triomphal, simultanément voyeuse et soumise au regard collectif. Le désir sexuel errant et les rêves de romance sont ainsi réprimés par un pouvoir coercitif et épris de pureté idéologique et mettant architecture et urbanisme au service de ses intentions. Mais l’espoir renaît lorsque – et c’est sans doute cela qui a déplu au Comité Central – Helene fait la connaissance d’un mime après une visite au cirque et semble une fois de plus s’extirper des griffes de l’infernale machine dans une explosion finale d’extravagance et de fantaisie. Il serait instructif de mettre ce miracle de film en perspective avec l’expérience des milliers de femmes des classes populaires qui furent relogées lors des programmes urbanistiques titanesques des années soixante et soixante-dix en Europe de l'Ouest.

Cette éradication de la sensualité et des poursuites érotiques suspectes était consubstantielle au programme idéologique socialiste, où hommes et femmes étaient sans distinction transformés en entités propres et immatérielles dont on ne pouvait songer un seul moment qu’elles s’adonnent à une pratique aussi corruptrice et occidentale que le sexe (ou le sechs comme le prononce la mère de Klaus dans Helden wie wir - malheureusement traduit dans l’édition française par Le Complexe de Klaus). La femme en tant qu’ouvrière de ferme et d’usine ou comme bureaucrate marmoréenne dont les vies n’étaient considérées qu’en termes de productivité et d’efficacité et dont la place attitrée était strictement réglementée et contrôlée à chaque niveau de l’existence, avait encore moins de temps pour de telles frivolités, et l’on songe au modèle de la championne olympique dopée aux hormones comme du résultat asexué d’une expérimentation en ingénierie sociale qui aurait mal tourné. Cette évacuation terminale de toute sensualité du monde des humains se retrouve de façon particulièrement exacerbée dans Les Bonnes Femmes de Wolfgang Hilbig, incursion hallucinée dans la désintégration mentale d’un homme en chute libre dans une RDA en déni sexuel intégral [2]. Voyage cauchemardesque autour de petites villes industrielles plongées dans le noir et de décharges publiques, le texte retrace la descente dans l’inexistence d’un homme tourmenté par l’impuissance sexuelle à laquelle il est forcé par l’immixtion permanente de l’État dans ses affaires de cul et qui perd tout contact avec la réalité lorqu’il lui apparaît que les 'bonnes femmes' - du moins celles qui n’ont pas voulu sacrifier leur féminité aux impératifs idéologiques mortifères du régime - ont toutes disparu de RDA. Sur une note plus légère mais non moins acide Anna Funder consacre dans son Stasiland un chapitre au 'Lipsi’, une danse étrange et hybride lancée par les autorités à l’intention d’une jeunesse éprise de rock’n’roll mais qui là aussi n’en obtiendra qu’un pâle ersatz, car en effet tout mouvement lascif et suggestif des hanches avait été prudemment éliminé du Lipsi, d’où son côté un peu rigide et sautillant. C'en serait presque drôle si ce n’était d’une perversité si noire. On pense à des salles de bal désertes, à des palais au lino craquelé et peuplés de gérontes liquéfiés, à une humeur brune de nature indéfinie qui suinterait de chaque pore du corps étatique décomposé pour corroder la vie dans sa texture même [3].

 

[1] Deux essais brillants d'Astrid Ihle sur la photographie en RDA: Wandering the Streets of Socialism: a Discussion of the Street Photography of Arno Fischer and Ursula Arnold, in: David Crowley and Susan E. Reid (eds.), Socialist Spaces. Sites of Everyday Life in the Eastern Bloc (Oxford, New York: Berg, 2002); Framing socialist Reconstruction in the GDR: Women under Socialism - a Discussion of the Fragments of a Documentary Project by the Photographer Evelyn Richter, in: Paul Cooke and Jonathan Grix (eds.), East Germany: Continuity and Change Amsterdam (Atlanta GA: Rodopi, 2000).

[2] Ce second ouvrage inclut également un essai consacré à Die Weiber dans le cadre d'une analyse de la répression sexuelle et historique: Paul Cooke, Continuity and Taboo: Sexual Repression and 'Vergangenheitsbewältigung' in Wolfgang Hilbig’s Die Weiber. Wolfgang Hilbig, Die Weiber (Frankfurt am Main: S. Fischer Verlag GmbH, 1987). Traduit de l'allemand par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent sous le titre Les bonnes Femmes (Paris: Gallimard, 1993).

[3] Anna Funder, Stasiland (London: Granta Books, 2003).

 

Die Windsbraut

Cafe Moskau, Karl-Marx-Allee

Fräulein Schmetterling in der U-Bahn

In the new Bundesländer chronic unemployment did in the years following the Wende hit women particularly hard. In the former GDR they had, unlike their counterparts in the West who were to a greater degree confined to a more traditionally defined social role, enjoyed unprecedented visibility in public life with the blessing of the authorities. Gender equality at work was even proclaimed by the socialist regime as a fundamental principle upon which the new society was to be built on the smouldering (and soon forgotten) remains of old Germany and a relatively progressive policy with regard to women’s access to employment was implemented accordingly. It would however be a bit hasty to imagine the defunct state as some kind of proto-feminist paradise, where female emancipation and self-realisation were the order of the day. Women’s presence in the public sphere and their prospects as independent, self-determining agents were actually just as controlled and limited as in the 'reactionary' society the newly-founded socialist state was purporting to supersede, both sides of the ideological divide generating their own role-models and archetypes (the home-bound mother, wife and sexpot in the West; the vigorous, squeaky-clean, slightly asexual worker in the East). Both ideological constructs happened to be equally constricting and dismissive of the complexity of female experience in a period of historical upheavals, and one may rightly wonder how it could so innocently be claimed that centuries of patriarchal rule had abruptly come to an end with the socialist dawn - another questionable myth with regard to the radically new beginning the GDR was supposed to embody in the grand narrative of human history.

Astrid Ihle’s brilliant work on GDR female photographers Ursula Arnold and Evelyn Richter underlines this discrepancy between official, propagandist discourse on the place of women in socialist society and the dire reality of womanhood in a devastated, deeply traumatised country [1]. From the Trümmerfrauen of post-war reconstruction to the robust, rosy cheeked factory heroins, official representation was unwaveringly revolving around the same archetype of a wonderwoman whose sole aim was the edification of the ideologically superior socialist utopia. Social, sexual relegation, alienation or even violence had no legitimacy within the parameters of an totalising ideological system that had no interest in the ambiguities and complexities of daily life. Through her subtle analysis of Arnold and Richter’s photography, Ihle points to a fragile reappropriation of social, gendered space through the camera lens and presents a virtually subversive alternative to official discourse, an ambivalent, complex and not so clear-cut representaion of lived reality. Only fleetingly can we catch a glimpse of the urban flâneuse Astrid Ihle refers to, a hidden other in perpetual motion undermining standard official iconography. Womanhood was conceived of only in economic terms, an abstract entity whose worth could only be determined in relation to the perpetually imminent advent of socialism on earth. As for female subjectivity, desire and bodies in such a society, they remained deeply subversive factors which a puritanical, less than sensuously enclined regime could only ignore and repress. The female body as a site of danger, subversion and unbridled unpredictability was the ultimate, irreducible other that the socialist State in all its might could only seek to neutralise and control.

The question of the presence of the female body in public space and its potentially problematic deviation from the dominant order is at the core of Fräulein Schmetterling, a film produced in 1965-66 by the Deutsche Film-Aktiengesellschaft (DEFA) with a script by Christa and Gerhard Wolf, as the intrinsically linked themes of female self-realisation and urbanistic transformations are here clearly articulated. The film was deemed suspicious enough by the Central Committee of the SED not to be released. The few fragmental remains that restoration could salvage were shown a few months ago at the Zeughauskino in Berlin. It was a deeply moving experience as for the most part the film is silent, and what can be sporadically heard is uncertain and often incomprehensible, like the traces of a past that is both familiar and fantastically alien. A powerful strangeness comes from the simplicity of its technical devices, while the approximate synchronisation between sound and image, as well as the multiple disjunctions, repetitions and superimpositions in the soundtrack unwittingly give it a very experimental air... Helene, the main protagonist, dreams her many possible lives in a sunny, excitingly cosmopolitan Ost-Berlin and doesn’t seem to grasp the urgency of socialist edification. She is a bit of a eccentric, whimsical and unable to hold down any of the jobs the authorities 'allocate' her to, first as a fishwife’s assistant, then as sales staff in an exclusive boutique on the Karl-Marx-Allee - which almost manages to look chic - and finally as a tram ticket inspector, each experience resulting in failure and humiliation. Moreover she lives in a derelict, soon to be knocked down old Mietskaserne that had survived the bombings around the Alexanderplatz and obstinately refuses to vacate the place despite the authorities’ repeated attempts to dislodge her and separate her from her younger sister. Unlike the new, rationally designed blocks of flats gracing the new avenues of socialist victory - the Karl-Marx-Allee being the prototype of such totalising designs - the old quarters concealed in the eyes of the institutions something shady, ambiguous, deviant and potentially damaging to the political order. Just like desire itself.

In Fräulein Schmetterling we witness the continuous conflict between the realisation of desire in its uncontrollable circulation and an increasingly monodimensional, transparent architectural space, the panoptical city from which there is no escape. A lone woman roaming the city streets, sometimes looking for men, as her ill-fated fling with a boxer testifies, or dreaming her life away in sumptuous settings (as in the lovely scene showing her wearing different evening dresses outside Café Moskau or waltzing in the evening sun up the Marienkirche with the same boxer) is colliding head-on with the officially promoted version of the ideologically committed woman, a creature turned into a monosemic, easily identifiable icon of the new order. Most women in the film conform to that ideal, from duty-conscious, decent working people such as the fish stall harpy or the boutique 'manageress’ to the relentlessly intrusive bureaucrat from the Jugendamt who is determined to bring Helene to heel. Eventually she is rehoused in one of the blocks along the Karl-Marx-Allee where she can start a new life in accordance with socialist values and aspirations. Encased in glass and concrete she overlooks the monumental boulevard, seeing everyone and becoming visible to all. Errant sexual desire and dreams of romance are nipped in the bud by means of urbanistic concepts devised to consolidate a coercive, omniscient power. But there is love at the end of the road when she ends up meeting a mime artist in a circus and seems once again to slip out of the State’s clutches. It would be interesting to put this film in perspective with the similar experience thousands of working-class women must have had of urban space in Western Europe during the epic housing programmes of the sixties and seventies.

This wariness of sensuality and erotic pursuits was consubstantial with the socialist programme. Men and women were turned into clean, dematerialised entities who couldn’t be thought of as indulging in something as trivial and 'western’ as sex (or sechs as pronounced by Klaus's mother in Helden wie wir). The woman as farm/factory worker or stern faced bureaucrat whose lives were entirely geared towards productive efficiency and whose 'rightful place’ was strictly codified and kept in check at every level, had even less time for such frivolity, and the epitome of the hormonally enhanced Olympic champion immediately springs to mind as the desexualised outcome of experiments gone horribly wrong. This terminal evacuation of sensuality from the world is one of the main themes in Wolfgang Hilbig’s Die Weiber, a hallucinatory foray into mental disintegration and sexual repression in the GDR. A nightmarish journey through decayed industrial towns and rubbish heaps, it traces the slow descent into non-existence of a man tormented by an impotence exacerbated by the State’s incessant intrusion into his stifled sex life and who loses his grip on reality as it suddenly dawns on him that all women have vanished from the country [2]. On a lighter but no less incisive note Anna Funder devotes in Stasiland an entire chapter to the 'Lipsi', a weird hybrid of a dance concocted by the authorities in the sixties and from which all lascivious hip movements had been systematically removed, hence its strange hieratic, hopping quality. It's as funny as it is unsettling and conjures up images of deserted ballrooms, cracked linoleum palaces peopled by a fossilized gerontocracy and an unidentified brown humour oozing out of all pores of the State and corroding life in its very texture [3].

 

[1] Two brilliant essays by Astrid Ihle on photography in the GDR: Wandering the Streets of Socialism: a Discussion of the Street Photography of Arno Fischer and Ursula Arnold, in: David Crowley and Susan E. Reid (eds.), Socialist Spaces. Sites of Everyday Life in the Eastern Bloc (Oxford, New York: Berg, 2002); Framing socialist Reconstruction in the GDR: Women under Socialism - a Discussion of the Fragments of a Documentary Project by the Photographer Evelyn Richter, in: Paul Cooke and Jonathan Grix (eds.), East Germany: Continuity and Change (Amsterdam, Atlanta GA: Rodopi, 2000).

[2] The latter book also includes an essay on Die Weiber: Paul Cooke, Continuity and Taboo: Sexual Repression and 'Vergangenheitsbewältigung' in Wolfgang Hilbig’s Die Weiber. Wolfgang Hilbig, Die Weiber (Frankfurt am Main: S. Fischer Verlag GmbH, 1987). As far as I am aware there is no English translation available.

[3] Anna Funder, Stasiland (London: Granta Books, 2003).

20 August 2005

Pute de Parkings

English version

Topographie de la Terreur - Hôtel des Postes

C'était peu de temps après les épreuves du bac. L'été était partout et un désir de célébration m'avait fait sortir cet après-midi-là. Mon corps était inhabituellement léger et mon humeur rayonnante. J'arborais un pantalon blanc large façon Bowie période Serious Moonlight - pectoraux à l'air et gants de boxe - et un pull de laine à grosses mailles que ma mère s'était tricoté pour elle mais que je m'étais approprié. Il était gris à effet moucheté, du genre de ceux portés par Nick Rhodes de Duran Duran, les épaulettes en moins. J'avais poussé la sensualité jusqu'à ne rien porter dessous. Sentir la grosse laine rugueuse à même ma peau nue offerte au soleil des rues était une expérience troublante et exaltante. J'aurais pu être l'un d'eux, les Beautiful Ones, insouciants et aux corps ouverts. Je me trouvais attirant et il semblait assuré que quelque chose dût m'arriver.

Je me dirigeais vers le centre commercial de la commune voisine, plus grand que le nôtre et infiniment plus labyrinthique. Il se trouvait au milieu d'un complexe immense de tours et de barres courbes et avec ses galeries à pilotis et ses places ornées de groupes sculptés aurait aussi bien pu se trouver à Harlow New Town ou au Lijnbaan de Rotterdam. Le supermarché qui en formait l'épicentre était caverneux et éclairé de néons sombres et pisseux, de cette façon qu'on les grandes surfaces françaises de réduire l'expérience du shopping à un fonctionnalisme primaire. Je me dirigeai vers le rayon des disques puisque c'est bien ce que j'étais venu voir. Je n'avais rien à acheter mais contempler les pochettes d'albums de David Bowie était une expérience chaque fois renouvelée. J'avais beau les connaître par cœur et même en posséder la plupart il fallait que je me rende dans un supermarché pour les tenir à nouveau entre les mains, comme si la découverte de cet univers devait être revécue à l'infini dans ce simulacre d'achat. Il me manquait. Il donnait très peu signe de vie et je me sentais délaissé. Let's Dance était sorti, peut-être le premier album par lequel j'ai commencé à me penser en tant que corps et à me sentir désirable, mais aussi celui qui avait rendu Bowie plus plastique et international, de nulle part, le beau chanteur blond abstrait et lisse. À un moment une sorte de bouleversement indistinct se produisit plus loin dans les rayons. Un groupe de garçons que je ne connaissais pas - c'était une autre ville - mais qui eux semblaient m'avoir reconnu, m'encerclèrent et se mirent à m'agonir d'injures. Pour leur échapper je dus quitter le supermarché en hâte par le grand parking qui le bordait et regagner ma commune d'origine qui se trouvait tout près au bout d'une longue avenue de marronniers. Souffrant d'avoir été ainsi séparé de mes disques je décidai de poursuivre ma quête à l'autre supermarché, le nôtre, accueillant et familier.

Comme le premier c'était un espace monumental et uniforme. Sa superficie était semblable mais l'éclairage plus intense et blanc. En revanche le bac de David Bowie était beaucoup plus fourni et riche en compilations qui pour moi comptaient comme des albums à part entière tant les pochettes étaient magnifiques et évocatrices. Je restais longtemps à les regarder les unes après les autres, essayant de me replonger dans les sensations premières, l'étrangeté bouleversante de son visage et le vertige de mon monde en plein basculement. C'était une forme de recueillement intime qui durait généralement assez longtemps. Je quittai ensuite le supermarché. Je devais me faire photographier pour les formalités d'inscription à l'université. C'était ma première année et la promesse d'une nouvelle vie faite d'art et d'urbanité se laissait doucement attendre dans l'été. Le photomaton se trouvait près des entrées aux portes coulissantes. Alors que j'attendais que la machine vrombissante dégorge la bande de papier luisant et collant d'émulsion un groupe de trois garçons, que je n'avais jamais vus mais qui semblaient manifestement me connaître, s'avancèrent vers moi l'air menaçant tout en proférant des insultes violentes. Pris de terreur je dus traverser le parking en courant. Il était plein des familles en cours de réapprovionnement et toutes entières livrées au rituel consumériste dans l'ignorance de ce qui se tramait au beau milieu de l'étendue d'asphalte. Le corps allogène à la sexualité scandaleuse venait d'être extirpé du sanctuaire familial par ses gardiens autoproclamés, qui refluèrent ensuite vers les profondeurs indifférenciées du parking vibrant de ses milliers de carrosseries étincelantes. Dépité de n'avoir pu récupérer mes photos je refis obstinément le trajet vers le photomaton en empruntant un itinéraire détourné. Arrivé à la cabine de plastique agrémentée des sourires fixes de ces mystérieux modèles génériques dont on se demande quel privilège les a amenés là pour nous éblouir, je revis les mêmes garçons s'avancer sous la galerie d'entrée du supermarché.

Tels une horde de clebs dérangés ils se mirent à me poursuivre avec une vigueur accrue, exaspérée et finale, enjambant tout sur leur passage, murets, barrières. Ils finirent par me rattraper à la sortie du parking et c'est alors que je les vis de près, trapus, à l'ossature épaisse, bruns, dans la phase terminale de leur puberté. Ils se postèrent stratégiquement autour du corps assiégé, un derrière qui me tordait le bras et me le tenait plaqué contre le dos, les deux autres de chaque côté. Avec un professionnalisme assuré ils m'ordonnèrent de ne rien tenter et d'un pas mécanique me menèrent le long des devantures des commerces coquets du centre-ville, là où sous l'œil de la patronne des vendeuses aux cheveux gras et à la peau criblée vous font sentir votre étrangeté irréductible. Je me sentais dans la peau du clown blanc de Ashes to Ashes, les yeux baissés et les mains jointes en prière dans une crique de Beachy Head. L'hôtel des postes était bordé d'une petite impasse dans laquelle ils me traînèrent manu militari, leurs grosses bites d'hommes tout juste grandis durcissant à l'idée de se faire celle-là. Ils me plaquèrent contre le mur et dans un déploiement corporel appris dans la nuit des temps m'encerclèrent. Ce qui se produisit ensuite est confus et avec le recul semble presque tragi-comique. Aujourd'hui j'y pense surtout comme aux parodies de cassage de gueule en plans arrêtés à la fin d'Alphaville. Il semblait en effet qu'une fois m'avoir promené dans les rues et sans doute surpris de mon manque avéré de résistance ils ne surent plus trop quoi faire de moi une fois au calme dans l'impasse. Ils ébauchèrent mollement quelques gestes d'aggression qui avaient la maladresse de débutants peu convaincus et pour parachever la farce je hurlai en me débattant (contre personne) un tonitruant Lasst mich los!, intervention inattendue de l'allemand qui sema un trouble suffisant pour permettre ma fuite.

Je pris refuge dans différents commerces de la rue principale, le marchand de journeaux, le café du marché, tous lieux d'une sociabilité quotidienne et rassurante mais qui à ce moment-là me parurent étranges et hostiles, identiques à eux-mêmes en apparence mais ayant comme basculé à l'envers du monde que j'habitais. Je finis dans une moto-école dont je ne sortis qu'après une heure ou deux. Je restai assis dans un coin à l'écart des fenêtres sous l'œil perplexe et interloqué de motards qui me scrutaient de loin et dont aucun ne tenta de connaître ni le pourquoi d'une présence si incongrue dans leurs locaux ni les raisons de mon état visiblement paniqué. Comme le complexe commercial du supermarché c'était un espace monodimensionnel - et en particulier "monosexué" - dans lequel je n'avais pas ma place. La seule différence entre les deux ne concernait que le degré d'hostilité et de frayeur rencontré chez les occupants du lieu, rien de plus. Quand je quittai la moto-école sans être salué par qui que ce soit le soleil avait commencé à décliner et une lumière rouge éclatante marquait la fin d'un jour qui s'était annoncé sous les plus belles couleurs, celles d'un été foisonnant et aérien et celles des pochettes de David Bowie, des micro-univers obsédants que chacune renfermait. Il me semblait que le jour avait duré une éternité. Il n'y avait que quelques rues à parcourir à toute vitesse jusqu'à l'appartement familial. Là, je donnais tous les airs de la normalité, ce que j'avais magistralement appris au fil des années. Je restais longtemps dans ma chambre à m'interroger et à avoir peur. La lumière rouge pénétrait de partout et éclaboussait les murs.

 

Car Park Slag

Topographie de la Terreur - Mecs en skets

It was shortly after the final exams. It was a still, hot summer and I felt strangely elated. I was in the mood for celebration and the unusual lightness of my body got me out on the streets. The town belonged to me. I'd donned my silky white, baggy trousers - the kind Bowie wore on his Serious Moonlight Tour - and a greyish, loose-fitting woolly sweater that my mother had knitted for herself but grudgingly allowed me to borrow. Nick Rhodes was to wear a similar one in a later Duran Duran video but in his case with huge, landing strip shoulder pads. In a burst of sensuality I'd gone as far as wearing nothing underneath and the feel of the rough, itchy wool on my naked skin was a beautiful, thrilling experience as I was confidently striding the sunny streets, hitherto the preserve of The Beautiful Ones. I felt madly attractive and it seemed obvious that something or other would happen to me.

I was heading for the shopping centre of the neighbouring town, which was larger and more labyrinthine than ours. It was set in the midst of a bewildering complex of high-rises and long, sweeping blocks, and with its concourses on stilts, terraces and courtyards with Henry Moore-esque ornamental sculptures it could have been anywhere from Harlow New Town to Rotterdam's Lijnbaan. The supermarket - the crowning glory of the precinct and a dark, cavernous affair with pissy yellow lighting - was emblematic of all French supermarkets, which reduced the shopping experience to an unholy mixture of gigantism and shabbiness. I'd come to see the records and made it straight to the music section. Most David Bowie LPs were there and it was an ever renewed pleasure to hold the squares of glossy cardboard in my hands, encapsulating in their plastic beauty the most alluring of worlds. Even though I already owned most of his discography it was like discovering Bowie's world all over again, letting myself be seduced by it before taking it home. I missed him. He was aloof and I felt both alone and frustrated having to wait for the next - less and less convincing and increasingly slender - output. Let's Dance had come out the year before and even though it was the album that by sheer physical pleasure gave me a nascent sense of my own body, it was also the start of international, anonymous success for Bowie, who felt more like an abstract, disembodied creation than the weird friend I'd grown up with. At some point I noticed a slight commotion coming from across the record section as a group of boys, whom I didn't know but who seemed to recognise me, was heading towards me, hurling indistinct abuse. Threatened and outnumbered I left the premises through the car park and made a hasty retreat to my own town which was only within a stone's throw down a chestnut-lined avenue. Frustrated and brutally separated from my records I decided to stop over at my local supermarket, which was more familiar territory.

Like the first complex ours was a just as monumental and spatially uniform with much brighter neon lighting. However the David Bowie section was well-stocked and boasted rare compilations which for me counted as real LPs as the artwork was every bit as evocative and glamorous. I stayed there for a long time, staring at the pictures one after the other, turning them over, opening the gatefold sleeves and trying to conjure up the intense excitement I'd experienced as I first cast my eyes on them. Their emotional power was incredible and my world instantly turned upside down. After much musing over the records I left the supermarket and had my picture taken in the photo booth as I needed them for my enrolment at university. It was to be my first year there and a new life of art and civilisation was dawning at the end of the summer. As I was waiting for the sticky strip of glossy paper to drop through the slot a group of three teenagers, whom I'd never seen but who seemed to know me from somewhere, loomed into view somewhat agitatedly and started to scream abuse at me. Gripped with terror I dashed across the car park, which at that time of day was bustling with whole families on their shopping day out. Getting on with their consumerist ritual they were unaware of what was going down on their own patch, the one they took for granted and where they could unproblematically be themselves, the huge tarred surface of the car park. The alien, sexually scandalous body had just been expelled from the realm of decent hetero families by its self-appointed guardians, who then disappeared back into the gleaming wilderness of car-bodies. Unnerved at the idea of my pictures remaining unclaimed I made it back to the photo booth through another route and as I got to the plastic cubicle, all adorned with slightly drugged-up looking models with mad grins, the same three men reappeared down the entrance gallery and this time weren't going to miss their big chance.

Like a pack of demented dogs they shot off after me, jumping over every obstacle on their way. They ended up catching up with me on the edge of the car park and that's when I really took a good look at them. They were stocky with a thick bone structure, dark haired and seemed to have reached the tail end of puberty. They strategically took position all around my body, one behind twisting my arm to keep it locked against my back, the other two on either side. With cool professionalism they ordered me to keep quiet and do as I was told, as they started frog-marching me through the streets of the town centre, past the quaint, little shops where greasy haired sales assistants with a bad skin feel entitled to give you aggro for what you are before the very eyes of the owner. I felt like the clown in Ashes to Ashes, bowing his head down with his hands clasped in a prayer as he strolled up and down Beachy Head. There was a narrow alleyway by the post office into which they hustled me. Not believing their luck, with their young, fat cocks throbbing in their pants at the thought of the coming thrashing they pinned me to the wall and with the inborn instinct of the hunter-gatherer deployed evenly around me. What came next is still not entirely clear but I came to remember it as a tragicomic parody, a bit like the piss-takes of fighting in the last minutes of Alphaville. It seemed that after succeeding in parading me through town without encountering the slightest resistance, they suddenly lost their nerve and made a few sluggish attempts at hyperviolence with the clumsiness of complete amateurs. Adding to the farce and struggling against no one in particular I uttered a loud, very Germanic Lasst mich los!, which confused them enough to let me slip away.

I found shelter in a few shops on the high street, the newsagent's, the cafe on the market square, all comforting places for everyday socialising but which under the circumstances felt strangely alien and disconnected. Despite their normal appearance they seemed to have drifted off into the reverse world of the one I was now inhabiting. I ended up in a bikers' school where I probably stayed for an hour or so. I sat quietly in a corner away from the windows. The owners and punters looked most intrigued and gawped from across the room without ever asking why I was there or what may have caused the frightened state I was in. After the supermarket I was once again right on their territory, a monodimensional, monogendered space where I had no place. The only difference was a matter of degree and lay in the fact that they didn't dare bash me up in the backroom. As I got out without even a kind word to send me off the sun was already going down. An intense glow was transforming the streets into a peaceful, serene place. A beautiful day had ended that had got off to an auspicious start: the mellow, breezy summer, my groovy outfit, David Bowie's covers from the depths of which an alternative universe was enticing me. It felt like a very long day and I ran along the last few streets until my parents' flat. Back in there it was business as usual and a fake sense of normality was reinstated, a skill I'd turned into an art form over the years. In the middle of my room I was restless with fear and foreboding as the last glow flooded in and spattered on the walls.

26 May 2005

Les Absences d'Erika

English version

 

WIEN

Lange Gasse, Josefstadt, Wien

  Gay sex shop, Schöneberg

À Vienne, sur l’esplanade du Museum Quartier, les corps sont étendus au soleil sur des divans-sculptures d’un vert tendre. Le mien aussi, qui s’est joint aux autres et dénudé à la vue de tous. Je me sens bien dans l’évidence de l’acceptabilité de mon corps. La boxe aura été un événement déterminant dans le retournement majeur de son histoire. Il est exposé au cœur ardent de Vienne et tout se termine là. Il n’y a plus rien à en dire. Il a tout juste commencé à exister et continue de le faire. Ce sont des étés réappropriés qui s’enchaînent, ceux que j’avais peu à peu commencé d’échafauder à Londres avec un succès incertain. C’est à Berlin que son histoire devait s’accélérer et éclater dans l’insouciance, les parcs, le soleil, les hommes des sex-clubs. Mes étés sont les miens. Le cycle est complet depuis les dernières vacances désastreuses passées avec la famille de la honte, dans la station balnéaire de la côte Atlantique où l’on a pris congé de moi. Les sarcasmes pleuvaient sur ce corps qui changeait rapidement et de manière incompréhensible, me tourmentait, n’avait plus de sens. Mes angoisses étaient immenses. La ridicule était le fait de tous – le père, la mère, le frère de concert – et a inauguré vingt ans d’une invisibilité forcée.

À Vienne la sensualité et l’insouciance des jeunes hommes et femmes sont éclatantes, mais qu’en était-il en 1950, quand tout est retombé, dans le silence du cataclysme allemand? L’atmosphère devait y être intolérable. Le non-dit a tout écrasé et aucune question n’a jamais été posée. Contrairement à l’Allemagne qui a tenté dans l’agonie d’apporter des réponses et une posture intellectuelle viable vis-à-vis de son histoire, l’Autriche est restée étrangement déterminée à ne rien soulever – voire même à se poser en victimes de l’Anschluss. Vienne devait être irréellement suffocante et pleine des complots de ceux qui espéraient pouvoir réinstaurer le Reich. L’atmosphère du Portier de Nuit de Liliana Cavani (même si sa sexploitation stupéfiante du nazisme et des camps est discutable) doit être très proche de la réalité, dans la claustrophobie des grands hôtels ou du Karl-Marx-Hof, où les deux amants de barricadent. De même, le monde fantasmatique d’Erika Kohut dans La Pianiste d’Elfriede Jelinek, s’inscrit dans l’étouffement général d’une ville grandiose et devenue trop grande pour un pays atrophié et au climat délétère, que l’on n’aperçoit dans la vision filmée du roman que très partiellement mais de manière terriblement suggestive.

Sauna, Josefstadt, Wien

Au sous-sol de la pension il y a un sauna pour hommes. Il n’est annoncé que par un couloir étroit et la forte odeur de chlore qui envahit le vestibule. Bien qu’il soit ouvert en permanence je n’y ai jamais vu entrer personne. À l’entrée il y a tout l’équipement dévolu au maintien de l’hygiène et au bon déroulement des opérations, des chariots et autres engins à roulettes contenant le nécessaire pour prévenir un possible désagrément. La technicisation du désir, les mécanismes et opérations invisibles permettant la perpétuation du plaisir et du fantasme au cœur du complexe sont rejetés à la périphérie. Comme dans ce sauna de Shoreditch où j’allais souvent le samedi. C’était un bâtiment bas miteux et tout en préfabriqué dont l’entrée avait été flanquée d’un portique antiquisant et de vasques. Voila ce à quoi se résume le désir des hommes: un prefab crade coincé entre deux ponts de chemins de fer et un parking.

Cela me ramène par extension à la New Babylon de Constant où la mécanique de la grande mise en scène devait rester aussi savamment cachée (on ne sait d’ailleurs vraiment où), de façon à ce que les zones de désir mouvant et d’ambiances artificielles soient préservées sans interférences de la technologie sous-jacente. Comme au sauna le monde merveilleux du désir et de la baise ludique auraient été maintenu dans un décor de fantaisie aux limites très faciles à transpercer. Se serait alors révélé l’horrible business de l’ingénierie hygiénique, de la manipulation et de la grosse mécanique. Et les pistes d’atterrissage du toit auraient sans doute été desservies par de grosses bittes en verre dignes de la gare de Prague, et les débits de boisson dont New Babylon devait être parsemée pour stimuler l’humeur de ses habitants avant quelque intervention collective, la scène d’infinies dévastations gastriques. Je pense à ma mère et à ce qu’il en serait advenu dans les labyrinthes de New Babylon. Ma mère, nomade ludique, ecstatique dans sa traversées des secteurs ouverts aux quatre vents, elle qui a toujours craint par dessus tout ce que ‘diraient les voisins’. Aurait-elle même vu la Révolution? Y aurait-elle seulement pris part? La seule expérience qui aurait pu se rapprocher des secteurs de New Babylon est celle des nombreux centres commerciaux de la Région Parisienne, autant de mégastructures dotées d’une ambiance distincte et nettement hiérarchisés en fonction de cela. Ainsi l’Agora d’Evry a-t-elle détrôné La Belle Épine, devenue trop vieux jeu dans la jungle stylistique des années soixante-dix, face à Créteil-Soleil, qui n’avait jamais fait le poids - trop loin et caverneux. Mais New Babylon étant libérée de l’emprise de la commodité, l’idée est irrecevable. Et ma mère, survivante d’un ordre ancien, aurait donc dû suivre la cavalerie, sans bibelots ni babioles, et jouer, jouer, jouer...

À Vienne, un soir d’orage. Àprès la traversée d’Augarten, un parc hérissé de tours de défense en béton brut datant de la dernière guerre, au détour d’une rue, la lumière est devenue très intense au-dessus des toits. La lumière, alliée à la couleur de la pierre, et capturée dans l’ambiance qui régnait là à cet instant précis ont créé un sentiment fugace d’une force extraordinaire. Quelque chose me forçait à rester dans cette rue et à comprendre la nature d’un tel sentiment. Le tramway est ensuite arrivé du coin de la rue dans un éclat de soleil aveuglant... De toutes les voix électroniques des transports publics européens, celle de Vienne m’affecte au plus haut point. C’est celle d’un hommes aux accents lancinants, très expressifs. Un homme que j’imagine tourmenté dans les mélopées sans fin des destinations et interconnections à annoncer. Les voyelles trainent, le ton est presque radiophonique, d’un autre âge. Il donne des instructions d’état d’urgence au cœur d’une insurrection indeterminée, telle celle décrite dans Le Bleu du Ciel de Bataille. J’ai pensé que j’aimerais parler l’Allemand de cette façon, d’une façon à la fois mécanique et lyrique. Depuis j’essaie en public d'imiter le mieux possible l'homme électronique de Vienne. C’est très facile et semble donner à ma voix un timbre, elle que j’ai toujours pensée instable et sans qualité particulière.

 

PRAGUE

Casino, Prague

Train à destination de Prague. La gare de Dresden est immense et recouvre peu à peu toute sa dignité grâce aux spectaculaires verrières de Sir Norman. Je songe au caractère résolument romantique des voyages ferroviaires en Europe et me demande encore comment le Thin White Duke a pu faire tout ça et garder toute son allure, avoir une si belle peau après une nuit en couchette. L’Europe Centrale d’alors, même si sous contrôle communiste, avait-elle encore une aura assez forte pour permettre de telles attitudes de dandy? Sous le coup d’une uniformisation croissante et du déferlement des commodités les plus triviales - y compris architecturales - peut-on encore s’y croire ? Sous la grandeur inerte et superbement mise en scène de Prague, affleure sa réalité contemporaine. La profusion de casinos, de bars non-stop et de sex-clubs en ont fait une ville totalement investie par et réinventée pour les hordes de yobs anglais qui y débarquent pour des itinéraires éthyliques pré-programmés. Prague incarne la prostituée d’Europe de l’Est, docile et prête à l’emploi, suivant un processus de sexualisation de la ville dont la portée est totale. Un court instant je n’ai plus vraiment su où j’étais, tant ma vision était exténuée dans la perfection lisse des rues. Toutes les villes d'Europe se confondaient dans la multiplication ad infinitum des mêmes chaînes internationales et zones pétionnières incontournables, où tout s’abîme dans la même expérience d’hyperconsommation et le sentiment irréel et désagréable de flotter dans un lieu réductible a n’importe quel autre. L’architecture semblait générique et résumer à elle seule l’idée d’Europe Centrale. J’eus le sentiment que ma quête de l’Europe mythique devait s’arrêter là, dans la dilution globale, l’interchangeabilité des sentiments et des visions, une dé-localisation terminale et irréversible. L’échéance cauchemardesque du monde selon Koolhaas.

Gare Centrale, Prague

Gare Centrale, Prague

Ce matin je pensais aux photos de groupes prises à l’école primaire, la fierté des familles. Nous devions comme tout le monde en avoir deux ou trois (les photographes scolaires ne passaient pas tous les ans), que j’ai détruites un samedi après-midi, après l’un de ces retours de Paris dans la banlieue déserte et suicidaire. Porter atteinte à la mémoire familiale était devenu impératif. Les preuves photographiques de mon enfance étant déjà très rares (mis à part les invités de Noël personne n’avait jamais songé à nous photographier) la destruction par le feu a porté un coup fatal à la collection. Puis il m’est apparu que sur l’une des ces photos je portais la raie au milieu - un acte de transformation très personnel destiné à me mettre mieux en valeur. Las, la mode était aux franges pour les garçons, ce qui n’a pas échappé à ma mère, qui me le fit amèrement remarquer. La violence de ses invectives, photo scolaire à l’appui, me réduisait à un silence honteux: sans frange, je n’étais pas un garçon digne. Pire – j’étais une fille. Elle s’empara alors du peigne et avec rage et détermination - l’un des ces gestes de violence portés au fil des ans contre mon visage - me dota d’une frange comme jamais, la frange des franges. C’est sans doute pour cela que j’ai détruit l’image et toutes les autres qui me renvoyaient à cette photo de classe où je m’étais trouvé beau. Et pour cette raison seule je n’ai rien à regretter.

La gare centrale de Prague s’est déplacée en sous-sol au début des années soixante-dix. Une orgie de plastique rouge et de géométries intercosmiques couvre une immense salle des pas perdus. Au milieu se dresse un casino et une pléthore de machines à sous dans les lueurs des néons roses. Aux kiosques les journeaux populaires affichent des scènes de partouzes en première page. Des hommes rôdent le long des terrasses qui surplombent le hall central. Ils viennent de régions lointaines d’Europe orientale, peut-être même des ex-républiques soviétiques. À la suite d’un remodelage radical opéré durant l’ère communiste la gare historique a été dépouilée de toute fonction et gît à l’abandon de l’autre côté de la voie express qui en anéantit la facade grandiose et lépreuse. Le parking qui lui fait face est desservi  par d’énormes bites de verre maculé abritant les cages d’escalier. L’odeur de pisse qui s’en dégage est infecte. Des  nuits de pisse giclant sur le verreterni et les structures rouillées. Une opération future de ré-historicisation du lieu aura sans doute raison de l’ensemble.

 

DRESDEN

Des villas immenses surplombent Dresden. Elles sont de style italiénisant, néo-classique ou gothique, et leurs terrasses étagées descendent par degrés vers l’Elbe. Grottes, bassins et balustrades, c’est Marienbad revisité. On se demande quel usage de tels mastodontes ont pu avoir en RDA. Maison de retraite? Club pour les vétérans de la lutte anti-fasciste? Quoi qu’il en soit d’immenses lustres de plastique blanc pendent des plafonds et les orangeries sont encore murées. Sur les terrasses il était facile de de se voir dans Son Nom de Venise, tant la ressemblance avec le château Rothschild était criante... La RDA est partout. Je vis sur son ancien territoire, moi, venu de si loin, et son souvenir infiltre tout. Ses traces physiques sont omniprésentes - textures, matériaux, couleurs. Le système visuel mis en place est constant et universellement appliqué. Il n’y a dès lors jamais aucune surprise de la part d’un monde qui fonctionnait en vase clos et dont toute création architecturale peut si facilement être mise en rapport avec l’état de la production. Il y eut certes une tendance à une certaine baroquisation dans les années quatre-vingt, mais la chute du régime a coupé court à de telles audacités.

Dresden est une collection d’objets architecturaux très précieux perdus dans un vide interstellaire de voies rapides et d’échangeurs autoroutiers. Les cartes postales en montrent toujours les mêmes combinaisons présentées sous les mêmes angles, créant ainsi l’impression d’une totalité baroque. Car tout autour sévit l’héritage architectural de la RDA. Même les abords médiévalisants de la cathédrale sont une interprétation très libre et bétonnée du passé, un peu à la manière du stupéfiant Nikolaiviertel de Berlin. Tout autour on détruit les derniers vestiges de l’ancien régime pour recréer un semblant de cohésion visuelle dans un néo-classicisme à faire se pâmer plus d’un Leon Krier. Mais le boulevard circulaire qui enserre le centre ne peut faire oublier la perte de la ville - perte et absence étant les deux déterminants d’un lieu dont la beauté sacrifiée constitue la ligne essentielle de discours. Dans la Neustadt, relativement épargnée par les bombardements et pleine d’une vie foisonnante, un bloc d’habitation de l’époque paillettes de la RDA (on était presque arrivé à une archi quasi-disco), situé à l’extrémité d’une ancienne perspective baroque, se nommait Nudel Turm (la Tour-Nouille). Un peu d’humour surréaliste après les très fonctionnels et bombastiques Konsum et autres Zentrum dont ce pays avait le secret. Sous un ciel de plomb j'avais un sentiment de confort et d’appartenance, une sorte de contentement hanséatique déjà éprouvé dans d’autres grandes villes allemandes.

Reconstruction of Dresden-Altstadt

Derelict shop front, Görlitz

Görlitz, une ville épargnée par les bombardements, coupée en deux après la guerre. Je devais y aller avec C. il y a un peu plus d’un an. Il m’avait parlé de cette ville très belle chevauchant la frontière germano-polonaise. C’était l’été, nous venions de nous rencontrer. J’étais revenu à Berlin quelques mois après avec l’idée d’emmener C. à Görlitz, qu’il rêvait de revoir, pour un voyage d’un jour. Il s’était dit très occupé. Arriver à la gare centrale de Görlitz, c’est comme arriver à T.Beach: la fin d’un monde. Comme T.Beach, la ville est monumentale, déserte et très blanche, ses ordonnances d’un classicisme gracile. Les avenues étaient bordées de boutiques désaffectées. Görlitz est aussi pleine d’hommes en errance, les stormtroopers d’un ordre réactionnaire résurgent que de Berlin on espère outrageusement déformé ou fantasmatique. La ville poussiéreuse et endormie me faisait songer au cadre de Werckmeister Harmóniák, une ville ancienne où la violence éclate de façon arbitraire. Görlitz continue au-delà de la frontière mais sous un autre nom, un autre déroulement du temps. M’est revenu le sentiment que j’avais eu à Wroclaw/Breslau. Des formes architecturales vides investies par d’autres vies, d’autres langues, des histoires venues de régions éloignées. Du côté allemand les librairies du centre historique étaient pleines d’une littérature fortement nostalgique des territoires perdus de l’Est.

 

Erika's Pleasure Box

 

WIEN

In Vienna, on the esplanade of the museum complex, bodies are lying in the sun on light green sofa-shaped structures. So is mine, exposed to all, openly and unproblematically. I feel good in the acceptability of my body, its public presence in the radiant city. Boxing will have been a turning point in its history, its salvation. It's now lying in the sun-drenched burning heart of Vienna and that's all there is to it. The story ends here. My summers are mine as I'm reclaiming them after years of physical alienation in the slow disintegration of youth. The starting point of the journey had been the last holiday spent on the Atlantic coast with my family, by then in the throes of inexorable self-destruction. Sarcasm was heaped upon my body which was rapidly changing in a confusing, incomprehensible way and was a constant source of anguish. The scorn was relentless and widely shared - the father, the mother, the son, all were at it - and inaugurated years of forced invisibility. In Berlin history was to speed up and find its resolution in the parks, the sun, the theatre of sex-clubs.

In Vienna the carelessness and sensuality of young people is striking but what was it like back in 1950, as silence was falling back on the German disaster? The atmosphere must have been unbearable. Everything remained unspoken and no questions ever asked. In stark contrast to Germany, which for decades agonised over its history and attempted to find a suitable intellectual position in front of the unfathomable horror of its past, Austria has strangely opposed a stubborn silence and has since then portrayed itself as the hapless victim of the Anschluss. Vienna must have been terminally stifling, full of Third Man style conspirators and Third Reich nostalgics. The atmosphere in Liliana Cavani's The Night Porter (even though its outrageous sexploitation of Nazism and the camps is somewhat dubious and cringe-inducing) must be fairly close to reality, in the claustrophobia of grand hotels or of the Karl-Marx-Hof where the two lovers end up barricading themselves. Likewise Erika Kohut's phantasmagorical world in Elfriede Jelinek's The Pianist is set against the backdrop of a grand - albeit commercially debased - stifling old city, which has become too large for a tiny country that was once an empire. Its deleterious climate is remarkably suggested in Michael Haneke's filmed version and its relative visual discretion makes its menacing presence all the more unnerving.

Lange Gasse, Josefstadt, Wien

In the basement of the hotel there is a men's sauna. It is indicated only by a narrow corridor and a strong smell of chlorine. Although it's open round the clock I've never seen anyone go in. At the entrance there is all the necessary equipment to the hygienic maintenance and the good running of the place, trolleys and other wheeled contraptions to sort out unexpected bodily mess. The instrumentalisation of desire, the invisible mechanisms and operations enabling the perpetuation of pleasure and fantasy within the complex are carefully kept at the periphery. Like the sauna in Shoreditch I used to go to on Saturdays, a low-rise, shabby affair whose entrance was framed by a fake Greek portico and plastic vases. This is what male pleasure amounts to: a shoddy prefab stuck between two railway bridges and a car park, but masquerading as the Therms of Caracalla.

This takes me back to Constant's New Babylon where the mechanism of the big show were to remain totally concealed (although it was never clear where), so that the streams of shifting desires and spontaneously created ambiances would remain unhindered by the interference of technology. As in a sauna the wonderful world of desire and playful fucks would have been confined to cosy, thematised spaces full of cheap fittings and stained carpets, but the flimsy partitioning wouldn't have hidden much of the horrible business of hygienic engineering. Likewise the stairwells linking the different levels  would probably have resembled the huge piss-corroded glass pricks of Prague's central station, and the watering holes New Babylon would've been equipped with to facilitate the creative cohesion of the free community the scene of ugly bodily upsets and dysfunctions. I'm thinking of my mother and what would've happened to her in the labyrinthine wilderness of New Babylon. My mother, who always feared more than anything what the neighbours would think, as a playful nomad, ecstasy-stricken in her discovery of new sectors. Would she only have seen the Revolution? Would she have taken part? The closest her experience got to the complexity of New Babylon was the string of shopping centres around Paris, each one being a kind of megastructure with its own distinct character and judged according to its ambiance or fashionability. But as New Babylon would've been freed of the tyranny of commodities, my mother, survivor of an obsolete order and deprived of her knick-knacks, would've had no choice but go with the flow and play, play, play forever.

Vienna after a thunderstorm. After a walk through Augarten, a park in the Brigittenau district with two gigantic concrete defence towers in the middle, the light shone brighter over the roofs. The light, reflected by the dark stone of the buildings created a strange atmosphere in the whole street and this sudden event triggered in me a very powerful feeling, affecting my whole perception, an unexpected reading of Vienna, which I didn't recognise. It looked different, darker and from another country. Something compelled me to stay there and understand the origin of this brief transformation. Then the tram arrived from the corner in a blast of white light... Of all the electronic voices in public transport the voice of Vienna affects me particularly. It is a man with a slow, expressive accent. A man whom I imagine to be tormented in the endless litany of destinations and interchanges. The vowels are drawled, the tone of voice is almost that of an old radio programme issuing emergency instructions during a vague, unspecified insurrection, like the one described in Bataille's Blue of Noon. I thought I'd like to speak German in such a mechanical, lyrical way. Since then I've been trying to imitate the electronic voice of Vienna. It seems to give to my voice, which I always thought to lack stability and colour, a distinct tone and a cold expressiveness.

 

BRATISLAVA

Danube riverbank, Bratislava

 

DRESDEN

Gigantic villas overlook Dresden. They are built upon the hills in various styles, Italianate, Classical or Gothic, and their monumental terraces, adorned with grottos, fountains and colonnades - the grandiose pretensions of new capitalism - come all the way down the Elbe. I wonder what usage such piles could have had under the GDR. An old people's home? A social club for veterans of the anti-fascist struggle? In one of them plastic furniture and formica are still very much in evidence and entire wings are boarded up. The GDR is everywhere. Coming from so faraway, from such a different history, I am aware of my presence on its former territory. Its physical traces are omnipresent, in the colours, the textures and fabric of its buildings. The same visual order is systematically applied, which means that there are few genuine surprises here, as architectural creation was so dependent on the state of the national production (one factory churning out concrete panels, another one for ornamental tiling, etc.). In the eighties there was however a tentative drive towards an exuberant home-grown 'modern-baroque' (as evidenced in the blazing folly of the Friedrichstadt-Palast), but such developments were to be short-lived.

Dresden is a collection of precious architectural objects floating in a cosmic vacuum of highways and interchanges. Postcards always show the same combinations of buildings taken from the same angles to give the impression of an organically coherent baroque continuity. For all around the visual legacy of the GDR is unavoidable. Even the improvised, pseudo-medevial surroundings of the newly-reconstructed cathedral are a very personal, streaked-concrete interpretation of the past, similar to the astoundingly free-form Nikolaiviertel in Berlin. In the vicinity the last remnants of the previous regime are being swept away to recreate a modicum of visual coherence in a neo-classicism Leon Krier wouldn't have disowned. But the ring encircling the centre is a constant reminder of the vanished city - disappearance and absence being the two elements of an identity largely based on the (imaginary or actual) reconstitution of a lost unity. In the Neustadt, an area relatively spared by wartime destruction and teeming with metropolitan streetlife, a block of flats from the ultimate flash period of GDR architecture (the closest one ever got to a "disco" archi in the country) and looming into view at the end of an old baroque axis, was called Nudel Turm (Noodle-Tower). A bit of surreal humour amid the self-referential, bombastic Konsum and Zentrum the country coined over its short lifetime. Under a heavy sky I had a distinct feeling of homeliness and belonging, a kind of hanseatic contentment that I'd already experienced in other German cities.

Lingnerschloss, Dresden

Postplatz, Görlitz

Görlitz, a town spared by the bombings but split into two halves after the war. I was meant to go there with C. just over a year ago. One evening by the Spree he'd told me about a very beautiful town on the border with Poland. It was the summer and we'd just met. I came back to Berlin a few months later with the idea of taking C., who wanted to see the place again, to Görlitz for a short trip. He claimed to be very busy... Arriving at Görlitz central station is like arriving in T.Beach: it's the end of a world, beyond which something else must take over, but we don't know what. Like T.Beach the town is, in its straight perspectives and Grecian elegance, monumental, deserted and as white as chalk. The avenues are lined with countless semi-derelict, disused shops. Görlitz is also full of roaming young men, the stormtroopers in bovver boots of a resurgent order which from Berlin we'd like to wish away. The dusty, sleepy streets reminded me of the setting of Werckmeister Harmóniák, an old place where violence breaks out sporadically and engulfs everything. Görlitz carries on across the border but under a different name, in a different dimension of time. I had the same fleeting feeling as when I saw Breslau/Wroclaw. Hollow architectural forms had been filled with a new history brought by other lives, other languages from faraway lands. On the German side tourist shops were bursting at the seams with books lamenting the loss of the eastern territories to Poland.